jeudi 23 août 2012

Petites brebis vagabondes (Antonio Tabucchi, 3)



Une nuit des premiers jours de décembre 1827, dans la belle ville de Pise, via della Faggiola, dormant entre deux matelas pour se protéger du froid qui étreignait la ville, Giacomo Leopardi, poète et lunatique, fit un rêve. Il rêva qu’il se trouvait dans un désert, et qu’il était berger. Mais au lieu d’avoir un troupeau qui le suivait, il était commodément assis dans une calèche traînée par quatre brebis d’une éclatante blancheur, et ces quatre brebis étaient son troupeau.
    Le désert, et les collines qui le bordaient, étaient d’un très fin sable d’argent qui brillait comme la lumière des lucioles. C’était la nuit mais il ne faisait pas froid, au contraire, cela semblait une belle nuit d’arrière printemps, de sorte que Leopardi enleva la cape dont il était couvert et la posa sur l’accoudoir de la calèche.
- Où m’emmenez-vous, mes chères petites brebis ? demanda-t-il.
- Nous t’emmenons en promenade, répondirent les quatre brebis, nous sommes des petites brebis vagabondes.
- Mais quel est ce lieu? demanda Leopardi, où nous trouvons-nous?
- Tu le découvriras bientôt, répondirent les brebis, quand tu auras rencontré la personne qui t'attend. 
- Qui est cette personne? demanda Leopardi, j'aimerais bien le savoir.
- Hé hé, rirent les brebis en échangeant des regards, nous ne pouvons pas te le dire, cela doit être une surprise.
Leopardi avait faim, il aurait eu envie de manger un gâteau: une belle tarte aux pignons, voilà précisément ce dont il avait envie.
- J'aimerais un gâteau, dit-il, n'y a-t-il pas un endroit dans ce désert où l'on puisse acheter un gâteau?
- Tout de suite après cette colline, répondirent les brebis, aie un peu de patience.


Antonio Tabucchi, 
Rêves de rêves, Christian Bourgois Éditeur. 
Traduction de Bernard Comment. 
ISBN : 2-267-01248-0

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