lundi 27 mai 2019

Does it mean I have to?


C'est assez rare que je rêve en anglais (moi, mon domaine de compétence dans les rêves, ce sont plutôt les langues imaginaires).
Pourtant, pas de doute, c'est bien l'anglais que parle l'exploratrice (archéologue? agent spécial?) qui traverse le dernier rêve de cette nuit; bien qu'il y ait un peu de bruit, de souffle, derrière les descriptions qu'elle envoie à sa base depuis le paysage de ruines qu'elle traverse, je les reçois (les intercepte?) fort et clair (je reçois les images aussi!). 
Parvenue devant une inscription sur un mur, voilà ce qu'elle dit:
"It reads: Here there be monsters. 

Does it mean I have to become a monster myself?"

 

vendredi 24 mai 2019

Lâchez-vous, personne ne regarde


J'ai saisi, entre deux occupations plus sérieuses, quelques minutes de la campagne officielle pour les élections européennes.
Curieuse expérience.
Les chargés de communication des différentes listes se sont un peu lâchés, adoptant un ton qu'ils se garderaient bien d'utiliser lors d'un scrutin national ou local, où la priorité absolue est la réélection des têtes de liste et en conséquence la règle d'or est "surtout ne réveiller aucun des électeurs qu'on a eu tant de mal à endormir la dernière fois".
Le résultat, c'est que, tonitruantes, mélodramatiques, matamoresques, les interventions des représentants de chaque liste donnaient - toutes - l'impression d'avoir été produites par un de leurs pires ennemis, qui en aurait écrit le script et l'aurait confié  à une équipe de marionnettistes pour donner de leur programme une image aussi caricaturale que possible: par exemple, celle de "la droite et du centre" par Mélanchon dans un de ses bons jours (ah! l'érection d'une barrière écologique, quelle trouvaille!), celle du "parti des gens pas de l'argent" par un Dominique Seux décoincé et celle d'"en marche" par un Frédéric Lordon pince-sans-rire, celle du cimetière des éléphants par Monsieur le Chien, celle de Madame LP par le regretté Cabu… *
Ceci dit, il manquait à tous les interprètes, décidément trop amateurs (il semble bien que ce n'était pas des marionnettes, après tout), le talent de Coluche pour arracher au public un rire venu du fond des tripes.

* à moins que, plus prosaïquement, elles ne l'eussent été, toutes, par l'équipe du Gorafi.

jeudi 23 mai 2019

Dominion Fun Police


Trouvant toutes les nouvelles plus déprimantes les unes que les autres, j'ai éteint la radio et fouillé parmi les DVD qui prenaient la poussière dans un coin (le cimetière des passe-temps délaissés).
Ah! Voilà qui va nous faire joyeusement régresser: 
La galette se met à tourner, et le film commence.

J'avais oublié que les premières répliques du film étaient celles-ci:

- Pourquoi la police estime-t-elle nécessaire de s'équiper d'une puissance de feu capable d'anéantir 5 fois la population de la ville? Le rôle de la police est de protéger les droits et les biens des citoyens, et non de les menacer! En sacrifiant des vies innocentes au nom de la lutte contre le crime, la police s'abaisse au niveau de ceux qu'elle prétend combattre.
- Madame le maire, vous auriez dû dire ça au Conseil il y a des années, quand la Tank Police a été formée. Permettez-moi de vous rappeler que le taux de criminalité a baissé de 20% depuis l'utilisation des tanks. Je considère que la police mérite des félicitations! Quant au pourcentage de civils tués ou blessés lors des incidents dus aux interventions des tanks, il représente seulement 5%  des décès liés aux accidents de la circulation ou à la contamination bactérienne.
- Seulement 5%? Et vous en êtes fier? Ce genre d'attitude pourrait nous coûter nos postes. Je crois que vous n'avez pas la moindre idée de la facilité avec laquelle les élections pourraient nous faire perdre nos places. 

Ouch.

La déprime menaçant à nouveau de me submerger, je suis allé dans la cuisine faire du café.
Heureusement, quand je suis revenu avec la cafetière, la scène avait changé et Annapuma et Unipuma venaient de se lancer dans un de ces strip-tease impromptu dont elles ont le secret.
La soirée ne fut donc pas définitivement gâchée.



Dominion Tank Police (1988) par Takaaki Ishiyama et Kōichi Mashimo
d'après Masamune Shirow
Image © Agent 21, Toshiba video, Pathé video

mercredi 15 mai 2019

Canard coureur indien


Le Mois de Mai n'apporte-t-il donc que de mauvaises nouvelles?
Non.
Il y en a aussi de bonnes.
Mais il faut bien les chercher.
Par exemple sur le blog de Mélaka (les Mélakarnets):

Regardez-moi ça, ça va être somptueux.

Cliquez sur le lien, sinon le titre de ce billet restera pour vous, à jamais, une énigme.

Si, comme (apparemment) beaucoup de français, vous avez trop de sous et vous ne savez pas quoi en faire, allez les lui apporter ici.
Elle les rangera bien au chaud
(elle a beau tricoter tout le temps,
elle a encore un bon stock de pelotes de laine).
Image © Mélaka et Reno

mercredi 8 mai 2019

Messe, oies, sang, tweets


Qu'a produit le mois de mai 2018, embarrassante célébration jubilaire du mois de mai d'une autre année en 8? 
Une atmosphère de grand' messe (de vingt heures), le caquet médiatiquement correct d'oies de cirque bien dressées, un peu de sang, indispensable pour assaisonner les unes, et des tweets, beaucoup de tweets.
Qu'attendre de mai 2019? La même chose, avec un peu moins de solennité forcée et un peu plus de sang.

Ne nous laissons pas gagner par l'accablement. Tournons-nous vers Antoine Volodine - pardon, je veux dire Lutz Bassmann, le lapsus est compréhensible.  Dans son roman (plus exactement, c'est un recueil de narrats) Les aigles puent, l'écrivain post-exotique a fort judicieusement intercalé entre les chapitres descriptifs des sections intitulées "Pour faire rire". Pour nous dérider, ouvrons le livre à la section 25:

25. Pour faire rire tout le monde
Les jours de cérémonie officielle, les humains choisissaient au hasard parmi nous quelqu'un qui tiendrait le rôle de garde rouge rescapé des poubelles de l'Histoire. Il fallait s'inscrire pour participer au tirage au sort mais, dans les faits, les humains ne se souciaient pas de respecter les résultats de leur propre loterie et à la veille de la cérémonie, plutôt que de manipuler les bulletins crasseux sur lesquels une poignée d'entre nous avaient épelé leurs noms illisibles, ils arrivaient aux abords d'un de nos repaires et ils happaient le premier venu afin de l'habiller en garde rouge et de le faire défiler le lendemain sous les quolibets.
J'eus cet honneur.
Un soir, alors que, bardé de gamelles vides et tintinnabulantes, j'étais en train de me glisser dans un dépotoir que les humains avaient ceint de barbelés, un camion s'arrêta à ma hauteur et il en descendit une demi-douzaine d'hommes en combinaison antiallergénique qui m'expliquèrent sans ménagement que je pourrai, le jour suivant, marcher en pleine rue en vociférant ma haine de l'inégalité sans qu'on me tire dessus à balles réelles. Ces hommes n'ôtaient pas leur casque pour me parler, de sorte que,  même si je connaissais un peu le dialecte dans lequel ils formaient des phrases effrayantes, j'eus du mal à capter les subtilités de leur message. Passivement, mais aussi parce qu'ils m'avaient déjà brutalisé, je les suivis.
Le camion démarra et on m'emmena dans un de leurs centres.
Je passai la nuit là-dedans.
La cage ne manquait pas d'endroits où s'allonger, du trou à pisse ne refluaient pas des pestilences exceptionnelles, et, au matin, on m'apporta une soupe faite avec de l'eau propre. Bien que clairette, je mentirais en disant qu'elle était mauvaise. De cette partie de l'aventure, je n'ai donc pas à  me plaindre.
Le matin, la manifestation eut lieu. On me confisqua mes gamelles et on me pria de revêtir une tenue de drap  militaire qui avait été cousue pour une personne plus imposante que moi, en tout cas pour un cadavre qui avait des membres mieux proportionnés et plus longs que les miens. Alors que je protestais, faisant valoir mes droits de citoyen et exprimant mes craintes d'être grotesque, on me passa un bandeau rouge autour du bras et on me tira vers une camionnette de la police qui fonça sur le lieu de regroupement du cortège.
Je vis peu, ensuite, la manifestation dont je n'étais pas, à vrai dire, le sujet principal. Je marchais avec difficulté au milieu de la rue, m'efforçant avant tout de ne pas trébucher dans mon pantalon trop large. Personne ne m'accompagnait, personne ne me disait quoi faire, et il y avait toujours une très grande distance entre moi et les autres. J'entendais les haut-parleurs crier devant et derrière moi, et les manifestants reprendre des slogans, ces slogans des maîtres qui ne nous intéressent pas et qu'en général nous comprenons peu ou pas du tout.
À un moment, je me suis mis à brailler quelques appels à l'insurrection contre les puissants du monde, quelques débris de textes expliquant pourquoi il fallait assassiner au plus vite et sans faire de chichis les responsables du malheur, à quelque  niveau du malheur qu'ils se placent. Ma voix se perdait dans le brouhaha.
Je braillais comme un ivrogne, en levant le poing et parfois en agitant la casquette dont ils m'avaient coiffé, sur laquelle ils avaient épinglé une étoile vermillon dont j'étais très fier.
En accord avec le programme des réjouissances, des quolibets furent sans doute proférés à mon adresse, et peut-être scandés par les milliers de voix du public, mais je ne me rappelle rien de cela. J'avançais sans grâce mais sans tomber, j'agitais ma casquette, je hurlais le détail des mesures qui entreraient en vigueur immédiatement après notre prise du pouvoir, je ne me préoccupais pas de savoir si on me rendrait mes gamelles et mes hardes avant de me renvoyer vers le dépotoir ou de me liquider.
Et j'étais très fier.

Lutz Bassmann, Les aigles puent