mercredi 25 octobre 2023

Le pays d'octobre, le pays de novembre


Je ne sais pas ce qu'il en a été dans vos contrées, amis lecteurs, mais du côté de chez moi Octobre n'a pas fait mentir sa réputation: ce fut un mois bien mélancolique. De quoi peut-on bien parler, sans pour autant s'enfoncer davantage dans la mélancolie, à la charnière entre octobre et novembre?

Li-An et moi, nous sommes souvent synchrones: il vient de poster un billet sur l'illustrateur dont j'avais justement envie de vous parler pour Halloween, Joseph Mugnaini. Puisque Li-An a agrémenté son billet de plusieurs images datant de diverses périodes de la vie de l'illustrateur, et même d'un lien vers un groupe f***book (pouah!), plutôt que vous diriger vers ce gouffre, je préfère vous signaler qu'il y a quelques années, le blog Monsterbrains avait secoué la poussière des cartons de cet illustrateur un peu oublié. 

Li-An avance l'hypothèse intéressante que ses dessins ont pu influencer Forest pour ses premières couvertures chez Fiction ou chez J’ai Lu (j'y crois moi aussi; j'en vois aussi, de ces dessins, qui semblent annoncer une manière qu'adoptera plus tard John Blanche).
 Ray Bradbury appréciait beaucoup son travail, en effet, et ils entretenaient des relations amicales; c'est Bradbury qui insista auprès de ses éditeurs pour que ce soit Mugnaini qui soit chargé d'illustrer les éditions successives de son roman Fahrenheit 451, et de plusieurs de ses recueils, en particulier Le pays d'Octobre.








Chas Addams? Vous avez dit Chas Addams? Comme c'est Chas Addams - en revanche ce n'est pas bizarre: Bradbury, Addams, Mugnaini et à l'occasion Ray Harryhausen formaient une sacrée petite bande de chouettes copains whose sense of humor was a little different from everybody else's.
Je me demande si à présent il leur arrive parfois de se déguiser en fantômes rigolos, pour amuser de petits enfants.

jeudi 19 octobre 2023

Le visionnaire du dictionnaire

 Sir Thomas Browne, vous vous souvenez de lui? est mort le jour anniversaire de sa naissance, comme les gens qui aiment les comptes bien ronds: ce jour anniversaire, c'est aujourd'hui, le 19 octobre. Levons nos verres à sa mémoire.
Quelques comptes ronds à propos de Sir Thomas Browne:
- Selon les éditeurs de l'Oxford English Dictionary, il occupe, dans ce dictionnaire la 69ème place (ou la 70ème, il y a un doute) de la liste des auteurs les plus souvent cités comme source d'un mot.
- 775 (ou 777?) entrées attestent que dans la phrase citée le mot défini apparaît pour la première fois dans la langue anglaise,
- 4131 signalent prudemment que jusqu'à présent les auteurs n'ont pas trouvé de preuve formelle que le mot ait été employé auparavant,
- 1596 fois, il est noté que  Browne emploie pour la première fois dans une nouvelle acception un mot qui était déjà en usage dans une autre.
Quelques exemples de ces apports de Sir Thomas à la langue:

 'ambidextrous', 'antediluvian', 'analogous', 'approximate', 'ascetic', 'anomalous', 'carnivorous', 'coexistence', 'coma', 'compensate', 'computer', 'cryptography', 'cylindrical', 'disruption', 'ergotisms', 'electricity', 'exhaustion', 'ferocious', 'follicle', 'generator', 'gymnastic', 'hallucination', 'herbaceous', 'holocaust', 'insecurity', 'indigenous', 'jocularity', 'literary', 'locomotion', 'medical', 'migrant', 'mucous', 'prairie', 'prostate', 'polarity', 'precocious', 'pubescent', 'therapeutic', 'suicide', 'ulterior', 'ultimate', 'veterinarian'.

Autant de mots qui, dans des écrits du dix-septième siècle, paraissent anachroniquement modernes. On dirait que Browne anticipait les besoins de ses descendants du vingt-et-unième siècle, non?
Ou alors, puisqu'il était si intuitif, il pressentait peut-être qu'un jour Edward Gorey ressentirait le besoin de faire des listes de mots biscornus à faire figurer, dans des banderoles, au-dessus d'animaux également biscornus sur des fresques pour nurseries. Dans ses rêves de zodiographe, Sir Thomas Browne voyait-il des fantods, des Osbick birds ou autres dubious guests?

mardi 17 octobre 2023

Par une nuit étouffante

 Par une nuit étouffante, ou
comment Jeffrey Cartwright a écrit
certains de ses livres
(enfin, au moins un livre)

"La biographie, c'est enfantin", disait Edwin par une nuit étouffante, il n'y a pas longtemps. "Il n'y a qu'à tout mettre dedans." Inutile de rappeler au lecteur l'injustice traditionnelle du tempérament créateur, injustice développée ici jusqu'à la fatuité. Car Edwin ne se contenta pas de cette déclaration, il poursuivit en prétendant (si j'interprète correctement ses remarques embrouillées) que le concept même de biographie est désespérément romanesque, car à la différence de la vie réelle, pleine de points d'interrogation, de passages censurés, d'espaces blancs, de rangées d'astérisques, de paragraphes sautés, et de séries innombrables de points de suspension se perdant dans le silence, la biographie procure une illusion de totalité, un vaste échafaudage de détails organisé par un biographe omniscient dont les aveux occasionnels d'ignorance ou d'incertitude ne nous trompent pas plus que les protestations polies d'une maîtresse de maison nous assurant, au sixième plat d'un luxueux banquet, que non, vraiment, elle ne s'est donné aucun mal.
[...]
Mais je profite de cette occasion pour demander à Edwin, où qu'il soit: n'est-il pas vrai que le biographe accomplit une fonction presque aussi grande, ou même tout aussi grande, si ce n'est en vérité  de loin plus grande que celle  accomplie par l'artiste lui-même? Car l'artiste crée l'œuvre d'art, mais c'est pour ainsi dire le  biographe qui crée l'artiste. Ce qui revient à dire: sans moi existerais-tu le moins du monde, Edwin?


Steven Millhauser:
La Vie trop brève d'Edwin Mullhouse
écrivain américain, 1943-1954,
racontée par Jeffrey Cartwright
,
(Edwin Mullhouse: The Life and Death
of an American Writer 1943–1954,
by Jeffrey Cartwright
- Knopf, 1972),  
traduit par  Didier Coste,
Albin Michel, 1975
ISBN 2-226-00222-7

lundi 16 octobre 2023

Poussière d'étoiles

 Il semble qu'en l'espace de quelques jours, Louise Glück ait rejoint l'Averne, et Hubert Reeves l'astéroïde (9631) qui porte son nom;  il m'est revenu que j'ai essayé d'attirer, jadis sur l'une, naguère sur l'autre,  l'attention des visiteurs de ce blog. La coïncidence m'attriste et m'inquiète; devrais-je  me montrer plus prudent à l'avenir, et ne plus évoquer que des personnages décédés depuis longtemps? Devrais-je éviter de parler de certain écrivain américain né en 1943 (qui se porte bien, heureusement), et n'accorder de louanges qu'à son contemporain à la vie trop brève, Edwin Mullhouse (écrivain américain, 1943-1954), qui lui, au moins, n'a rien à craindre des ciseaux de la Parque?

jeudi 12 octobre 2023

Ressembler à ça

 Lu sur le blog de Kwarkito:

ça me revient,
une fois j’ai vu les portraits de William Utermohlen peints tout au long de sa maladie d’Alzheimer, et j’en ai été très impressionné

et il y a un lien vers un site où l'on peut voir ces portraits de William Utermohlen. Je suis allé voir les portraits en suivant le lien donné par Kwarkito, et j’ai été très impressionné aussi.
"William Utermohlen était un peintre américain. Les médecins lui ont annoncé qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer en 1995. Il a alors 62 ans et décide de se peindre. De réaliser régulièrement des autoportraits jusqu’à la fin de sa vie pour montrer l’évolution et la représentation de soi que l’on peut se faire en étant touché par cette pathologie."

William Utermohlen par William Utermohlen
 Nous n'avons pas la maladie d'Alzheimer, pas encore, pas tous. Pas encore tous.  Mais à quoi ressemblons-nous dans notre tête, quand nous essayons de nous regarder les yeux fermés? À ce que d'habitude nous voyons dans les miroirs? J'en doute.

 

© the estate of William Utermohlen

lundi 9 octobre 2023

Sempéternel

 Hé bien, il semble que vous soyez divisés assez équitablement, chers lecteurs, entre partisans des livres pleins d'images et amateurs de livres pleins de mots. Qui va vous mettre d'accord? Mais Sempé, bien sûr (qui d'autre?).  «En fait, il n’y a pas d’équivalent à Sempé», remarquait naguère Li-An. Du haut de la cime ennuagée où son petit vélo a fini par le conduire, Sempé continue à veiller à notre bien-être en inspirant des éditeurs.

Le numéro 114 de l’Atelier du roman (trimestriel dont il se trouve que c'est aussi le trentième anniversaire) rend hommage à Sempé, un an après son décès. Dans le dossier Sempé pour toujours, contributions de Frédéric Pajak, Benoît Duteurtre, Philippe Delerm, Yves Hersant, Denis Grozdanovitch, Pavel Schmidt, Philippe Garnier...  Ils en parlent beaucoup, du mieux qu'ils peuvent (Frédéric Pajak : « Il connaît par cœur la vanité des grands discours, leur pédantisme. Un dessin, une légende, et tout est dit, comme un coup de poing dans la figure infligé avec une infinie douceur. ») mais ça ne laisse pas beaucoup de place aux dessins...

.... ne partez pas déjà! pour les dessins, il y a Les Cahiers Dessinés (maison d'éditions indispensable, si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer: vous avez déjà leurs cahiers sur Gébé et sur Topor, je suppose?) qui ont publié il y a deux ans les Carnets de Bord  de Sempé, pleins de dessins jamais vus (ce sont des croquis pris sur le vif, des brouillons, des notes, des premiers jets).

Voilà, tout le monde est servi?

 L’Atelier du Roman n° 114

 Sempé, Carnets de Bord
Éditions Les Cahiers Dessinés 2021
ISBN: 979-10-90875-94-4

samedi 7 octobre 2023

Aimer rêver

 

J'aimais bien rêver quand j'étais en vie
Mon cerveau faisait des images

Laura Vazquez

 

Laura Vazquez:
Vous êtes de moins en moins réels,

anthologie 2014-2021,
éditions Points, 2022

EAN 9782757895566

mercredi 4 octobre 2023

En un mundo raro

  Vous aimez aussi les livres sans images d'animaux? Chacun ses goûts, je ne vous juge pas.
Voyons, qu'y a-t-il comme livres nouveaux et intéressants?
Vous ne saviez pas que vous viviez dans un monde étrange, et vous l'avez découvert en lisant Silvina Ocampo; vous pouvez à présent découvrir d'autres nouvelles étranges (venues de la terre et du ciel, encore).
L'édition française a jusqu'à présent dispersé les œuvres de Silvina Ocampo au fil des années chez différents éditeurs: Gallimard (Faits divers de la Terre et du Ciel, Mémoires secrètes d’une poupée), Christian Bourgois (Ceux qui aiment, haïssent; La pluie de feu), Milan (La Tour sans fin), José Corti (Poèmes d’amour désespéré), Folio/Gallimard (La musique de la pluie) et depuis peu les éditions Des Femmes ont entrepris de rassembler les textes qui manquaient encore: La Promesse, Sentinelles de la nuit, Inventions du souvenir (ces deux-là, je vous en ai déjà parlé). Et maintenant Les Répétitions (et autres nouvelles inédites) traduites, comme les trois livres précédents, par Anne Picard: avec des jeux, des rêves, des nuits sans sommeil, des jours de pluie, des musiques, des tigres, il y a du choix.
Lisez Silvina Ocampo (vous voyez, moi aussi quand j'admire je ne crains pas les répétitions), découvrez que nous vivons dans un monde étrange, et ayez peur.

Silvina Ocampo: Les Répétitions
et autres nouvelles inédites

Traduit de l’espagnol par Anne Picard
éditions Des femmes-Antoinette Fouque 2023

EAN 9782721011640

 

lundi 2 octobre 2023

Que chasser?

  Ahuworah! Bonne chasse à tous,
qui suivez la loi de la jungle!
Kipling

 Automne, saison de la chasse. Qu'allons-nous chasser?
Mais voyons, les idées noires, bien sûr (j'en vois qui traînent encore par-ci par-là; tout l'été, on leur a donné  coup d'éventail sur  coup d'éventail, mais ça n'a pas suffi).
Comment? quoi? où?  
Pourquoi ne pas aller voir ces deux expositions: la première est déjà en place (elle a été vernissée la semaine dernière) à l'occasion de la sortie d'un livre qui s'appelle Le serval et la tortue...
C'est quoi, une fable?
Mais non, c'est bien plus excitant que ça (les fables, on en fait vite le tour, même à une allure de tortue): c'est le catalogue des gravures de Gilles Aillaud, et la galerie Métamorphoses, 17 rue Jacob, les expose, ces gravures.

Vous avez tout le mois d'octobre, et même un peu de novembre! Vous repartirez avec ce Catalogue Raisonné, et vous constaterez (j'espère) qu'un coup de catalogue plein de jolies images c'est plus efficace qu'un coup d'éventail, pour estourbir une idée noire; mais peut-être, ensuite, vous direz-vous: "Les gravures c'est bien, mais il me semblait qu'il avait fait des dessins aussi, Gilles Aillaud? Et des peintures, des huiles, des acryliques, d'autres trucs?"

Vous avez parfaitement raison, vous pourrez en voir, des peintures, et cette fois au centre Pompidou, à partir de cette semaine et jusqu'au 26 février 2024, pour cette expo-là, "Gilles Aillaud animal politique" (quel titre!) vous pourrez prendre votre temps.

On récapitule (hé oui, tout ça c'est à Paris):
À la librairie-galerie Métamorphoses, pour la sortie du livre Gilles Aillaud, Le serval et la tortue, catalogue raisonné de l’œuvre gravé, texte de Jean-Christophe Bailly, édition établie par Ianna Andréadis, Métamorphoses, 2023 (oui, tout ça), exposition jusqu'au 18 novembre 2023;
Au Centre Pompidou, exposition Gilles Aillaud animal politique, du 4 octobre 2023 au 26 février 2024 - 11h - 21h, tous les jours sauf mardis (et vous pouvez parier que là aussi, vous trouverez tout un choix de livres, catalogues, lithos, cartes et affiches à mettre dans votre gibecière).

Genette, lithographie extraite du tome 2 de l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux, Atelier Franck Bordas imprimeur-éditeur, 1989  © ADAGP, Paris, 2023