mardi 28 novembre 2023

Chats pas chats

 Boileau, s'étant donné pour règle de conduite
 Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom,
citait ensuite deux exemples concrets:
 J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon.

Le monde a-t-il changé au point que les règles de l'art poétique définies par Boileau pour les siècles à venir ne s'appliqueraient plus? Un chroniqueur de France-Inter vient de se faire, quasi simultanément, taper sur les doigts et tirer les oreilles par - motivations différentes, effets similaires - un magistrat empressé d'étaler son zèle et une Commission  soucieuse, elle, de dissimuler son embarras. Qu'avait-il fait? Il avait appelé un chat un chat, et Rollet un fripon (euh, en fait non, pas Rollet, et pas un fripon non plus, Rollet est bien oublié aujourd'hui, et fripon n'est plus trop en usage: remplaçons ce mot et ce nom par des équivalents contemporains approximatifs... ou plutôt non, ne remplaçons rien par rien, nous risquerions de nous faire taper sur les doigts ou tirer les oreilles.
La prudence devrait même nous commander de ne plus appeller un chat un chat, on ne sait jamais, des antispécistes pourraient trouver que "chat" c'est spéciste: quand nous postons sur des sites de partage des photos du dernier de la portée qui s'émerveille des possibilités offertes par les pelotes de laine, ou de Mamie Moustache qui quémande un câlin, usons de termes moins connotés que "chat": minounette, poupouline, Kitty-kitty, vous trouverez bien.


Synchronicité; dans un billet récent du toujours pertinent David Apatoff,  j'ai appris un mot que je ne connaissais pas: edentulous. J'en trouve  la sonorité plaisante, et je me demande si j'aurai un jour l'occasion de l'employer dans une conversation (en anglais: il n'a pas en français d'équivalent aussi rigolo). Ça, l'avenir nous le dira.
Revenons au présent: si je parlais de synchronicité, c'est parce c'est en commentant l'ultimatum, adressé à un journal, de retirer de son site une caricature qui avait le grand tort de ressembler à son modèle (inexcusable, ont tranché les gardiens autoproclamés de la paix publique et de la féquentabilité d'internet!), que David Apatoff employait ce joli adjectif pour caractériser les dessins inodores et incolores par lesquels le trou dans la rubrique "humour" du magazine a été rempli le jour suivant.
Je commence à craindre que tout ça ne donne des idées aux détenteurs du titre de propriété d'un chat - qui se sont, bien sûr, déjà empressés de le faire dégriffer - et qu'ils ne choisissent bientôt de le faire édenter aussi. Au secours, Boileau!


samedi 25 novembre 2023

Les conjectures de Fleur Jaeggy



Quelle chanson chantaient les sirènes? 
Quel nom Achille avait-il pris quand il se cachait parmi les femmes? 
- Questions embarrassantes il est vrai, mais 
qui ne sont pas situées au-delà de toute conjecture. 
Sir Thomas Browne, cité par Edgar Poe 
en épigraphe à Double assassinat dans la rue Morgue

Que savons-nous de Marcel Schwob?
Que peut en savoir quelqu'un qui n'a fait que traduire en italien ses Vies Imaginaires?
Qu'il ait coudoyé François Villon au trou de la Pomme de Pin, qu'il ait fumé l'opium avec Thomas de Quincey, qu'il ait aidé le capitaine William Kid, pirate lettré, à tailler les plumes d'oie avec lesquelles il écrivait les missives qui faisaient trembler les gouverneurs de forteresses - il connaissait ses lettres, foutre! et quelle belle main - tout cela n'est pas douteux,
Et pas davantage qu'il ait discuté avec Edgar Poe aussi bien de méthodes de déchiffrement de cryptogrammes, que de la part d'inexplicable qui demeure contre toute raison dans les enchaînements de circonstances qui conduisent à la découverte de trésors;
Mais d'où lui vint le goût de l'étude et de la réclusion?
Pourquoi ce front si haut?
En quelle langue ce polyglotte parlait-il à son domestique chinois?
Autant de questions qui peuvent être l'objet de conjectures.

Fleur Jaeggy, vous vous en souvenez, est une des spécialistes italiennes de l'œuvre de Marcel Schwob: elle a, en particulier, traduit ses Vies Imaginaires.


Dans Vite Congetturali, Fleur Jaeggy s'est attachée à résumer, avec une sobriété qui émule celle des Vies Imaginaires de Schwob, les vies de Thomas de Quincey, de John Keats et de Marcel Schwob lui-même.
Trois vies conjecturales seulement, c'est un bon chiffre. Six cent pages de vies réimaginées, ce serait lourd. Et il me souvient avoir déjà qualifié la prose de Fleur Jaeggy de "bienheureusement économe"... et d'avoir aussi suggéré qu'il y a peut-être une parenté entre les genres "livres de vies imaginaires" et "livres de rêves" (c'est pourquoi j'ai placé le livre de Fleur Jaeggy à côté de celui de Tabucchi sur les rêves imaginaires, dans la jolie présentation que leur ont donné les éditions Adelphi)*.

Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas parlé de Fleur Jaeggy - il est vrai qu'elle ne publie pas au même rythme que ceux de ses confrères dont le nom revient chaque année lors de la renrée littéraire. 

*Ce recueil est également disponible en anglais,
sous le titre  These Possible Lives,
aux éditions New Directions, traduit de l'italien par Minna Zallmann Proctor.

jeudi 23 novembre 2023

Bon annauniversaire

 Quel jour sommes-nous aujourd'hui? Le 23 novembre? Voyons... Mais c'est l'anniversaire de Masamune Shirow!

Bon anniversaire  Masamune Shirow!


Toujours prêtes à faire la fête, Annapuma et Unipuma. 


mardi 21 novembre 2023

La BD c'est gai, la BD c'est triste

Encore une année triste pour tous les amateurs de BD - pour les amateurs de toutes les BD, puisque Joe Matt, Malo Louarn et Bob De Groot, partis l'un après l'autre depuis la fin de l'été,  travaillaient dans des genres tout à fait différents.
Entourons donc ceux qui nous restent d'attentions et d'affection: merci Boulet, Tom Gauld, Alan Moore et les autres de continuer à nous raconter des histoires en images. Au fait, avez-vous pensé à souhaiter son anniversaire à Alan Moore? C'était avant-hier!

 

Tom Gauld for The New Scientist


mercredi 15 novembre 2023

Ter repetita placent

 Faisons une expérience.

Face à un miroir, répétez: rogatons! rogatons! rogatons! 

Si vous y mettez la bonne intonation, vous verrez peut-être apparaître un des tomes de la série de Boulet, Rogatons.
Lequel? C'est justement l'objet de cette expérience. Tonton Alias nous rappelle fort à propos qu'il existe (pour l'instant), dans cette série, un nombre de volumes compris entre zéro et trois.

Disclaimer: cette expérience comporte un risque: celui que l'expérimentateur (en cas de matérialisation du livre) soit happé à l'intérieur de celui-ci et ne puisse en sortir que si un de ses assistants provoque une distorsion du continuum, par exemple en prononçant la formule: quand est-ce qu'on mange?


jeudi 9 novembre 2023

Il y aura un brin d’herbe

 Le monde est notre désir.
 Le monde est notre vouloir.
 Il n’y a rien à dire du monde — sauf qu’il nous ressemble trait pour trait. 
 

Si nous le trouvons médiocre — c’est que nous sommes médiocres. 
 

Si nous le trouvons vain — c’est que nous sommes vains. 
 

Si nous le trouvons affreux — c’est que nous sommes affreux.

Si nous le trouvons dur — c’est que nous sommes durs.  
 

Si nous le trouvons morne — c’est que nous sommes mornes.
 

Si nous le trouvons petit — c’est que nous sommes petits. 
 

Si nous le trouvons écœurant — c’est que nous sommes écœurants. 

 Si nous le trouvons hostile — c’est que nous sommes hostiles.

Il ne changera que quand nous changerons.

Il est nous et indéfiniment il nous ressemblera. 

 Pour l’instant c’est un monde de terre sèche.
 Il y aura un brin d’herbe quand vous serez devenus brin d’herbe. 


  Ou alors laissez tout crever. 
 Les démoniaques des pouvoirs ont ce qu’il faut dans l’arsenal pour une gigantesque épouvante. 
 Une gigantesque Mort.  

Louis Calaferte : L’Homme vivant
Gallimard (collection L'Arpenteur), 1994
ISBN 2070740021
EAN13 / ISBN  9782070740024