lundi 27 août 2012

Et comme c’était étrange (Antonio Tabucchi, 7)



 Dans les dernières lignes de l'épisode précédent de notre feuilleton, Rêve de Giacomo Leopardi,  le suspense était à son comble: notre lunatique héros commençait à déguster les choses exquises qu’il avait achetées… quelles autres exquises surprises lui réserve la suite?


La route avait pris de la pente, à présent elle grimpait sur la colline. 
Et comme c’était étrange, ce terrain-là aussi brillait, il était translucide et envoyait une lueur d’argent. Les brebis s’arrêtèrent devant une petite maison qui étincelait dans la nuit. 
Leopardi, comprenant qu’il était arrivé, descendit à terre, il prit la boîte de chocolats et entra dans la maison. 
A l’intérieur une jeune fille était assise sur une chaise et brodait au tambour.
   -  Avance, je t’attendais, dit la jeune fille. 

Elle se tourna, lui sourit, et Leopardi la reconnut. 
C’était Silvia. 
Sauf qu’à présent elle était tout en argent, elle avait les mêmes apparences qu’autrefois, mais elle était en argent.
   -  Silvia, chère Silvia, dit Leopardi en lui prenant les mains, comme il est doux de te revoir, mais pourquoi es-tu en argent?
   -  Parce que je suis une sélénite, répondit Silvia, quand on meurt on arrive sur la lune et on devient ainsi.
   -  Mais pourquoi suis-je ici moi aussi, demanda Leopardi, je suis peut-être mort?
   -  Celui qui est là n’est pas toi, dit Silvia, c’est seulement ton image, toi tu es encore sur la terre.
   -  Et depuis ici on peut voir la terre? demanda Leopardi.

    Silvia le conduisit à une fenêtre où se trouvait une lunette. Leopardi approcha l’œil de la lentille et vit aussitôt un palais. Il le reconnut : c’était son palais. 

Une fenêtre était encore éclairée, Leopardi regarda à l’intérieur et vit son père, en chemise de nuit, le pot de chambre à la main,qui s’en allait au lit. 
Il eut un coup de cœur et déplaça la lunette. Il vit une tour penchée sur un grand pré et, tout près, une rue tortueuse avec un immeuble où il y avait une faible lumière. Il s’efforça de regarder à l’intérieur de la fenêtre et vit une chambre modeste, avec une commode et une table sur laquelle était posé un cahier à côté duquel se consumait un bout de chandelle. 
Dans le lit il se vit lui-même, qui dormait entre deux matelas.
   -  Je suis mort? demanda-t-il à Silvia.
   -  Non, dit Silvia, tu es seulement en train de dormir, et tu rêves à la lune. 


Rêves de rêves, Christian Bourgois. 
Traduction de Bernard Comment.

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