mercredi 23 septembre 2020

L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne

 

"Depuis le 20 août, des centaines de milliers d’oiseaux migrateurs sont retrouvés morts dans les Etats du Nouveau-Mexique, du Colorado, de l’Arizona et du Texas. Sur les réseaux sociaux, les habitants partagent les images de cadavres découverts dans leur jardin ou sur des chemins de randonnées. Selon le site iNaturalist, qui collecte ces données, plus de 130 espèces sont concernées, des hirondelles aux fauvettes en passant par les parulines, les merles et les moineaux."(Libération)

J'ai pensé en lisant ceci à une des rares chansons vraiment tristes de Brassens: Le vingt-deux septembre. Brassens a écrit plus d'une chanson mélancolique, une mélancolie souvent tempérée par l'humour, mais dans Le vingt-deux septembre quelques vers facétieux ne suffisent pas à masquer une tristesse bien réelle. 

L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne. 

Et c'est triste de n'être pas plus triste que ça, sans elle.

 

lundi 14 septembre 2020

Cindy Sherman, my one true love


C'était en novembre 1943. La dernière chose dont je me souvenais: j'étais à mon poste dans la tourelle du bombardier, l'appareil était, apparemment, en chute libre, et soudain tout était devenu noir. 
Puis j'ai ouvert les yeux dans ce lit d'hôpital, et la première chose que j'ai vue, c'est elle. 

Plus tard, bien plus tard, les copains m'ont raconté avec force détails pittoresques comment et pourquoi je ne suis pas mort (pourquoi nous ne sommes pas tous morts) au retour de cette mission au-dessus de l'île d'Heligoland en novembre 1943. Ça les a étonnés, je crois, les copains, que je ne pose pas davantage de questions, parce que c'était quand même, comme a dit Hammill, le navigateur, un sacré foutu miracle. Mais je n'arrivais à penser qu'à elle.


Par la suite, j'ai pu apprendre par la head nurse Bramwell (une vraie peau de vache, celle-là) qu'elle s'appelait Sherman, l'infirmière qui m'avait veillé pendant ces trois nuits où on se demandait si j'allais sortir du coma, ou non (selon Hammill, tout l’équipage avait parié - c'était Thomson qui prenait les paris - et la cote ne m'était pas très favorable: ça lui avait coûté une tournée, à Hammill).

Cindy, c'est comme ça que les autres filles l'appelaient.

On m'a dit que peu après mon réveil elle avait reçu une nouvelle affectation à l'hôpital militaire de Rangoon, en Birmanie. Je n'ai pas pu remonter plus loin sa piste: son dossier a été détruit dans un bombardement, et à l'hôpital de Rangoon, on ne trouve aucune trace de son passage, elle n'y est peut-être jamais arrivée. 
Mais je n'ai jamais pu oublier son visage. 
Parfois je crois la reconnaître sur des photos - des photos où il est impossible que ce soit elle, et pourtant. 
Nurse Sherman, Cindy, pour moi maintenant vous êtes partout, et tant pis si ça veut aussi dire nulle part.


“I am trying to make other people recognize something of themselves rather than me.” 
Cindy Sherman


L’exposition Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton  (initialement prévue du 2 avril au 31 août 2020) durera, finalement, du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021: le premier événement consacré en France à Cindy Sherman depuis son exposition personnelle au Jeu de Paume en 2006.
Elle accueillera quelques-unes des œuvres que vous aviez pu admirer au Jeu de Paume (des séries Untitled Film Stills, Rear Screen Projections, Fashion, History Portraits, Disasters, Headshots, Clowns, Society Portraits...), plus des nouveautés!
Allez-y avec vos nouveaux masques, ceux que vous venez tout juste de peindre; ou alors, pourquoi ne pas en profiter pour en peindre d'autres, "sur le motif", d'après les thèmes chers à Cindy Sherman?
 

Illustration: photo par Cindy Sherman 

vendredi 11 septembre 2020

À quoi comparer une biographie de Jorian Murgrave?



Ne conservons pas plus longtemps 
dans nos cachots ce fantôme 
muet et encombrant. 
Point de vue du seigneur Toghtaga Özbeg le Grand, 
cité par Antoine Volodine
Biographie comparée de Jorian Murgrave




Quatrième de couverture:
Originaire d'une planète détruite par la guerre, Jorian Murgrave est hanté par d'atroces souvenirs que n'adoucissent pas ses expériences terrestres : enfance concentrationnaire, amitiés ratées, révolutions défigurées, tortures et chasses. Ce n'est pas sur Terre qu'il trouvera le repos auquel il aspire : traqué, emprisonné, supplicié, il doit sans cesse échapper aux pièges qui lui sont tendus. Des illuminés recueillent les traces biographiques qu'il a laissées ici ou là pour brouiller les pistes. Les enquêteurs y cherchent de quoi abattre leur ennemi. En vain. Jorian Murgrave semble être invulnérable. Jusqu'au jour où ses tortionnaires s'introduisent dans ses rêves... 
On découvrira, dans cette première œuvre d'un jeune auteur, une originalité et une force peu communes.

Une idée reçue veut qu'Antoine Volodine ait commencé par écrire des romans de science-fiction - ce qui prouverait que ce sont des romans de science-fiction, c'est qu'ils ont été publiés dans la collection Présence du futur - puis qu'en changeant d'éditeur, il soit passé à autre chose.

Le Volodine qui écrivait Biographie comparée de Jorian Murgrave était-il si différent de celui qui écrirait plus tard Terminus Radieux?

Quels sont les objets soumis à comparaison dans ce livre? Tous les textes, fragments, chapitres, sont supposés être en rapport avec Jorian Murgrave. Certains font référence à une panoplie complète d'extraterrestre: pattes, pinces, œil unique. D'autres semblent décrire un Murgrave trop humain pour son propre bien.
Oh, vous voulez savoir si je l'ai lu, et si occasionnellement je le relis, avec plaisir? Oui. C'est un roman tout à fait satisfaisant pour l'amateur de plaisirs volodiniens, un roman qui donne - à ceux d'entre nous qui ont des mains - envie de se gratter furieusement le crâne, entre les protubérances qui en dépassent.
La principale différence entre les romans publiés chez Denoël et les romans suivants de Volodine, c'est que le "projet post-exotisme" n'y transparaît pas encore.
Biographie comparée de Jorian Murgrave est-il (clandestinement) un écrit post-exotique? Hé bien... ni shaggå (absence des sept séquences rigoureusement identiques), ni féerie ni collection de narrats poétiques, peut-être, si on prend le parti de le lire comme une succession de nouvelles, pourrait-on le classer parmi les entrevoûtes?
Ça ressemblerait plutôt à un romånce: la plupart des caractéristiques du romånce sont présentes (sur la mort du narrateur, il y a un doute, mais on ne peut nier une incertitude sur le sort de celui-ci; et s'il y a dimension formaliste, elle est, comme il se doit, cachée, alors... ); en tous cas c'est une œuvre qui cache sa structure, un peu, justement, comme Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze. Peut-être pourrait-on la considérer comme une Propédeutique au post-exotisme?
 Les quatre premiers romans signés Volodine publiés chez Denoël, dans la collection Présence du futur (Biographie comparée de Jorian Murgrave - Un Navire de nulle part - Rituel du mépris - Des Enfers fabuleux), ont été republiés en 2003 en un volume dans la collection Des heures durant.
Ni ces quatre volumes ni leur réédition ne sont particulièrement faciles à trouver à présent: "n'appartient plus au catalogue de l'éditeur depuis 2014" nous prévient Gallimard (parlant au nom de Denoël). Mais ce n'est pas non plus impossible.

Une chose est certaine: qu'ils appartiennent à la science-fiction ou au post-exotisme, il s'agit bien de romans d'Antoine Volodine, ces récits dont des fantômes muets et encombrants peuplent les cachots.
Le propre des cachots encombrés de fantômes, c'est qu'ils sont difficiles à désencombrer.


lundi 7 septembre 2020

Où s'en est-il allé?


Où êtes-vous, Docteur Miracle, 
quand on a besoin de vous?



Ce ne sera plus Annie Cordy (1938-2020) 
qui pourra nous le dire.


mercredi 2 septembre 2020

Pauvre sens, et pauvre mémoire


Dans ce rêve, je m'arrête, en lisant un bouquin, sur une citation en allemand - une phrase bien balancée, concise, frappante, le genre de phrase qu'on est fier de citer, à défaut de pouvoir être fier de l'avoir trouvée tout seul; je décide aussitôt de la noter pour la mettre en exergue d'un futur billet de blog (oui, en rêve, je n'oublie pas que je tiens un blog). Pas de problème, dans le rêve, j'ai du papier, un crayon, tout ce qu'il faut; mais le livre est si intéressant que j'ai du mal à le reposer pour les prendre. J'ai marqué la page: rien ne presse. Plusieurs fois, je me dis "bon, cette fois, je la note… oh, et puis,  je finis d'abord ce paragraphe"...
… jusqu'à ce que je me réveille. Et le temps de trouver du papier pour de vrai et un crayon pour de bon, j'ai oublié la phrase mémorable.
Je me souviens seulement qu'elle contenait les mots "Leben" et "Wesen".
C'est un peu maigre pour être cité dans un billet de blog.