Affichage des articles dont le libellé est HF. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est HF. Afficher tous les articles

samedi 15 mars 2025

Rien que pour Meyzieu

 Je manquerais à mes devoirs si je ne vous signalais pas Les Oniriques, les 22 et 23 Mars à Meyzieu (à côté de Lyon).
Rendez vous compte: parmi une flopée d'invités prestigieux (je ne peux pas les citer tous mais ils gagnent tous à être connus) il y aura Fabien Vehlmann (qu'on ne présente plus) et... Patrick K. Dewdney! Oui, le grand Patrick Dewdney, l'auteur du Cycle de Syffe (dont il faudra absolument que je vous parle un jour... tiens, il me semble que j'ai déjà employé cette formule à propos de plusieurs livres...). 

MEDIATHEQUE MUNICIPALE DE MEYZIEU,
27 Rue Louis Saulnier  69883 Meyzieu
Tél. : 04 37 44 30 70 

mercredi 18 décembre 2024

Calendrier de Pas-en-Avance

 Oh la la, la saison où, sur les blogs sérieux, on suggère des listes de livres à déposer au pied du sapin est de retour!
Yossarian, par exemple, propose, images à l'appui, neuf titres que je n'ai pas eu l'occasion de lire ni même de feuilleter:
Tiny Tango, de Judith Moffett; Conque, de Perrine Tripier; Les champs de la Lune, de Catherine Dufour, OVNI 78, de la bande à Wu Ming; La maison des soleils, d'Alastair Reynolds; Pour mourir, le monde, de Yan Lespoux; Pays de fantômes, de Margaret Killjoy; Un détail mineur, d'Adania Shibli; Jour de ressac, de Maylis de Kerangal...
... et seulement deux que j'ai lus: La sonde et la taille de Laurent Mantese et Le voyage de Shuna de Hayao Miyazaki. Comme ces deux-là, je vous les aurais moi aussi signalés (j'en reparlerai, si, si!), et puisque Yossarian ne recommande pas n'importe quoi (en général), je fais un geste un peu vague dans la direction de son blog (il les tous chroniqués; cliquez sur les images!)


Tiens, puis qu'on parle de sapin, je m'avise que je ne vous ai pas encore parlé d'Eliza Shua Dusapin (ça aussi, j'aurais dû!) sa bibliographie est courte mais bonne, cherchez-la sur le net!

 

lundi 4 novembre 2024

Comme un trou dans un paysage

 Les Frères Hildebrandt font depuis si longtemps partie du paysage de la Fantasy que je les imaginais vivant hors du temps, dans quelque trou de Hobbit équitablement partagé et astucieusement aménagé (un tabouret pour Tim, un tabouret pour Greg, et, sur une très grande table, assez de godets et de pots à pinceaux pour soixante personnes - ils travaillaient "à l'ancienne"). Je viens seulement de réaliser, avec un certain retard (quatre jours, ou dix-huit ans, selon la perspective qu'on adopte) en lisant le blog d'imaginos, qu'ils n'étaient ni si inséparables ni si inaltérables que ça.

Ainsi parla Imaginos:

"L’illustrateur Greg Hildebrandt,
bien connu pour ses œuvres (seul ou avec son frère Tim)
dans le domaine de la fantasy,
mais qui illustra également (entre autres)
la jaquette de l’album Mob Rules de Black Sabbath,
est mort hier (31 octobre),
plus de dix-huit ans après son jumeau.
Il avait 85 ans."

Hé oui, c'est eux deux qui ont fait ça.

 image © Greg et Tim Hildebrandt (et la Force sait combien d'autres copyrigh-holders)

 

dimanche 3 mars 2024

Entends, enfant, la douce Nuit qui marche (Ursula Le Guin, 11)

 Janvier er Février sont vite passés, et nous voilà déjà en Mars! Sommes-nous en retard? Mais non, c'est toujours le bon moment pour lire un livre d'Ursula Le Guin.

Quel titre donner à un recueil où il est question d'Elfland, de Poughkeepsie, de Virginia Woolf, des qualités nutritives du plastique, de la fluidité de la notion de genre (littéraire ou pas littéraire), et d'autres notions encore?
La réponse: Le langage de la nuit.

Le langage de la nuit est la traduction (ça, vous l'aviez sans doute deviné) du recueil  de textes (pas de fictions!) The Language of the Night.
Comme Martin Winckler, qui a écrit la préface de cette édition, je n'ai pas eu l'occasion de poser à Ursula Le Guin toutes les questions que j'aurais voulu lui poser.  Mais qui l'a eue, cette occasion? Elle s'est soumise avec le sourire à des interrogatoires. Elle en a donné, des interviews, des interventions, des tonnes. Si on recommençait, chaque question en entraînerait une autre, et, graduellement, inévitablement, la qualité des questions se dégraderait. Dans les essais, préfaces et conférences réunis dans ce volume, Ursula Le Guin se débarrasse d'un revers de main de beaucoup de questions; sagement, elle donne à des questions qu'on ne lui a pas posées des réponses qui n'ont pas l'air de réponses; ou encore, elle invite le lecteur à un jeu, qui est de deviner à quelle question elle répond, par exemple quand elle cite Dunsany: "au loin, à l'est, s'étend un désert que nul homme ne foule".
Ou bien: "je voyais deux petites figures, fort lointaines, perdues dans un immense désert de glace et de neige".
Ou encore: "j'ai donné à trois petites îles les noms de mes enfants - leurs surnoms quand ils étaient bébés".
Ou quand elle nous apprend (cette fois dans une des nouvelles du cycle de Terremer) que dans la Langue de la Création (sans la connaissance de laquelle il est vain d'espérer faire de la magie) tolk est le mot qui désigne une pierre.
Tolk: une pierre. Sur une pierre, on peut poser ce qu'on veut.
"Madame, madame, s'il vous plaît, est-ce que la question c'était: avec quoi est-ce qu'on bâtit une cathédrale?"
Elle sourit et passe à autre chose.
Par exemple: "Il s'agissait de savoir, je vous le rappelle, s'il était au fond souhaitable qu'un livre de science-fiction fût un roman".

Est-il souhaitable de mettre dans un livre tout ce qu'il faut pour se faire, dans sa tête, des romans, et puis d'appeler ça "livre de science-fiction", ou "roman", ou "recueil  de textes", ou tout ce que l'on veut ? Réponse dans Le langage de la nuit.


Ursula Le Guin: Le langage de la nuit;
The Language of the Night, Essays on Writing,
Science Fiction, and Fantasy
,
Première édition 1979 (Putnam),
édition révisée en 1992 (HarperCollins),
rééditée en 2024 (Scribner)
Traduction de Francis Guévremont,
Aux forges de Vulcain
ISBN : 978-2-373050-17-2

Citations extraites d'Ursula Le Guin, Le langage de la nuit

mardi 1 août 2023

Real treasures (the friends we made along the way)

Un nouveau mois commence: essayons d'y entrer du bon pied. Voyons si, quelque part, l'horizon s'éclaircit... Ah mais oui, quelques trouées dans les nuages, mais assez loin d'ici, du côté des mondes imaginaires.

Vous vous en souvenez, il y a quelques années (à propos de "Valérian et Laureline"),  Phersv et  votre serviteur étaient tombés à peu près d'accord sur une formule pas trop compromettante:
"Pour faire court, ce n'est pas si mal". 

Le nouveau film D&D (Donjons & Dragons : L'honneur des voleurs) n'est pas exempt de défauts, mais si on le juge pour ce qu'il est: une transposition un peu ironique de ce qui se passerait sur un plateau de jeu si on prêtait vie à toutes les figurines, petites et grosses (ce n'est pas si facile: pour lancer un sort pareil et le faire durer deux heures, quarorze minutes, et pas une minute de moins, il faut être au moins niveau 25),  et non pas, surtout pas, une saga-de-fantasy-qui-se-prend-au-sérieux comme on en produit maintenant à la chaîne,  on s'amuse bien devant l'écran. Je dirai donc cette fois:
"Pour faire court, ce n'est pas mal du tout";
un peu plus téméraire en cela que Phersv, qui se demande carrément... pourquoi il a aimé. Mais après avoir fait quelques réserves, comme on pouvait s'y attendre, Phersv en parle bien (et en bien).

Et il n'est pas le seul. Que dit, par exemple, Laurent Kloetzer?
"...nous autres, les rôlistes, aimons en particulier certains films, qu'on qualifierait volontiers de "films de rôlistes" : qui mettent en scène une bande de personnages héroïques, un peu décalés parfois, qui échangent entre eux des blagues méta sur ce qui se passe et construisent des plans improbables qui parfois échouent - mettons Chevalier, ou Les Goonies, ou Princess Bride, ou la série The Expanse... Je suis sûr que vous en trouverez plein d'autres dans vos mémoires."  Cedric Ferrand évoque, lui, les Gardiens de la Galaxie. On pourrait aussi suggérer le Starship Troopers de Verhoeven, construit comme un film de propagande pour le recrutement et adoptant en surface les codes du film de guerre: en résumé, tous ces films, si on s'arrête à leur premier degré, on rate quelque chose. 

En fait, tous ceux qui font partie du public-cible de ce film (Phersv, Imaginos, Laurent Kloetzer, Cedric Ferrand... et  votre serviteur)  sont allés le voir "un peu à reculons", échaudés par les affligeantes tentatives précédentes (Profion, que ton nom ne soit plus!). Et tous, ou peu s'en faut, en sont ressortis en esquissant des pas de danse et en grattant des instruments à cordes imaginaires.  Moi-même, regardez-moi bien: ne suis-je pas en train de danser avec grâce et de tirer des sons harmonieux de mon luth?   (mille pets de dragon, ne me déconcentrez donc pas pendant que je lance ce sort que j'ai eu un mal fou à mémoriser!).

 

mercredi 11 janvier 2023

Éditions nouvelles, nouvelles éditions

 Peut-être vous en souvenez-vous? Il y a neuf ans (ouf! déjà?) j'avais mentionné les éditions CMDE (Collectif des Métiers de l’Édition) dans un billet à propos de Julio Cortazar. Cette  maison d'édition a un nouveau nom: Ici-bas, et un site tout neuf (La racine de l'Ombù figure toujours au catalogue, parmi d'autres choses intéressantes).

Quant au roman de Sofia Samatar, Un étranger en Olondre, je vous l'avais signalé il y a quelques mois: il a trouvé un nouvel éditeur, Argyll, qui, non content d'avoir un catalogue déjà bien fourni, se fait remarquer par la sobre élégance de ses couvertures; à mon avis, la nouvelle présentation d'Un étranger en Olondre est plus réussie que celle de la précédente édition, alors cette fois, ne le ratez pas!


Mais, me direz-vous, n'y a-t-il pas aussi des maisons d'édition qui n'ont pas changé de nom et/ou qui vont publier des livres encore jamais parus? Ma foi oui: très bientôt (la semaine prochaine si tout va bien) les célèbres Moutons électriques vont publier un nouveau roman de  Jean-Philippe Jaworski: Le Tournoi des Preux (un roman qui aura des suites, car l'inventeur du Vieux Royaume, vous l'avez sans doute déjà remarqué, a de la suite dans les idées) et l'illustre Bélial' le troisième tome de La maison des jeux, de Claire North, dont les deux premiers tomes ont été (pour moi) deux des meilleures surprises de 2022. Mais ceux-là, il vaudra mieux que je vous en parle quand ils seront là, vous ne pensez pas?

mardi 19 juillet 2022

C'est quoi le féminin de challenge?

 Vert (de Nevertwhere) a proposé un(e?) challenge dont "le principe est simple: présenter soit dix ouvrages écrits par des autrices et appartenant aux littératures de l’imaginaire (SF, fantasy, fantastique) soit dix autrices de littératures de l’imaginaire qui sont pour vous incontournables, quelle qu’en soit la raison". Et le défi a déjà été relevé des dizaines de fois, bientôt une centaine: allez voir la liste ici.

On va dire que Mary Shelley est hors concours, parce que ce serait un peu comme si, dans une course de trottinettes électriques, on inscrivait une De Lorean gonflée au plutonium, non?

Dans la catégorie "Incontournables de tous les temps toutes catégories confondues", il y aurait évidemment Ursula K. Le Guin, Leigh Brackett, Catherine L. Moore: tout le monde (ou presque) est d'accord là dessus, moi le premier: ça m'en fait trois.

Dans la catégorie "Petites Nouvelles" (pas si petites ni forcément si nouvelles que ça, mais vous voyez ce que je veux dire) il y a plus de choix: souvent citées (mais moins souvent que les Grandes Anciennes, en raison de la concurrence), Emily St. John Mandel, Octavia Butler, Becky Chambers, Nnedi Okorafor, Martha Wells, Emma Newman (des choix auxquels j'adhère tout à fait), plus celles dont je n'ai jamais rien lu alors je m'abstiens; je vais donc me limiter à mes chouchoutes préférées (celles dont je n'ai pas pu m'empêcher de vous parler déjà sur ce blog - cherchez, vous verrez!), Kij Johnson, Jo Walton, Claire Duvivier; encore trois.

Ça ne vous a pas échappé, bien sûr: entre la première et la deuxième catégorie il y a un vide de pas mal d'années. Pour ces incontournables des années 1960-2000, j'ai passé mon tour parce qu'il y en a vraiment trop et elles ont toutes trouvé au moins un champion ou une championne pour les défendre.

La troisième catégorie...  Au moment de définir un champ de recherche, j'avais été vaguement tenté par l'idée d'une catégorie "Marginales, aux frontières de la SFF un pied dehors un pied dedans": Doris Lessing, Léonora Carrington... peut-être même Catherine Dufour, qui met les pieds un peu partout? Puis je me suis dit que ce n'était pas ça qu'on attendait, et qu'il valait mieux rester dans la SFF pure et dure. La troisième catégorie, donc, sera celle des "Pas assez souvent citées à mon goût dans les autres listes": mon choix, ce sera Angelica Gorodischer, James Tiptree (Junior!), et Tanith Lee. Regardez fixement mon pendule et allez voter pour elles!

Mais on en est déjà à neuf, et je n'ai encore cité que des noms sur lesquels existe déjà un consensus... ça ne me ressemble pas! Il est temps d'ajouter un greffon à cet arbre généalogique, au moins une autrice dont personne n'a encore parlé, sinon à quoi bon?

Plongeons dans l'abîme du temps. Il y a quarante ans et des poussières, je découvrais dans un fanzine (polycopié, comme on faisait à l'époque!), une nouvelle brève, mais marquante: Roubia. Il y avait certes de nombreux points communs entre ce texte et le fameux Journal d'un monstre, de Richard Matheson (que justement j'avais lu peu de temps avant). Mais le ton et le rythme étaient suffisamment originaux pour que je ne sois pas tenté d'y voir une volonté de pastiche ou même d'hommage; une influence, tout au plus. L'auteur? Une certaine Josiane Bala.... Balala... Balaskowitz, voilà. On commençait alors à parler d'une quasi-homonyme, une comédienne nommée Josiane Balasko, mais, sûrement, aucun rapport (les comédiennes n'écrivent pas de nouvelles de SFF, n'est-ce pas?). Je m'attendais à revoir un jour cette signature, car Roubia c'était un bon début; mais le temps passa, et je n'entendis plus jamais parler d'une écrivaine de SFF nommée Balaskowitz. Et puis, l'année dernière, surprise: Josiane Balasko, ne trouvant plus assez de cabines téléphoniques pour se changer (le monde change, les super-héroïnes doivent s'adapter), décide de révéler son identité secrète: c'est elle, la mystérieuse Josiane Balaskowitz! Elle vient de publier un recueil de nouvelles ("fantastiques" au sens large) intitulé Jamaiplu.

Pourquoi l'ajouter à ma liste? La réponse est évidente: la nostalgie, camarade (pour l'odeur de l'encre des fanzines polycopiés). Et puis, Vert a dit "quelle qu’en soit la raison", alors j'ai le droit. Et ça fait dix.


vendredi 28 janvier 2022

Au pays où le livre s'appelle "vallon"

 Une bonne nouvelle de temps en temps, ça ne fait pas de mal, non?

Il y aura bientôt deux ans, après vous avoir dit beaucoup de bien du roman de Sofia Samatar, Un étranger en Olondre, je vous prévenais que l'éditeur qui avait pris l'initiative de faire traduire cet excellent livre "avait eu de gros problèmes et que leur site de vente en ligne n'existait plus" (requiescant in pace, Éditions de l'Instant); depuis, les toutes jeunes Éditions Argyll (toutes jeunes, mais elles ont déjà un catalogue intéressant, jetez-y un coup d'œil) en ont annoncé la réédition, chez elles, sous une élégante nouvelle présentation, pour le 22 avril prochain!  Tout ne sera donc pas sombre, en avril.

Sofia Samatar: Un étranger en Olondre,

traduit de l’anglais par Patrick Dechesne,

Éditions Argyll, 2022 (à paraître)



samedi 14 août 2021

Lys de Gueules sur Champ d'Argent

 

C'est une triste nouvelle (une de plus… ça commence à faire beaucoup) que nous apprend le blog Anniceris: la disparition d'un des plus sympathiques des auteurs de jeux de rôle, Steve Perrin. Phersv nous rappelle qu'il ne fut pas seulement un des créateurs du monde de Glorantha, mais aussi un des fondateurs de la Society for Creative Anachronism, une de ces inventions improbables qui prouvent que, si le monde tel qu'il est fonctionne plutôt mal, il est possible d'y introduire des vistemboirs construits de bric et de broc qui, eux, fonctionnent plutôt bien.  Être un des plus sympathiques représentants d'une corporation qui n'admet en son sein que des gens sympathiques, ça ne lui suffisait pas: il formait avec Luise Perenne un couple si beau qu'il semblait lui aussi presque improbable: qu'ils soient remerciés d'avoir prouvé qu'improbable n'est pas la même chose qu'impossible.
On ne peut que reprendre la conclusion du billet d'Anniceris: toutes nos pensées vont vers Luise.

 

 Après Grognardia, sur Advanced Designers and Dragons Shannon Applecline fait une rétrospective de la carrière de Steve Perrin, et le site de Chaosium revient en une série de six épisodes sur son rôle dans la genèse de RuneQuest (merci pour les liens à Imaginos).

samedi 24 avril 2021

Corona Heights dans un monde-miroir

 

Vous vous souvenez de Fritz Leiber… comment auriez-vous pu l'oublier? C'est à cause de lui que (dans des mondes alternatifs) vous vous êtes si souvent fondu dans l'ombre, cachant sous les plis de votre cape grise une dague en forme de griffe… que vous avez empli tant de tavernes de votre rire tonitruant, en balançant négligemment au bout d'un bras interminable votre hache à deux tranchants…  Fritz Leiber…  mais peut-être avez-vous oublié certaines choses le concernant?
Le Blog des Chats, fidèle à sa mission de sauvegarde mémorielle, a consacré cette semaine à Fritz Leiber, sous un angle particulier: inventorier les traces laissées dans l'Histoire par les Serpents et les Araignées… Lisez donc les billets de cette semaine, faites une pause, puis revenez au début: ce sera l'occasion de vérifier lesquels de vos souvenirs correspondent encore à une réalité soumise à des modifications permanentes.


 

mercredi 29 juillet 2020

L'Imitation de la Voix Humaine (Un étranger en Olondre, de Sofia Samatar)




Il y a tellement de merveilles dans le Nord, 
tellement de miracles. 
Vous devez en avoir entendu parler
Sofia SamatarUn étranger en Olondre




Un peu comme le narrateur d'Un long voyage, des circonstances historiques dont l'ampleur le dépasse ont soumis celui d'Un étranger en Olondre à la loi d'un Empire trop grand pour attacher beaucoup d'importance à ceux qui vivent sur ses marges. Et comme lui, il est fasciné par cet Empire, sans bien le comprendre.

Fils d'un planteur de poivre, Jevick est né sur l'île de Tinimavet, dans l'archipel du Thé.
Le père de Jevick, un homme sévère, engage un précepteur venu de la lointaine Olondre, séparée de sa petite île par bien plus de choses qu'un simple bras de mer.
- Mon fils, dit-il, tu as de la chance. Un jour, quand cette ferme t'appartiendra, tu te sentira parfaitement à l'aise dans les rues de Bain et tu ne te feras jamais escroquer au marché aux épices. Oui, je veux que tu acquières l'éducation d'un gentilhomme de Bain. Le grand dégingandé t'apprendra à parler olondrien et à lire dans les livres.

Le grand dégingandé s'attache vite à son élève, et un jour, il lui fait cadeau d'un livre. Mais, surprise! Les pages du livre sont toutes blanches.

… Finalement, il s'inclina dans ma direction, puis, se courbant sur mon livre, y inscrivit soigneusement cinq signes complexes.
Je comprenais à présent que mon maître désirait m'apprendre les chiffres qu'utilisaient les Olondriens et leur façon de tenir les comptes en alignant, comme il le faisait, des nombres dans de petites rangées bien nettes. Je m'inclinai prestement, imaginant la fierté de mon père lorsqu'il verrait son fils écrire des sommes sur le papier, tout comme le ferait un gentilhomme de Bain. Secrètement, j'avais cependant bien des doutes. Ainsi, bien que le livre fût bien plus facile à transporter que les blocs de bois sur lesquels nous écrivons en nous servant d'une pointe de fer chauffée à blanc, il me semblait qu'il pourrait être aisément détruit par l'eau de mer, que l'encre pouvait couler et que c'était une manière bien peu convaincante de tenir des comptes. Néanmoins, ces signes, cannelés comme des coquillages, me captivaient tellement que mon maître s'esclaffa en me tapotant l'épaule. Je déplaçai lentement mon doigt le long de la gracieuse rangée de chiffres, mémorisant les formes étrangères des nombres un à cinq.
- Shevick, dit mon maître.
Comme d'habitude, il avait mal prononcé mon nom. Je jetai un œil dans sa direction, attendant ses instructions.
- Shevick, répéta-t-il, désignant les signes sur la page.
Je répondis fièrement, dans sa propre langue:
- Un, deux, trois, quatre, cinq.
Il secoua la tête.
- Shevick, Shevick, insista-t-il en tapotant la page.
Je fronçai les sourcils et haussai les épaules.
- Pardonnez-moi, Tchavi, je ne comprends pas.
Mon maître leva les mains, paumes ouvertes, et les agita doucement dans l'air, me montrant qu'il n'était pas fâché.
Ensuite, il se pencha patiemment sur le livre.
- Sh, dit-il, pointant de on porte-plume le premier signe sur la page.
Ensuite, il avança son instrument jusqu'au second signe et dit distinctement:
- Eh.
Ce ne fut que lorsqu'il eut désigné plusieurs fois chaque signe, répétant consciencieusement mon nom, que je compris avec horreur que j'étais en présence d'une sorcellerie, que les signes n'étaient absolument pas des chiffres mais qu'en réalité ils parlaient, à la manière des harpes de Tyom à une corde, qui peuvent imiter la voix humaine et qui sont surnommées "les sœurs du vent".
Malgré la lourdeur et la chaleur de l'air provenant du jardin, mon dos et mes épaules se glacèrent. Je regardai fixement mon maître, qui me fixait en retour de ses yeux sages et cristallins.
- N'aie pas peur, dit-il.
Il souriait, mais son visage semblait triste et peiné. Dans le jardin, j'entendis le son du Tetchi se dérobant au milieu des feuilles.

Jevick savait déjà beaucoup de choses sur le monde surnaturel.
Que la sorcellerie et la magie existent, Jevick s'était imprégné de cette idée en tétant le lait de sa mère, aimante et religieuse; il savait qu'on se protège du mauvais sort en portant des amulettes de cuir et de fer, qu'on éloigne les fantômes en faisant brûler certaines herbes secrètes, tandis que faire brûler du fenouil rend les prières aux Dieux plus efficaces;  qu'il y a des mots qu'il ne faut pas prononcer et d'autres qu'on ne doit pas entendre.
Il apprendra au cours de son long voyage que le monde contient encore bien d'autres sortilèges et qu'il est des fantômes qu'on n'exorcise pas par des offrandes de parfums.
Il se prendra aussi d'un amour inconditionnel pour les livres.

"Un livre, nous dit Vandos d'Ur-Amakir, est une forteresse, un lieu empli de pleurs, la clé d'un désert, une rivière dépourvue de pont, un jardin de ronces."
Fanlewas le Sage, le grand théologien d'Avalei, écrit que Kuidva, le dieu des Mots, est "un maître exigeant, porteur d'un fouet plombé."
On raconte que Tala d'Yenith conservait ses livres dans un coffre en acier qui ne pouvait être ouvert en sa présence, sous peine de la voir  s'écrouler au sol en hurlant. Elle écrivit: "À l'intérieur des pages se trouvent des feux qui peuvent embraser, roussir les cheveux et cuire les paupières".

Le mot pour "livre" dans tous les langages connus à travers le monde est vallon, "la chambre des mots", le mot olondrien pour cet objet d'art et d'enchantement. Un jour le fantôme attaché aux pas de Jevick lui dira: "Écris-moi un vallon! Écris-le pour moi"
Jevick traversera bien des épreuves (la moindre n'étant pas de se découvrir étranger partout où il avait cru, un moment, être chez lui), mais il n'oubliera pas la promesse que lui a arrachée le cri de détresse du fantôme.

Ai-je vraiment besoin de vous en dire plus?
 
Sofia Samatar raconte que l'écriture de ce premier roman s'est étalée sur dix ans; dans des interviews, elle évoque l'importance qu'eurent pour elle, dans ses jeunes années, les œuvres d'Ursula Le Guin, Tolkien, Jack Vance et Mervyn Peake. Comme Claire Duvivier et Angélica Gorodischer, qui revendiquent les mêmes influences, l'élan initial qu'elles lui ont donné lui a permis de trouver sa propre voix, une voix puissamment originale, pour décrire avec des mots simples une société complexe, ses enchantements et ses malheurs, ses sagesses et ses folies, ses tragédies et ses ridicules; et la traduction de Patrick Duchesne rend bien la fluidité de son écriture.

Il semble que les Éditions de l'Instant, qui ont eu la bonne idée de publier cette version française d'un livre qui a été remarqué dans les pays de langue anglaise (World Fantasy Award, British Fantasy Award...), un peu moins dans notre pays, aient eu récemment de gros problèmes, et leur site de vente en ligne n'existe plus; mais on trouve encore leurs livres, en fouillant coins et recoins, cherchez bien.
Ne faites pas comme les fanatiques qui s'entre-déchirent au pays d'Olondre: ne vous refusez pas le plaisir de cette lecture.



Le bon vin de Lan-ling, parfumé au curcuma
Ma coupe de jade est remplie de sa lueur ambrée
L’invité, par son hôte enivré,
En oublie qu’il est en pays étranger
Li Bai, poème composé en voyage


Sofia Samatar, Un étranger à Olondre 
(A Stranger in Olondria, 2013)
 traduit par Patrick Duchesne, 
Les éditions de l'Instant, 2016
ISBN  978-2930853-00-0

lundi 27 juillet 2020

Un long voyage, de Claire Duvivier


"Le jour où Malvine Zélina de Félarasie débarqua sur le port de Tanitamo, ce n'est pas elle qui attira les regards, mais le recteur Balateste, qui descendit la rampe du bateau d'un pas conquérant, passa devant les administrateurs de la concession sagement alignés, donna à Pondaire une accolade précipitée qui arracha la canne des mains de l'ancien, puis se lança aussitôt dans un discours, assurant à son auditoire qu'ils étaient l'honneur et la fierté de l'Empire."

Quand on est sujet d'un Empire, il est fortement recommandé d'en être fier.
"Être l'honneur et la fierté de l'Empire", ça, en revanche, c'est un peu un luxe: la majorité des sujets d'empires comprennent vite qu'il n'y a pas que des avantages à s'y faire remarquer, à sortir du rang, rester sagement aligné est plus prudent.
Les événements racontés dans Un long voyage le sont (au soir de sa vie) par Liesse, qui, jeune imprudent, s'est un jour fait remarquer - sans même l'avoir cherché.

Comme dans Kalpa Impérial et dans Un étranger en Olondre, l'idéologie qui naît du concept d'empire est questionnée (mais discrètement, sans que cela prenne trop de place) dans Un long voyage.
Visiblement, ces trois ouvrages appartiennent au genre appelé "fantasy", c'est-à dire que les choses et les gens y ont des noms exotiques, les paysages sont insolites et grandioses, et les lois de la physique sont légèrement différentes de celles de notre monde (mais pas celles de la causalité, ni celles de l'économie ou de la sociologie).
Manquent les chevaliers obsédés par le point d'honneur, les rois soucieux de légitimité dynastique, les chanceliers préoccupés par l'intempérance des dragons, les créatures à forme vaguement humaine mais surabondamment pourvues de poils et de crocs, les magiciens de diverses nuances de gris et les fées bénéfiques ou maléfiques: mais on peut très bien - ces trois livres le prouvent - écrire de la fantasy sans rien de tout cela.

Les premiers chapitres nous présentent une galerie de personnages pittoresques, que notre narrateur, alors qu'il était encore un adolescent naïf, a classés candidement selon qu'ils se sont montrés avec lui plus ou moins amicaux, selon le degré de familiarité qu'ils lui ont permis, selon la plus ou moins grande facilité qu'il a eu à les comprendre. Et à vrai dire, il ne les a pas très bien compris: le lecteur aura souvent un temps d'avance sur lui, car des recteurs Balateste, des Andriet Pondaire, des Dalione Flécheret, des Merle Pyrart, des Eguyon Vilherbe (des noms exotiques, qu'est-ce que je  vous disais?), si pour Liesse ils sont des énigmes au moment où il les rencontre, nous, dès leur première apparition nous les reconnaissons car nous les avons déjà rencontrés, tous, sous d'autres noms mais avec les mêmes ambitions minuscules, craintes disproportionnées, espérances vagues et regrets inexprimés, n'est-ce pas?

Il est grand temps qu'au second chapitre Malvine Zélina de Félarasie débarque: elle, au moins, elle restera longtemps une séduisante énigme pour nous lecteurs comme pour le narrateur nostalgique qui ne cache pas l'admiration qu'il a éprouvée pour elle.
Assez rapidement, le lecteur se fera une idée de ce que peut être Malvine Zélina de Félarasie: un personnage "en avance sur son temps" (de quelle façon et jusqu'à quel point "en avance sur son temps"? Allons, je ne vais pas vous révéler tous les secrets du livre).
En fait, le mystère se déplacera au cours du roman, de la personnalité complexe et fascinante de Malvine vers… autre chose. Nous y sommes: le sujet du roman, c'est un déplacement de mystère, un glissement (comme dans d'autres romans il y a des glissements de temps, par exemple sur Mars). Le drame de la dame de Félarasie, c'est d'avoir raison à contre-temps.

Les auteurs de fantasy sont souvent tiraillés entre deux impératifs contradictoires; d'une part, construire un monde cohérent, mais différent du nôtre; d'autre part, aider le lecteur à s'identifier aux principaux protagonistes. 
Tel récit se passe dans une société où il est de bon ton d'accrocher les têtes coupées de ses ennemis à la queue de son cheval, soit;  mais il vaudra mieux, cependant, pour faciliter l'identification, qu'un des personnages qu'on veut désigner comme positifs trouve des réserves à faire sur cette pratique.
Inversement, dans une société figée dans un système hiérarchique, aucun lecteur ne sera surpris qu'un ou une jeune ambitieux(se) cherche à bousculer les règles; il faudra pourtant que l'auteur, en décrivant cette société, nous convainque que tout n'y est pas dysfonctionnel, qu'elle parvient tout de même à avancer cahin-caha.

Au cours du long voyage auquel nous convie Claire Duvivier, elle nous fera visiter un monde franchement déroutant (la sensation de familiarité que nous avons ressentie dans les premiers chapitres était un leurre!),  et nous présentera les réactions, tant individuelles que collectives, aux mutations qu'il connaîtra, d'une façon parfaitement crédible.  De ce point de vue (et d'autres) ce livre est une réussite.

Je hasarde l'idée qu'une des clés du roman se trouve dans ce paragraphe:
[…] c'est que cette histoire est une histoire insulaire. À ce titre, elle obéit à une structure comparable à celle de nos chants, ou plutôt de nos pièces de théâtre; je ne sais quel terme d'armique utiliser au juste. Tu dois savoir, ma hiératique, que ces spectacles, dans les peuplements, se déroulent toujours en deux fois: d'abord, les acteurs déclament l'histoire, qu'il s'agisse d'une fable, d'un récit historique ou d'une romance. C'est la partie principale du spectacle. Suit alors une sorte d'entracte musical qui marque la fin de ce premier acte, ce qu'on appelle l'uraupa. Mais la soirée ne se termine pas là. La pièce est rejouée; dans les villages, ce sont des enfants qui s'en chargent et qui improvisent; à Tanitamo, ce sont des comédiens dont c'est la spécialité. Bien sûr, ce n'est pas exactement la même pièce; l'idée est plutôt de la revisiter, de façon naïve et volontairement simpliste. On rit souvent lors de cette deuxième partie, mais pas toujours; il ne s'agit pas de faire succéder la comédie au drame, comme l'écrivent les continentaux qui ont pu assister à ces spectacles. Mais plutôt de passer du grandiose au trivial pour nous rappeler que nous ne sommes que des humains, et non les dieux et les héros de la première partie.

Ce n'est pas dépouiller le roman de son mystère que de révéler qu'il raconte sous la forme d'une longue lettre-testament (ce qui explique l'apostrophe qui vous a peut-être intrigués: tu dois savoir, ma hiératique) l'histoire d'une personne disparue qui, en l'espace de deux générations, est devenue une figure légendaire; il n'en néglige ni les scènes grandioses ou dramatiques ni les aspect triviaux (et la voix du vieux narrateur a quelque chose de celle d'un enfant éternel, qui revisiterait un conte un peu comme, après l'uraupa, cela se fait dans les villages).

Je ne suis pas seul à avoir été séduit par ce livre: Gromovar, le Wolfenheir, se demande; "Qui est Gémétous et pourquoi se confier à elle ?" Bonne question.
Anne, sur Un dernier livre avant la fin du monde, en parlait dès l'annonce de sa sortie (il est paru pendant le confinement! si vous ne le voyez pas sur la table, à présent encombrée, des dernières nouveautés, réclamez-le à votre libraire)  avec un enthousiasme communicatif.
Ai-je réussi à vous communiquer le mien? Je l'espère.




Claire Duvivier, Un long voyage
2020, éditions Aux forges de Vulcain
ISBN : 9782373050806

vendredi 24 juillet 2020

Kalpa Impérial: regarder un sablier (Angélica Gorodischer, 2; Ursula Le Guin, 10)


Celui qui regarde un sablier 
voit la dissolution d’un empire.
Jorge Luis Borges,  
Le Chiffre (La Cifra)

Donc cette ville avait des rois […]
Étaient-ils méchants? Non. Ils étaient rois.
Victor Hugo,  
La Ville Disparue, dans La Légende des Siècles


"Traduit dans le monde entier, notamment en anglais par Ursula K. Le Guin, ce chef-d'oeuvre inclassable fait songer au cycle de Gormenghast de Mervyn Peake ou aux Villes invisibles d'Italo Calvino.L'éditeur de ce recueil multiplie les comparaisons ( "une Doris Lessing argentine", "on songe à Alfred Jarry, à Italo calvino…") et nombre des ses lecteurs enthousiastes le suivent sur ce terrain, invoquant Borges, Kafka, Buzzatti…
Même Nébal, souverain de Nébalia, un empire qu'il a fondé et qu'il peuple à lui tout seul jusque dans ses moindres recoins (on peut donc supposer qu'il entend quelque chose à la conduite des empires), qui déborde d'enthousiasme pour ce roman, tombe un peu dans ce travers ("à la manière des Villes invisibles d’Italo Calvino"…)
Un blogueur qui ne mâche pas ses mots, Apophis  écrivait récemment (décrivant le même phénomène mais à propos d'un autre livre):
Franchement, il faut que les éditeurs, aussi bien anglo-saxons que français, arrêtent avec ce genre de marketing à la noix, parce qu’à force de prendre le consommateur pour un pigeon à coups de références prestigieuses fantaisistes, ce qui va finir par arriver est que la majorité va différer son achat en attendant qu’un courageux achète le livre en question et dise si ça ressemble bel et bien à l’auteur(e) majeur(e) X ou Y. Et devinez ce qui va se passer lorsque cela ne se révélera être que de la poudre aux yeux ?

La romancière, quant à elle, nous avait prévenus en toute simplicité, sur la page de son livre consacrée aux traditionnels "remerciements":
"Je suis profondément reconnaissante pour l'élan que m'ont donné Hans Christian Andersen, J. R. R. Tolkien et Italo Calvino, car sans leurs mots galvanisants ce livre n'aurait pas vu le jour."
Il est significatif que l'éditeur n'ait pas sauté sur l'occasion d'ajouter Andersen ni Tolkien (pourtant réputés bons vendeurs) à sa liste: si les noms que nous livre Gorodischer ont eu pour elle une importance particulière, ce ne sont pas ceux qui viendraient en premier à l'esprit du lecteur en découvrant le livre, et il aurait été à craindre, s'ils avaient été utilisés comme arguments publicitaires, qu'il y voie des "références prestigieuses fantaisistes".


Ceci dit, ils ne pensent sûrement pas à mal, tant les éditeurs que les lecteurs, en accumulant les comparaisons: chez Angélica Gorodischer, il y a bien un peu de tout ça, ici une situation à la Kafka, ici une formule à la Borges, là une péripétie burlesque à la Vance, là et là des surprises cruelles dignes d'Andersen, mais épars; et ce n'est pas une faiblesse parce que ce livre possède autre chose, en plus, en propre; une qualité particulière qui n'appartient qu'à lui (je n'ai pas lu d'autre livre de Gorodischer: je les attends avec curiosité - il vient d'en paraître un autre chez La Volte).

Vous voulez retrouver la fascination hallucinée pour le difforme et le dévoyé propre à Mervyn Peake? la délicatesse du souffleur de bulles Italo Calvino? la candide cruauté de la fée noire Tanith Lee? l'imbrication sans issue des cauchemars de Kafka? l'ironie sombre de Dino Buzzati? le vertige mémoriel de Gabriel Garcia Marquez? la bouffonne inventivité verbale de Jack Vance? la minutie érudite d'Umberto Eco? Hé bien, cherchez-les donc chez Peake, Calvino, Lee, Kafka, Buzzati, Marquez, Vance, Eco. Ne craignez rien, ils seront toujours là, immuables, où vous les aviez quittés. Chez Angélica Gorodischer, les sensations que vous avez appréciées chez tous ceux-ci, vous les retrouverez, mais dans un désordre savant: un peu comme si l'imagination de Calvino donnait soudain des ailes à une sèche description clinique de Kafka, ou comme si une accumulation pince-sans-rire de références érudites (ou pseudo-érudites) façon Borges ou Eco était travestie par Vance en refrain de chanson à boire.

On trouvera surement un oxymore bien senti pour la caractériser, cette chose, et dans le futur, vous pourrez lire au dos de romans pas encore écrits, œuvres de romanciers aujourd'hui au berceau: "on retrouve dans ces pages un peu de cette ampleur de vision révélée sur le ton du badinage qui fut la signature d'Angélica Gorodischer" (ou quelque chose d'approchant), et vous n'en serez pas surpris (les éditeurs n'abandonnent pas facilement les vieilles recettes qui marchent).

Puisqu'Angélica se plait à mettre en scène des personnages à la langue bien pendue, demandons à l'un d'eux (plus exactement l'une d'elles) ce qu'elle pense du processus créatif:
"Je savais aussi que les hommes ne pensent pas. Non, non, ne ris pas, ils ne pensent pas. De temps à autre il y en a un qui pense, c'est vrai et il le le dit et il l'écrit, et cela est si extraordinaire que personne ne l'oublie. Les gens assemblent ces fragments que d'autres ont pensé, comme ils peuvent, parfois sous une forme très opportune, parfois sous une forme très absurde, ils répètent une série de pensées d'autrui sans rapport avec une situation donnée et une autre série de pensées d'autrui dont le rapport n'est pas plus précis avec une autre situation donnée, et ils croient que ce sont eux qui pensent. Celui qui peut se rappeler et déformer le plus de pensées d'autrui afin de les adapter à autant de situations donne le sentiment d'être plus intelligent et les autres l'admirent."
Bien sûr, ne l'oublions pas, ce n'est pas là l'opinion d'Angélica Gorodischer mais celle d'une prêteuse sur gages à la morale élastique qu'une des nouvelles du recueil fait parler à la première personne; je n'ai cité cet extrait que pour vous prouver que dans Kalpa Impérial, ce que vous trouverez, outre les merveilles prévisibles: palais, dédales, parfums, joyaux, complots, batailles, ce sera un ton original, que nous qualifierons de très gorodischérien  (de préférence à "très angélique" qui pourrait causer une certaine confusion).

Plutôt qu'à un historien soucieux d'exactitude bibliographique, à un chroniqueur pointilleux sur les généalogies, Angélica Gorodischer laisse la parole à un (ou des) conteurs(s) professionnels. Le conteur de contes ne s'attarde pas sur le sort des empereurs, les nomme en passant (en général comme repères chronologiques ou pour fournir un élément de comparaison avec la longévité, la perversité ou les talents divers d'un autre personnage): Ylleädil le Grand (l'Empereur Guerrier) et Cheanoth Premier, Babbabred le Silencieux et Sebbredel le Malencontreux et n'oublions pas Idraüsse V qui fut un bon empereur, ce qui mérite une mention spéciale; et nous apprend en quelques mots, à l'occasion, qu'un tel devint fou, un autre fut empoisonné, un autre détrôné sans cérémonie; pour renforcer l'impression que l'Histoire de l'Empire se perd dans la nuit des temps, plutôt que des souverains elle énumère des dynasties: la dynastie (au nom impressionnant) des Trois Cents Rois et celle des Oròbeles, la dynastie des Hehvrontes et celle des Noöram, la dynastie des Kiautonor et celle des Jénningses… 
"Je vais maintenant vous parler de Blaggarde II le Tout-Ouïe, cet Empereur qui avait des rêves et des visions et entendait des voix qui sortaient des pierres et qui pour autant ne fut pas un mauvais gouvernant. Ou ce fut peut-être précisément parce qu'il avait des visions et entendait des voix qu'il ne  fut pas un mauvais gouvernant? Sacré problème, qu'un conteur de contes ne doit pas se sentir obligé de résoudre; alors poursuivons."

Et le conteur poursuit. Ce n'est pas d'une de ces Grandes Figures du bronze dont on fait les statues des places publiques qu'il avait envie de parler,  mais d'une de ces petites marionnettes jugées, par le marionnettiste, pas assez bonnes pour l'estrade,  et relevées, par un facétieux tour du destin, du caniveau où elles avaient été jetées pour être promues au rang d'épouvantail, d'icône ou d'étendard.

Conteur de contes. C'est le titre dont se parent les narrateurs (sont-ils plusieurs? N'y en a-t-il qu'un? Le doute est présent; il l'est aussi sur la fiabilité de leurs récits) de la plupart de ces chroniques.
 C'est un point de vue moderne, celui de notre époque obsédée par le storytelling, qu'a choisi Angélica Gorodischer: l'Empire est une idée, importe-t-il vraiment qu'il existe, ait existé ou doive exister? Ever ou never?
Dans notre futur, des aèdes, des trouvères, ou des mères-grands évoqueront au coin du feu les sept merveilles du passé (la Bastille qui fut Brise, les Grandes Sauces de Versailles, la Tour Effilée, l'arc du Triomphe des Étoiles, la statue de la Libertaire, la Station Spéciale Inerte-Atonale et la fameuse grande Muraille sur l'Échine du Dragon qu'on pouvait en ces temps prodigieux voir de la Lune).
À l'égal de la Victoire de Samothrace, on chantera celle que Gamera remporta sur Mothra ou encore Godzilla sur Mechagodzilla, et on rappellera que les héros des épopées d'alors furent Clargueibl, Kirkdaglass, Alandelon, Yeimsbon ou Yeimsdin.
Et nos descendants se demanderont, comme le fameux conteur de contes Philicadique, si l'Empire a jamais pris fin (à moins que, si le futur se met inopinément à cesser de ressembler au passé, ils ne demandent, perplexes: c'est quoi, grand-maman, un empire?).



Je ne suis pas tout seul à avoir aimé ce bouquin! 
Au cas où il vous faudrait plus d'arguments pour vous convaincre: outre Nébal, qui en parle non seulement très longuement mais très pertinemment,
tous gens de goût, n'en ont dit que du bien.

Si ça ne vous suffit pas, qu'est-ce qu'il vous faut?


Angélica GorodischerKalpa Impérial 
(Kalpa imperial
Ediciones Minotauro, Buenos Aires:
1983, La casa del poder,
1984, El imperio mas vasto), 
traduit en anglais par Ursula LeGuin 
(Kalpa Imperial: The Greatest Empire That Never Was, 
Northampton: Small Beer Press, 2003) 
IISBN-10: 1931520054
ISBN-13: 978-1931520058
traduit en français par Mathias de Breyne 
(Kalpa impérial
La Volte, collection : IMAGINAIRE, 2017)
ISBN-10: 2370490403
ISBN-13: 978-2370490407

mardi 30 juillet 2019

On a volé le marteau de Thor: Neil Gaiman, La Mythologie Viking


Kvasir était le plus sage des dieux: seul il possédait à la fois les qualités des Ases et des Vanes (qualités de tête et qualités de cœur, qui ne sont pas souvent réunies chez les êtres vivants - fussent-ils immortels - en proportions harmonieuses).
Il y a bien longtemps (on était encore tout près du commencement des temps, aussi est-il probable que vous ne vous en souveniez pas) il parcourait le monde et à chaque question qu'on lui posait, il donnait toujours (il était le seul être assez sage ou assez fou pour faire ça) une réponse entièrement véridique: ce qui n'eut pas, pour lui, que des conséquences heureuses, comme vous l'apprendrez en lisant ce livre de Neil Gaiman.
Kvasir mourut (à l'aube des temps, donc) et se réincarna (vers la fin des temps seulement: ce qui explique sans doute que pendant la majeure partie de leur histoire, tant les Ases que les Vanes, privés de ses conseils avisés, prirent des décisions souvent contestables). Voulez-vous un exemple de sa sagesse? En observant des traces sur le sol près d'un foyer éteint, et en rapprochant ces observations d'autres indices (comme la présence à proximité d'outils ordinaires destinés aux usages les plus triviaux) il était capable d'en déduire non seulement la forme de l'objet qu'on avait réduit en cendres, mais aussi sa fonction et les raisons pour lesquelles on l'avait d'abord fabriqué puis brûlé. Et tout ça sans se servir de la magie (dont Odin et Loki et tant de nains et de géants usèrent et abusèrent en tant d'occasions), mais simplement de la bouillie fertile qu'il avait dans sa tête, bouillie grise assez semblable à celle que nous avons dans nos têtes vous et moi (j'ai ouï conter d'un autre trompe-la-mort, connu sous certains climats comme "Sigerson" et sous d'autres sous le curieux nom de "Sherlock Holmes", qui aurait été capable d'exploits similaires: réincarnation, encore? Qui sait?).
Il faut dire qu'une des conséquences de la mort prématurée de Kvasir fut que le don de conter des histoires fut mis à la portée des habitants de tous les mondes (il y en a neuf) pour peu qu'ils boivent un peu de l'hydromel miraculeux de Suttung, dont, aujourd'hui encore, il doit bien rester quelques gouttes au fond du chaudron Odrerir, puisqu'il se trouve encore des conteurs pour en parler.
Mais Neil Gaiman nous en avertit: "C'est une longue histoire et elle n'est glorieuse pour personne".

Il est temps à présent pour moi de proférer, à l'exemple de Kvasir, une parole véridique (et tant pis pour les conséquences): j'ai ressenti une légère déception à la lecture de La Mythologie Viking, de Neil Gaiman.
Gaiman semble avoir, dans ce recueil assez court, mis un frein à l'inventivité narrative à laquelle il nous a habitués (enfants gâtés que nous sommes!).
Soyez prévenus, voici ce que vous ne trouverez pas dans La Mythologie Viking: aucune de ces délectables ellipses qui abondent dans les textes courts de Gaiman, qui poussent le lecteur à se demander "j'ai raté quelque chose?"; pas non plus de petite héroïne attachante et agaçante comme Coraline, pas de drôles de silhouettes bancroches (qu'on imaginerait bien croquées par Edward Gorey) comme celles qui entourent Nobody Owens,  pas de profusion de péripéties picaresques comme celles qui attendent les Anansi Boys, pas de moments de trouble et d'hésitation entre rêves, désirs et souvenirs comme dans L'Océan au bout du chemin, pas de promenade psychogéographique dans des lieux qui (pile ou face?) existent peut-être, ou peut-être pas, comme dans Neverwhere ou American Gods

C'est pourtant vrai qu'il est un peu court, ce manche.

Oh, des péripéties il y en a: elles sont racontées dans le style neutre et policé qu'on s'attend à trouver dans les livres destinés aux enfants sages. C'était peut-être dans le contrat proposé à Gaiman: ne pas causer d'embarras aux responsables des achats dans les écoles et les bibliothèques publiques? Je ne veux pas dire que les épisodes scabreux présents dans le matériau original auraient été laissés de côté: "les lecteurs les plus délicats devront fermer les yeux pour ne pas aborder certains paragraphes" nous prévient Gaiman (quelque peu facétieusement), comme se bouchaient les oreilles les auditeurs sensibles lorsque les scaldes les récitaient (les scaldes ne jugeaient pas au-dessous de leur dignité de parler de pipi et de caca quand la longueur des passages en style noble leur donnait envie de changer de registre).
Non, ce qui est normalisé, assagi, c'est la démarche narrative; Gaiman, cette fois, ne cherche pas à briller, il s'est fixé un objectif modeste auquel il s'est tenu tout du long: composer un ouvrage de vulgarisation, d'initiation à la mythologie, facilement accessible pour le public le plus large possible; cette intention didactique est partout visible, allégée de ci-de là par quelques touches d'humour. Et c'est peut-être à cela que tient la légère déception dont j'ai parlé tout à l'heure.
En revanche, ce dont le livre ne manque pas, c'est de personnages "plus grands que nature".


Est-ce qu'on ne pourrait pas aller plus vite? demanda Tyr.
- On peut essayer, répondit Thor, et il fouetta les boucs pour leur faire encore forcer l'allure.
Tyr regarde derrière eux. "Ils arrivent, annonça-t-il. Les géants arrivent".
Ils arrivaient, en effet, avec Hymir en arrière-garde pour les encourager: tous les géants de cette partie du monde, une monstrueuse foule à têtes multiples, les géants de la désolation, contrefaits et assassins. Une armée de géants, tous décidés à récupérer leur chaudron.
"Va plus vite!" lança Tyr.
C'est là que le bouc Dents-qui-Grincent trébucha et tomba, les jetant tous deux hors du chariot.
Thor se remit debout en titubant. Puis il jeta le chaudron au sol et éclata de rire.
"Qu'est-ce que tu trouves de drôle, interrogea Tyr. Ils sont des centaines."
Thor soupesa Mjollnir, son marteau. "Je n'ai pas attrapé et tué le serpent, dit-il. Pas cette fois-ci. Mais une centaine de géants, ça compense presque."

Vous voyez ce que je voulais dire tout à l'heure, en parlant du style? Ça ressemble plus à un découpage préparé pour un comic, ou un roman graphique, qu'à un vrai "roman de Neil Gaiman". Ça pourrait faire un bon, un excellent comic même, pas impossible que Gaiman y ait déjà pensé: il a plus d'un tour dans son sac, comme Loki (tiens, je me demande de qui il tient ce drôle de sourire en coin, Gaiman).

Après avoir donné quelques références bibliographiques (Edda en vers, Edda en prose, Dictionnaire de la mythologie germano-scandinave…) Gaiman s'explique, dans sa préface, au sujet de son parti-pris narratif minimaliste:
… la joie des mythes: le plaisir vient de les raconter soi-même - une chose que je vous encourage vivement à faire, vous qui lisez ceci. Lisez les histoires de ce livre, et puis faites-les vôtres, et par une soirée d'hiver noire et glacée ou une nuit d'été où le soleil refuse de se coucher, dites à vos amis ce qui est arrivé quand on a volé le marteau de Thor, ou comment Odin a procuré aux dieux l'hydromel de poésie…


Mon "inner ten-years-old" hausse les épaules devant les réticences du vétilleux vieillard qu'il lui semble (parfois) que je suis devenu: lui, il a dévoré La Mythologie Viking avec autant d'appétit qu'il dévorait, dans les années 60 d'un autre siècle, les Contes et Légendes de tous les pays, et il en redemande.
Les raisons ne manquent pas de lire La Mythologie Viking: si, par exemple, American Gods vous a laissé un peu perplexes, et si vous vous êtes demandé "Mais qu'est-ce que c'est que ce Voyageur, Mr Wednesday?" (soyez prévenu: l'original est encore plus retors que sa version américaine); si vous vous souvenez d'avoir lu - ou feuilleté - les Eddas il y a longtemps, et si vous avez envie de vous rafraîchir la mémoire… et surtout, si vous avez envie d'histoires ou encore, d'idées pour pimenter vos propres histoires.

Je vous garantis un banquet plantureux, 
des cornes de bière et ensuite de la lutte, 
de la course et des concours de force. 
Ils aiment bien s'amuser, à Utgard.

Neil Gaiman, La Mythologie Viking 
(Norse Mythology, 2017) 
traduit par Patrick Marcel,