mardi 26 février 2019

Références exigées


Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous,


mais moi je me dis souvent qu'en ce moment, ce dont j'aurais vraiment besoin, c'est un bon majordome...

Illustration: dessin de Floc'h tiré de Blitz

mardi 19 février 2019

La matérialité est mise au premier plan


Vaka Valo est un infatigable générateur de collages (collagène?).
Vaka Valo a intitulé  "Dream Diary" une série d'images (des dessins numériques basés sur des collages, en fait) dans lesquelles il entend, non pas recréer des scènes oniriques remémorées, mais illustrer la logique particulière qui préside à l'association apparemment chaotique d'images du quotidien dans les rêves.


Un escalier, quand on y pense,
c'est un engin incroyablement sophistiqué!
Comment a-t-on pu inventer un truc aussi dingue?


La famille: autre concept dont on a tendance
(quand on est éveillé) à sous-estimer l'étrangeté.
Surtout quand le tracteur sonne les jours impairs.


Et mettre des apostilles dans une poêle quand 
on veut les flamber au rhum, c'est assez logique après tout.
Beaucoup plus que les mettre dans un chapeau ou une pantoufle.

On trouve un choix de ces images (ici, et
dans le blog 50 Watts
(remercions-le avec chaleur).

Cette reconfiguration des images du quotidien avait éveillé l'intérêt d'Henri Michaux:
"Le rêve, on le sait, donne des équivalences; assez avilissantes le plus souvent, et terre à terre.
On n'y reconnaît que très mal ce qui, de jour, est considéré avec enthousiasme ou idéalisme. L'amour n'y échappe pas. Le sentiment qui en faisait l'unité, qui en donnait le sens et l'atmosphère disparaît, comme s'il ne comptait pas. La matérialité est mise au premier plan. Non pas que le rêve salisse nécessairement l'amour. Mais plutôt il ne le voit pas, ni du reste la haine, ou l'aversion. Ces sentiments le font songer à des objets, les objets ordinaires de notre vie quotidienne, de notre ordinaire le plus ordinaire. Il faut qu'il dénature, qu'il passe à des choses, et les choses même, qu'il les fasse passer dans une autre catégorie.
Il arrive pourtant que cet anti-éloquent par excellence n'aille pas à l'abaissement, mais toujours il dénature et il y aura passage inattendu du fait d'une catégorie dans une autre catégorie."
 
Gallimard, L'Imaginaire, 2012
ISBN 978-2-07-073928-8


Images © Vaka Valo
Encore un grand merci à Will Schofield pour son blog 50 Watts! 

samedi 16 février 2019

Visibilité de Juan Rodolfo Wilcock


Quoi, vous voulez encore une page du Livre des monstres de Juan Rodolfo Wilcock? Vous êtes donc insatiables?
Hé bien soit, mais une petite, alors.

Memmo Gaibisso

Le beau-père de Lina Gaibisso est une illusion d'optique; en tant que tel, il ne pose aucun problème et offre au contraire un divertissement aux invités lorsque tous les autres sujets de conversation sont épuisés. Il suffit de regarder fixement, pendant deux ou trois minutes, un point marqué sur le mur à environ trente centimètres du cadre de la fenêtre: tout à  coup on le voit qui se détache nettement sur le fond uni de la peinture de la salle à manger. Il est assis dans son fauteuil, le journal ouvert, et ne se soucie pas le moins du monde des gens qui le regardent; l'illusion cependant est si saisissante qu'il n'est pas rare que des invités le saluent et lui demandent comment il va.
Le beau-père de Lina ne répond pas, il continue à lire; si ensuite l'invité porte rapidement son regard, sans s'attarder, sur une autre petite croix marquée à côté de la pendule posée sur la cheminée, le beau-père apparaît maintenant tout près du plafond, vêtu d'un pyjama jaune, dans son lit: Lina explique alors à ceux qui n'auraient pas compris que Memmo Gaibisso est allé se coucher.




Tout ceci n'a rien d'étrange en fait: qu'une illusion optique puisse lire le journal et s'en aller ensuite au lit ne devrait étonner personne, vu que nous faisons les mêmes choses et sommes aussi, c'est bien connu, des illusions optiques. Ce qui est étrange, c'est ce qui se passe dans le débarras contigu à la salle à manger. De fait, si vous ouvrez la porte de ce débarras, il vous saute aux yeux un dessin compliqué tracé avec des couleurs sur le mur du fond, fait de croix équidistantes, de trois-quarts de cercle, de triangles brisés, de rayons et de petits points, de lignes droites et de courbes parallèles, de sinusoïdes et de cycloïdes. Eh bien, il suffit de regarder ce dessin pendant quelques minutes pour voir apparaître sur le mur ce que, au même moment, le beau-père de Lina est en train de rêver: des courses de chevaux, des vacances aux Baléares, des repas dans les meilleurs restaurants, des choses répugnantes, etc.
C'est un cas unique, explique Lina, d'illusion optique d'une illusion optique; elle ne se rend pas compte, évidemment, que dans ce cas encore, on peut dire la même chose de la vie de chacun de nous, et pas seulement des rêves de son beau-père.


Juan Rodolfo Wilcock, Le livre des monstres
(Il libro dei mostri, Adelphi, 1978)
traduit par Lise Chapuis
ISBN 979 10 91504 71 3

samedi 9 février 2019

Cool cat


(à lui tout seul, il en valait bien trois).

Il a l'air mignon, mais ne vous y fiez pas trop.


Dessin de Tomi Ungerer
L'école des loisirs)


Mise à jour du 11 février: L'oeil des chats nous le rappelle opportunément: quand sonne l'heure de sortir du chat, on va plus vite en passant par la queue. 

Mise à jour du 20 mars: Quelqu'un qui a bien parlé de Tomi Ungerer, c'est Claude Ponti

samedi 2 février 2019

Qu'est-ce qui sort des livres de Juan Rodolfo Wilcock?


Après un mois de Janvier une fois encore assombri par des nouvelles tristes, reprenons une bonne habitude: sous le ciel froid et transparent, partons à la recherche de traces éventuelles laissées par Juan Rodolfo Wilcock, par exemple un de ses livres.
Si nous en trouvons un, à quels signes pourrons-nous le reconnaître?
Que sort-il d'un livre de Juan Rodolfo Wilcock lorsqu'il s'ouvre?


Primio Doppo

Depuis que leur est parvenue la nouvelle que monsieur Doppo (Primio), menuisier de Vetriolo, dans la province de Viterbe, pondait des œufs, les journalistes ne l'ont plus laissé en paix: ils veulent savoir ce qui sort de ces œufs? Comme c'est bien souvent le cas, l'intérêt qu'ils manifestent pour la chose s'avère relever du goût du scandale plutôt que de la science. Les journaux ont publié quelques photos de ces œufs, ou peut-être d'œufs semblables, mais ils ont publié bien plus fréquemment la photo de madame Doppo, à laquelle, par usage naturel, devait selon eux revenir, plutôt qu'à son mari, la mission de pondre les œufs de la famille. 
Affirmation plutôt superficielle, quand on pense qu'une anomalie des fonctions organiques peut frapper n'importe qui, sans distinction de sexe ou d'âge. 
Car cette habitude de monsieur Doppo est clairement une anomalie: aucun autre menuisier de la province de Viterbe n'a jamais laissé paraître de signes d'une telle propension. Le fait est que désormais tout le monde se demande, dans les environs et même au chef-lieu: que sort-il des œufs de Primio Doppo?
La question est au jour d'aujourd'hui restée sans réponse. Monsieur Doppo est un homme discret, il fait ses œufs, comme c'est logique, dans un endroit retiré, et à ce qu'il semble, il ne les a jamais mis en circulation. Que deviennent-ils, à quoi servent-ils, avec quelle fréquence sont-ils pondus, voilà encore des interrogations dont la réponse n'est jamais sortie du cercle familial. Ce qui, naturellement, laisse libre cours aux conjectures. En ce qui concerne le problème central, à savoir ce qui sort des œufs du menuisier lorsqu'ils s'ouvrent, nous présentons ici une liste d'hypothèses variées avancées par les citoyens les plus en vue de Vetriolo:

Don Olimpio: des anges.
Le maire: du café instantané.
Ingénieur Bellapadrona: des poules.
Le boucher: des surprises variées.
Cateruccia Daddo: de tout petits hommes.
Gioacchini Teresa: rien.
Le boulanger: des serpents.
Calabrese Giuseppina: des fruits.
Veuve Pizzo: des meubles miniatures (jouets).
Rossi Osvaldo: de la merde.
Podimanti Lino: des allume-cigares.
Fraticelli Sergio: des lutins.
Scorsini Giovanni: de l'or.
Brillanti Caterine: de l'huile d'olive.
Tirinanzi Vicenza: les organes usés de M. Doppo.
Polimanti Maria: des légumes.
L'instituteur: des dinosaures préhistoriques.
Menichetti Annunziato: des prix de concours en espèces.
Morotti Andrea: des cailloux.
Bonelli Emilia: des petits lapins.
Romanelli Gina: des poupées.
Febberato Vittoria: des pâtes (à l'œuf).
Pizzo Armando: des poussins de dinde.
Montagna Betty: du miel.
Le responsable de l'office postal: une ordure quelconque.
Le facteur: des bombes.
Chiafoni Ofelia: du fromage.
Le garde champêtre: de l'extrait de foie.
Barziacchi Letizia: des savonnettes.
Muller Elfriede: des chiots.
Aramini Alberto: des diamants, des rubis et des émeraudes en vrac.
Montagna Gabriela: des œufs en chocolat.
Pesce Luigi: des graines variées.
Centoscudi Mario: de la purée de pommes de terre.
Proietti Francesco: du pétrole.
Rossi Pierina: des chaussettes, des slips, etc.
Tirinanzi Icilio: du lait en poudre.
Moncenzi Vicenzo: des accessoires pour voitures.
Morotti Quintino: des guenilles.



Juan Rodolfo Wilcock, Le livre des monstres
(Il libro dei mostri, Adelphi, 1978)
traduit par Lise Chapuis
L'Arbre Vengeur, 2018
ISBN 979 10 91504 71 3