Il y avait une lettre d'Alberto Caeiro, une de Fernando Pessoa, une de Sadegh Hedayat, une de Ricardo Reis, plusieurs d'Alvaro de Campos; certaines, toute petites et écrites sur papier pelure pour échapper à la surtaxe sur l'excédent de poids, avaient dû voyager longtemps, car elles portaient des timbres anachroniques d'anciennes colonies d'Afrique ou d'Océanie. Un petit mot froissé signé d'une initiale disait seulement Je suis passé te voir mais tu n'étais pas là.
vendredi 31 août 2012
Il se fait tard (Antonio Tabucchi, 10)
Rêve d'Antonio Tabucchi,
écrivain et nostalgique de rêves ignorés
Par une nuit du premier hiver d'un siècle qui ne se décidait pas encore vraiment à commencer, Antonio Tabucchi, écrivain et nostalgique de rêves ignorés, fit un rêve.
Le plateau du courrier était ce matin-là - ou peut-être ce soir-là: il ne s'était pas soucié de regarder l'heure qu'il était, et la lumière qui entrait par la fenêtre était celle qui suit le crépuscule de l'aube ou qui précède celui du soir - chargé d'un nombre inhabituel de lettres: il se dit que certaines amitiés qu'il avait crues mortes peut-être, après tout, ne l'étaient pas. Les enveloppes portaient des timbres bariolés, et il reconnut en les retournant avant de les ouvrir les noms de correspondants qu'il savait partis en voyage dans des pays lointains.
Il y avait une lettre d'Alberto Caeiro, une de Fernando Pessoa, une de Sadegh Hedayat, une de Ricardo Reis, plusieurs d'Alvaro de Campos; certaines, toute petites et écrites sur papier pelure pour échapper à la surtaxe sur l'excédent de poids, avaient dû voyager longtemps, car elles portaient des timbres anachroniques d'anciennes colonies d'Afrique ou d'Océanie. Un petit mot froissé signé d'une initiale disait seulement Je suis passé te voir mais tu n'étais pas là.
Il y avait une lettre d'Alberto Caeiro, une de Fernando Pessoa, une de Sadegh Hedayat, une de Ricardo Reis, plusieurs d'Alvaro de Campos; certaines, toute petites et écrites sur papier pelure pour échapper à la surtaxe sur l'excédent de poids, avaient dû voyager longtemps, car elles portaient des timbres anachroniques d'anciennes colonies d'Afrique ou d'Océanie. Un petit mot froissé signé d'une initiale disait seulement Je suis passé te voir mais tu n'étais pas là.
Il tournait et retournait les enveloppes, et le plaisir qu'il éprouvait à découvrir certains noms, de gens dont il n'espérait presque plus avoir de nouvelles, était gâché par une insatisfaction difficile à définir. Il avait l'impression vague qu'il aurait dû y avoir sur le plateau une lettre qu'il espérait et redoutait tout à la fois de recevoir.
Et soudain il eut en mains une lettre, il savait que c'était celle-là. Pourquoi il le savait, il n'aurait pas pu le dire.
Une enveloppe au format commercial, une suscription tapée à la machine: et pourtant il y avait quelque chose qui indiquait sans possibilité de malentendu un expéditeur de sexe féminin, peut-être une trace de parfum, une trace à la limite du perceptible? Un parfum, dans ce cas, excessivement rare, comme personne d'ordinaire n'en porte, avec des notes de benjoin, de myrte, de cyprès, d'asphodèle.
Antonio Tabucchi allait ouvrir l'enveloppe quand une sonnerie stridente le réveilla.
La boucle est bouclée, et voilà Tabucchi accommodé et servi à sa propre sauce (vigilant lecteur, tu auras reconnu les emprunts à Rêves de rêves, évidemment, et à Il se fait tard, de plus en plus tard). En écho à la prière que lui-même adressait aux ombres de ses devanciers dans la préface de Rêves de rêves: que son âme soit indulgente envers un pauvre représentant de sa postérité.
Quand je rêve, je sens que je ne meurs pas.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire