samedi 26 février 2022

Danse, danse

 Personne ne pouvait imaginer, à l'aube de ce jour funeste, 

que notre affaire tournerait aussi mal.

Jacques Abeille


Hum. Depuis un moment déjà je jouais avec l'idée de vous écrire (rien que pour vous), pour compléter le trop bref hommage que je lui ai rendu au début du mois, un billet sur Le Cycle des Contrées, de Jacques Abeille. Ou, pourquoi pas, soyons fous, une série de billets: c'est qu'il y a de la matière! Pas loin de deux mille pages au total dans l'édition grand format du Tripode. J'en étais encore à relire Les Barbares et La Barbarie, quand, soudain, un doute m'est venu: le moment est-il bien choisi pour vous parler de livres qui racontent tout du long l'histoire d'un pays où l'on s'attend, des années durant, à subir une invasion, et puis, un jour, on se réveille, et les envahisseurs sont là?  Comment en parler avec tact?     La vie met parfois un peu trop de zèle à imiter l'art.

Je vais donc, pour aujourd'hui, me borner à vous rappeler qu'en lien avec le Cycle des Contrées, Jacques Abeille a aussi écrit un livre (bref, celui-là*) illustré par Gérard Puel: La Grande Danse de la Réconciliation.

Un titre de bon augure?


Jacques Abeille,  La Grande danse de la réconciliation 

illustré par Gérard Puel, Le Tripode, 2016

ISBN : 978-2-37055-085-9 

* ce court texte a été repris dans Les carnets de l'explorateur perdu (Le Tripode, 2020) ainsi que d'autres textes qui ne figuraient pas dans la première version de ce recueil (Ombres, 1993).


mardi 8 février 2022

Un explorateur s'est perdu: Jacques Abeille

 Je ne sais pas si j’en aurai la force, 

car je décline sévèrement et j’en souffre, 

mais j’ai encore quelques pages à écrire. 

Jacques Abeille (interview, 2018)

 


Je m'en souviens comme si c'était hier (bien que je sois incapable de préciser la date: ce devait être quelque part dans les années 80): dans un article d'une revue quelconque, j'avais lu ce nom, un nom qui m'avait instantanément fasciné: Terrèbre. Qu'est-ce que ce nom pouvait bien désigner?  L'article renvoyait à un obscur bouquin, qu'à l'époque j'ai été bien incapable de trouver (on a écrit des pages sur les "mésaventures éditoriales" de l'œuvre de Jacques Abeille: pour en savoir plus sur ces mésaventures,  je vous recommande deux articles parus dans En attendant Nadeau: un entretien donné par l'écrivain en 2018 que vous pouvez lire ici et un retour sur Le Cycle des Contréesici). J'ai continué à me demander ce que pouvait être Terrèbre.

Quelques années plus tard j'ai découvert par hasard dans une librairie poussiéreuse la première édition des Carnets de l'explorateur perdu: j'étais encore loin de Terrèbre, mais mon voyage d'exploration pouvait commencer. Ces Carnets ne m'ont pas quitté depuis: j'ai bon espoir d'y découvrir, un jour, un indice qui me conduira vers le second lieu de ma force.

Puis les éditions Attila... puis Le Tripode... ont commencé à publier le cycle en son entier.   Ai-je besoin de vous le dire? Je les ai acquis l'un après l'autre (je pense que c'est ce que vous devriez faire, si ce n'est déjà fait).

Car à présent on ne trouvera plus, ni dans des ruines dévastées, ni aux pieds de statues vivantes,  ni dans des campements de barbares, de carnets d'explorateurs, d'écrits de Lécriveur, de chroniques scandaleuses....

Les ténèbres envahissent la terre.

Terrèbre doit être là, quelque part.

Jacques Abeille, 1942-2022 


En couverture des romans d'Abeille chez Le Tripode: des dessins de François Schuiten!

samedi 5 février 2022

La cachette derrière le portrait de l’ancêtre


Il connut sa plus grande joie lorsque Lampe, son valet de chambre, lui rapporta de Berlin les  Betrachtungen über die Kriegskunst de Berenhorst. Il trouva dans cet ouvrage - bien que l’auteur lui parût souvent très proche de ce XVIII° siècle qu’il commençait à mépriser - la confirmation de ses idées essentielles. La guerre était bien le lieu du démoniaque qui, par définition, échappe à toutes les emprises de la raison. La guerre était aussi le lieu du hasard qui annihile les plus belles constructions de l’esprit de système. 
Le livre encouragea von Lignitz à rassembler ses notes et à les présenter sous une forme cohérente. 
Il y développait trois idées centrales. 
Premièrement: il n’y a pas de science possible de la guerre et ceux qui ont voulu voir dans les victoires frédériciennes le fruit d’une connaissance rationnelle ont pris leur désir de système pour la réalité. La guerre est le lieu même de l’instable, de l’irrationnel, un "coup de dé", "un jeu", un "Ungefähr" pour reprendre les expressions du maître d’Anhalt
Deuxièmement: pour qu’une armée ait quelque chance de remporter une victoire, il faudrait qu’à l’automatisme de la Dressur succédât l’enthousiasme, un enthousiasme nourri par l’amour de la patrie, par la volonté de grands sacrifices, par le sol germanique. Il en découlait que l’armée de l’avenir, s’appuyant sur les forces morales, ne pourrait être que nationale et populaire. 
Enfin, troisièmement, les guerres futures verraient la fin des échanges anodins, des "duels de princes", qui avaient pour but de contraindre à la capitulation quelques places fortes afin d’obtenir une paix avantageuse. Elles seraient brutales, impitoyables, précipitant de grandes masses humaines  contre d’autres grandes masses humaines, dans une violence totale qui mobiliserait toutes les forces du pays et scellerait, dans une union quasi-mystique, l’union du sang et du sol. Dans une vision prophétique, il entrevoyait ce qu’allaient être Eylau, Borodino, Lützen, Bautzen ou Leipzig. 

L’ouvrage achevé, il le jugea trop subversif pour être publié à une époque où le corps des officiers, dans sa totalité, se précipitait encore à Berlin-Dahlem afin de tenter de déchiffrer,  à travers  des évolutions compliquées conduites par des rescapés de l’ancienne armée, les arcanes de la tactique de Frédéric. 

 

Et pourquoi pas derrière un portrait d'ancêtre?


 
Il enferma le manuscrit dans un carton qu’il dissimula derrière le portrait de l’ancêtre Johann-Gaspard.


Eloge funèbre du général August Wilhelm von Lignitz, 
grand-chevalier de l’Aigle Rouge de Prusse, 
prononcé le 30 novembre 1821 
dans la Garnisonkirche de Progositz 
par le chapelain militaire, comte von Bordorf, 
L'Age d'Homme, Lausanne, 1973. 
Réédition: Zoé, 1996, 1997.

Disparaissant - ou peu s'en faut - derrière son titre hypertrophié, Eloge funèbre du général... est un roman aussi vif qu'il est court, aussi spirituel qu'il est irrévérencieux. Peut-être est-il nécessaire de préciser qu'il s'agit bien d'un roman, et non d'un réel document historique exhumé de quelque cachette? Bon, dans le doute, je le précise: le jeu littéraire auquel se livre l'auteur est presque trop parfait! 
Jean-Jacques Langendorf a aussi fait paraître: Vies croisées de Victoria Ocampo et Ernest Ansermet : correspondance 1924-1969, Buchet-Chastel, 2005


Illustration: lavis de Léon Fauret, 1937 (détail)

mercredi 2 février 2022

Bonne année à tous les tigres


L'année qui commence selon le calendrier luni-solaire en usage en Chine, en Corée, au Viet-Nam, bref...  partout, c'est l'Année du Tigre!

La file d'attente pour le nouvel an chinois

A tous les tigres, souhaitons une année heureuse, prospère et sans soucis (et surtout la santé).


Photo: NYT