samedi 4 décembre 2010

De la littérature considérée comme un corps-à-corps avec de monstrueux vers de terre: MURAKAMI Haruki, 6


Quand la terre tremble, c’est à cause du Bonhomme Tremblement deTerre. C’est, au milieu de la nuit, ce que vient expliquer, à Junpei et à Sayoko (les protagonistes d’une des nouvelles du recueil Après le Tremblement de Terre), une petite fille nommée Sara: “Il est venu me réveiller et il m’a dit: ‘Va dire à ta maman que j’ai soulevé le couvercle de toutes les boîtes et que j’attends’. Il m’a dit de te dire ça et que tu comprendras.”

Cette information donne à Junpei matière à réflexion, d’autant qu’il a, à présent, du temps pour réfléchir, car la petite Sara est venue réclamer sa maman Sayoko juste au moment où Junpei et elle entreprenaient, dans la douceur de la nuit japonaise, de faire plus ample connaissance.


Chez Murakami, les histoires d’amour, si elles ne finissent pas nécessairement mal, ne sont jamais simples.


Et voici où le mènent les réflexions de Junpei (écrivain de son état):

“Maintenant, je vais écrire des nouvelles d’un autre genre, songea Junpei. Je raconterai par exemple l’histoire d’un homme qui attend que la nuit s’achève, en rêvant avec impatience du moment où le jour va se lever et où il va pouvoir prendre dans ses bras les êtres qu’il aime, dans la lumière claire de l’aube. Mais pour le moment, je dois rester ici et veiller sur ces deux femmes. Quel que soit celui qui veut leur faire du mal, je ne le laisserai pas les enfermer dans ces absurdes boîtes. Même si le ciel nous tombe dessus, même si la terre s’ouvre en deux dans un grondement. “


Je me demande si ça veut dire que Junpei va écrire le Passage de la Nuit.


mardi 9 novembre 2010

Méfions-nous des lundis

Je suis titulaire d’une page sur Deviantart (mais si, mais si, je n’invente rien), page à la gestion de laquelle j’applique les mêmes principes éclairés qu’à la mise à jour de ce blog.

Par curiosité je viens d’en aller consulter les statistiques (aimablement calculées par Deviantart soi-même), et j’y ai été accueilli par cet énoncé d’une inattaquable rigueur scientifique:

“Tororoshiru soumet une nouvelle déviation au jugement du public tous les 1645 jours virgule neuf, et cet évènement se produit le plus souvent un lundi, jour où 100% de toutes les déviations de Tororoshiru (à savoir,1) ont, jusqu’à présent, été postées”.


Y a-t-il chose au monde qui mette plus de bonne volonté à se plier à ce pointilleux cérémonial qu'est une énonciation d’une inattaquable rigueur scientifique qu’une statistique, je vous le demande?

jeudi 28 octobre 2010

All the pretty horses

Bon, d’accord, c’est vrai, en Octobre j’ai musardé sur le Net plus que je n’ai posté ici... Que va-t-il m’en rester?
Et pourquoi pas cette photo d’un incunable chinois dont les rats ou les blattes ou - afin que je ne mente - autres bestes malignes, ont broutté le commencement:




Je ne me lasse pas de le contempler, peut-être parce que je n’arrive pas à y voir des trous de vers: j’y vois de jolis petits chevaux qui auraient des robes bai et blanc et dont les ébats en tous sens défieraient la gravité, comme sur les parois de Lascaux... et vous, vous voyez quoi?


lundi 6 septembre 2010

Innocents comme des bêtes de proie, cruels comme des couteaux


J’ai trouvé dans les pages du merveilleux, de l’étonnant Airform Archives le mythe cosmogonique qui suit et, tant que j’y étais, j’ai subtilisé aussi à cet excellent blog les illustrations qui, me semblait-il, iraient bien avec, bien qu’elles n’aient aucun rapport: ce sont des sculptures Inuit (vous les retrouverez dans cet autre article, ) ... quant au billet original dont il est extrait, vous le trouverez ici et vous pourez y lire une version anglaise de cette cosmogonie ("coyote places the stars", a wasco tale, text from: American Indian legends and myths, selected by Richard Erdoes and Alfonso Ortiz, Pantheon Books 1984). Le texte ci-dessous en est ma propre interprétation. Ca n’a pas été simple. Savez-vous que la langue wasco ne compte pas moins - entre temps et modes - de quarante-deux formes verbales possibles, que nous ne pouvons rendre que par des périphrases: il dit; il a dit; il disait; il a failli dire; il se pourrait qu’il ait dit; il se souvient à présent d’avoir dit; il a dit un jour, mais à présent il ne s’en souvient plus; il dira; il se pourrait qu’un jour il dise; il se souviendra un jour d’avoir dit, sans pouvoir se le rappeler mot pour mot; il croira un jour, à tort, avoir dit dans un passé indéterminé; il aurait envie de dire à présent, mais au lieu de dire il préfère faire une allusion elliptique à une autre fois où il aurait dit; et ainsi de suite...
Oui, un gros travail de transposition. Et c’est moi qui l’ai fait. C’est moi.

Ce qui m’émeut aux larmes, dans cette histoire, c’est de retrouver dans l’attitude de Coyote ce trait propre aux artistes (à tous les artistes, à vous, à moi, à Christopher Nolan, à M. Night Shyamalan, à Eric Chevillard, vous n’avez qu’à faire votre propre liste) et qui, si l’on en croit le récit d’Alouette, était déjà présent dès l’origine du monde: la candide fierté que lui inspire le tour pendable qu’il a joué à ceux qui lui ont fait confiance.

Oh, et ai-je dit que Airform Archives est un blog passionnant?



… Aligner, tels des cailloux de couleur,
Mensonge après mensonge, mot après mot…
Hugo von Hofmannsthal,
l'Ombre d'un mort

Il était une fois cinq frères, qui chassaient toujours ensemble. L’aîné s’appelait Loup. Le deuxième s’appelait Loup. Le troisième s’appelait Loup. Le quatrième s’appelait Loup. Le cinquième s’appelait Loup. Ce qui était naturel, car c’était des loups. Ils étaient bons amis avec Coyote, et partageaient avec lui tout le gibier qu’ils chassaient. Aussi Coyote venait souvent leur rendre visite. Un soir, il les trouva tous les cinq assis sur leur queue, regardant en l’air.
“Que regardez-vous, mes frères?” demanda Coyote.
“Oh, rien”, répondit l’aîné des loups.
Le lendemain, à la nuit tombée, Coyote demanda au second des frères:
“Que regardes-tu, mon frère?”
“Oh, rien”, répondit le deuxième loup.
Troisième soir, troisième loup... “rien.”
Quatrième soir, quatrième loup... “rien.”
A ce moment de son récit, Alouette ouvre toujours une parenthèse: “Ce n’est pas pour dire du mal de Coyote, mais tout le monde sait - même les gens qui l’aiment bien - que moins on lui fait de confidences, mieux on se porte”. Mais comment savoir si Alouette rapporte fidèlement les arrière-pensées des quatre grands loups, ou s’il se contente de laisser parler les sentiments ambivalents qu’il éprouve lui-même pour Coyote? Après tout, c’est un fait bien connu que les loups adultes ne sont pas bavards, et que chez eux ce trait de caractère s’accentue avec l’âge; et ce pourrait être une explication suffisante.
Le cinquième soir, Coyote demanda au benjamin des loups:
“Que regardes-tu, mon frère?”
‘On lui dit?” demanda le jeune loup à ses frères.
Voici ce que l’aîné répondit: rien.
“Oh, allez.”
Voici ce que le puîné répondit: rien.
“Allez, on lui dit. Qu’est-ce que ça peut bien faire? Coyote n'y pourra rien, de toute façon.”
C’est un fait bien connu que les loups dans leur jeunesse ne savent pas tenir leur langue.
“Nous voyons deux animaux là-haut”, dit Loup.
“Tout là-haut”, ajouta Loup.
“Tout là-haut, là-haut, dans le ciel”, renchérit Loup.
Coyote a une bonne vue, mais les loups l’ont meilleure encore; aussi le vieux Loup précisa-t-il:
“Vraiment haut, là où aucun de nous ne peut aller.”
Il n’était pas trop mécontent, après tout, de pouvoir, pour une fois, en remontrer à Coyote.
“Vraiment? Allons voir ça de plus près”, proposa Coyote.
“Et comment ça?” demandèrent en choeur Loup, Loup, Loup, Loup et Loup.
“Facile”, répondit Coyote. “Je vais vous montrer.”
Et il se mit à rassembler des flèches. Beaucoup, beaucoup; beaucoup, beaucoup, de flèches, mais vraiment beaucoup, insiste toujours Alouette, qui est fasciné par les grands nombres, bien qu’il ne sache pas compter (ou alors c’est parce que).
Et Coyote se mit à tirer vers le ciel, une flèche après l’autre.
La première se ficha solidement dans le ciel, et la deuxième, dans la première. Chaque fois Coyote faisait mouche, et la pointe de chaque flèche, au terme de sa trajectoire hélicoïdale, se vissait dans le talon de la précédente, exactement au milieu, tant et si bien qu’elles formèrent une solide échelle qui allait de la terre jusqu’au ciel.
Pas un commentaire ne sortit de la bouche des cinq frères, pas même de celle du plus jeune, qui pourtant resta grande ouverte un grand moment.

Le cadet des frères loups, avec sa grande bouche

“On peut monter maintenant”, dit Coyote.
L’aîné des loups siffla son chien et, prudent, le fit monter devant lui; puis il monta, puis les quatre autres loups, et enfin Coyote.
Ils montèrent toute la journée, toute la nuit; le lendemain ils montaient encore, ils continuèrent beaucoup de jours, “beaucoup, beaucoup” pépie toujours Alouette, en agitant les mains, quand il en arrive à cet épisode, et enfin ils atteignirent le ciel.
Arrivés au ciel, ils s‘assirent, et, en silence, ils regardèrent les animaux qu’ils avaient vus depuis tout en bas, et qui leur avaient paru tout petits.
C’était deux gros, très gros ours, des grizzlys.
Ils regardaient les nouveaux venus sans bouger.



Les deux ours

Les deux loups les plus jeunes s’approchèrent en reniflant, et s’assirent en face des ours.

“Méfiez-vous, dit Coyote nerveusement, ils seraient bien capables de vous mettre en morceaux.” Quand il voyait des gens faire confiance à quelqu’un d’autre que lui, ça le mettait vaguement mal à l’aise, comme si on avait contesté un de ses privilèges.

Mais déjà deux autres loups s’approchaient, puis, voyant qu’il ne se passait rien, l’aîné des loups fit de même et prit place parmi ses frères, toujours accompagné de son chien. A leur tour les deux ours s’assirent lourdement, juste en face des loups. Les cinq frères sortirent leurs pipes et se mirent à fumer.

“Je n’y crois pas, pensa Coyote. C’est trop beau pour être vrai”.




Le cercle du ciel, symbolisé par un disque de jade.
On reconnaît sans peine les cinq loups,
et leur chien, et les deux ours, et Coyote.


“Et pourtant... vrai ou non, c’est beau, ça fait comme une image, ces cinq figures assises dans le ciel. C’est joli comme un dessin sur une couverture en peau. J’ai bien envie de les laisser là où ils sont, pour que tout le monde les voie. En les voyant, les gens penseraient: voilà une peinture qui doit raconter une histoire. Et ce serait une histoire où l’on parlerait de moi”.
Et ainsi fit Coyote. Il recula sans bruit jusqu’à l’échelle, et se mit à descendre tout doucement, en détachant une à une les flèches à mesure qu’il descendait, pour que personne après lui ne puisse emprunter le chemin qu’ils avaient tous pris à l’aller.

Une fois sur Terre, il admira le dessin qu’il avait laissé dans le ciel - et qu’on peut encore y voir aujourd’hui. “Je vais intituler cette oeuvre: le Grand Conseil des Ours et des Loups”, décida Coyote. Regardez bien: à présent les gens, plus prosaïquement, appellent ce dessin d’étoiles la Grande Louche. Regardez mieux: les trois loups les plus âgés forment le manche de la louche, et si vous faites attention, vous verrez que l’aîné, celui qui est au milieu, a toujours son chien à côté de lui.

Les deux loups plus jeunes font un des côtés du cuilleron, et les deux grizzlys font l’autre côté, celui qui pointe en direction de l’étoile du Nord.

Ca donna des idées à Coyote. Il prit l’habitude de ramasser des trucs et des machins, juste parce qu’il les trouvait jolis, et de les emporter dans le ciel où il les arrangeait de façon à former des dessins selon sa fantaisie (des générations plus tard, un homme nommé Cheval eut la même idée, mais ceci est une autre histoire). Et quand il eut fini, les petits machins et les petits trucs qui n’avaient pas trouvé de place dans ses dessins, les cailloux brillants, les crânes d’oiseaux et les insectes mordorés, et les personnages secondaires de toutes ses histoires, il les répandit d’un bord du ciel à l’autre, et ça fait ce qu’on appelle la Grande Route du Ciel.
Coyote était assez content de lui, mais il avait comme l’impression qu’il lui restait quelque chose à faire avant de passer à autre chose.
Il appela Alouette et lui dit:
“Mon frère, quand je ne serai plus là, tu diras à tout le monde que les images qu’ils voient la nuit dans le ciel, c’est moi qui les ai mises là.
C’est moi qui l’ai fait.
Dis-leur que c’est moi.”
“Les gens ne me croiront jamais”, hasarda Alouette, intimidé.
“Mais si, tu verras”, répondit Coyote. “C’est l’avantage d’être Coyote: après toutes les histoires qu'on a déjà racontées sur moi, les gens me croient capable de tout.”
Et voilà pourquoi, à présent que Coyote n’est plus là, c’est Alouette qui raconte l’histoire. Alouette a une tête de linotte et ne se souvient de sa promesse qu’à l’heure où les étoiles commencent à pâlir, alors il se dépêche de la réciter à toute vitesse avant qu’elles ne s’effacent et qu’il ne soit plus temps, il bredouille et parle si vite, sa voix dérapant dans l'aigu, qu’on dirait presque des trilles d’oiseau. Mais tendez l’oreille quand l'aube se lève et vous verrez bien que ce que tout je vous ai dit est vrai.

mercredi 23 juin 2010

Vous êtes sur la boite vocale de la ligne de Dieu, veuillez laisser un message: MURAKAMI Haruki, 5

Selon un éminent spécialiste*, la langue mongole possède, pour désigner la condition clinique de celui qui, ayant un temps fait l’expérience - apparemment banale en Mongolie - d’être possédé par un mouton, s’aperçoit un jour qu’il ne l’est plus, un terme spécifique: manque-mouton.


Cela fait à présent plusieurs semaines que je n’ai pas eu de nouvel ouvrage de Murakami à me mettre sous la dent. Je commence, j’en ai bien peur, à présenter les symptômes de l’état de manque-Murakami.



*source: la course au mouton sauvage

vendredi 28 mai 2010

Comme un point sur un I



Ce soir, la lune sera dans son plein.
Nous la contemplerons en pensant à Frank Frazetta.






Et entre l'astre et nous, un voile de brouillard s'élèvera, montant de la jungle.

Image: © Frank Frazetta (9 février 1928 - 10 mai 2010)


lundi 17 mai 2010

Vivons chaque jour de grandes aventures

Je viens de trébucher, au coin de quelque blog raisonnablement hospitalier aux commentaires, sur une captcha anti-spam proposant cette énigme digne du Nom de la Rose:


quel est le septième caractère du mot “réaction”?

samedi 24 avril 2010

mercredi 31 mars 2010

Les précurseurs de Kafuka: MURAKAMI Haruki, 4

Vous laissez derrière vous les rumeurs de la place. Vous entrez dans la Bibliothèque.

D’une manière presque physique, vous sentez le poids des livres, l’ambiance calme d’un ordre, le temps par magie disséqué et conservé. A droite et à gauche, absorbés dans leur rêve lucide, se profilent à la lumière des lampes studieuses, comme dans l’hypallage de Milton, les visages momentanés des lecteurs. En ce lieu, il m’est habituel de me rappeler cette image, puis cette autre épithète qui définit aussi l’alentour, cet “aride chameau” du Lunario et encore cet hexamètre de l’Eneide qui utilise et transcende le même artifice:
Ibant obscuri sola sub nocte per umbras

Et vous, quels sont les souvenirs qui vous accompagnent jusqu’à la porte de mon bureau?

Vous entrez. Nous échangeons quelques mots conventionnels et cordiaux. Vous me donnez ce livre. Vous ne vous trompez pas: j’étais loin de vous mésestimer, Murakami, et j’aurais aimé que quelqu’une de vos oeuvres me plût. Cela n’est jamais arrivé. Mais, cette fois, je tourne les pages et j’approuve au hasard tel miroir, tel labyrinthe, peut-être parce que j’y reconnais ma voix, peut-être parce que là où je suis il m’importe peu que...
A ce moment, le rêve se dilue, comme l’eau dans l’eau.
Nous ne sommes ni dans la bibliothèque de la rue Rodriguez Peña, ni dans celle de la rue Mexico, et moi, Borges, je suis mort en 1986.
Amour des livres (vanité entre les vanités!) et nostalgie (à votre avis, est-ce des vôtres que je parle, ou des miens, ou de ceux d'un autre rêveur encore?) ont construit une scène impossible. Assurément, me dis-je, mais demain vous aussi, Murakami, vous serez mort, nos durées seront confondues et la chronologie se fondra en un monde de symboles et, de quelque manière, il sera juste de prétendre que vous m’avez apporté cet ouvrage et que je l’ai accepté.


Aucune des ressemblances que présente ce texte avec certaine préface, en forme de dédicace, à certain recueil de Jorge-Luis Borges, n'est accidentelle. Aucune des différences non plus.



dimanche 14 mars 2010

Eclatons de rire avec Jean Ferrat

Il y avait deux clans dans la famille
Du temps où j'étais un mouflet:
Tino Rossi faisait pâmer les filles,
Et tous les garçons rigolaient.
Et je me dis qu'aujourd'hui même
C'est peut-être pareil pour moi:
Les unes rêvent en murmurant "Je t'aime",
Les autres ricanent tout bas...

crooning voice:
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois
Tu peux m'ouvrir cent fois les bras
C'est toujours la première fois

Evidemment, après trente ans passés
A écouter Marinella,
Même en ayant d'la suite dans les idées,
On n'se bat plus comme chien et chat.
On dit plutôt, dans un sourire:
"Il était pas si mal que ça...”
“Depuis le temps que nous entendons pire..."
... En sera-t-il pareil pour moi ?

crooning voice:
Pourtant, que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?

Oui dans trente ans, du train où vont les choses,
Dieu sait c'qu'il adviendra de moi...
Mais s'il me reste à la bouche une rose
Qui jette encore un peu d'éclat,
Quand de jeunes cons testataires
Mettront leurs grands pieds dans mon plat,
Je leur dirai, Tino, que je suis fier (e)
D'être encore l'idole à Papa...

crooning voice:
Faut-il pleurer, faut-il en rire
Fait-il envie ou bien pitié
Je n'ai pas le cœur à le dire
On ne voit
pas

le temps


passer

dimanche 7 mars 2010

Rêve lucide: MURAKAMI Haruki, 3


On peut être tenté de distinguer deux courants dominants dans l’oeuvre de Murakami, un courant “on s’est trompés d’histoire d’amour” (Au Sud de la frontière, Les amants du Spoutnik ...) et un courant “au secours, vous n’avez pas vu ma planète?” (Kafka, Chroniques, la Fin des Temps ...)

Ce qui permet le plus facilement de repérer l’appartenance d’un Murakami à l’un ou l’autre de ces deux courants, c’est moins une différence marquée de style ou de thématique qu’un clivage entre les lecteurs: parmi ceux qui apprécient Murakami, il y a ceux qui désignent comme leurs favoris les romans du premier groupe, et ceux qui disent préférer ceux de l’autre: “Trop bizarre”, disent les premiers; “j’ai pas retrouvé la magie”, disent les seconds...
Demandons aux personnages de Murakami comment ils se situent dans ce débat.

- J’ai refermé ce livre avec un sentiment bizarre, je me demandais ce que l’auteur avait voulu dire exactement. Mais c’est justement ce “je ne sais pas ce que l’auteur a voulu dire exactement“ qui m’a laissé la plus forte impression. J’ai du mal à l’expliquer....
- Tu veux dire que ce roman est très différent des romans d’initiation ou d’apprentissage tels que Sanshirô, par exemple?
Je hoche la tête.
- Hum. J’ai un peu de mal à m’y retrouver, mais c’est peut-être bien ça. Dans Sanshirô on voit le héros grandir. Il se heurte à des murs, réfléchit sérieusement, et parvient ainsi à surmonter les épreuves. Mais le héros du Mineur est complètement différent. Il se contente de regarder ce qu’il a sous les yeux et de l’accepter. Evidemment, de temps en temps, il donne son avis, mais ce n’est jamais très profond. Son introspection porte plutôt sur l’histoire d’amour qu’il ressasse. Et, du moins en apparence, il ressort de la mine tel qu’il y est entré.

(c'est dans Kafka sur le rivage que le fugueur Kafka et le bibliothécaire Oshima échangent ces remarques sur deux romans de Natsume Soseki, Sanshirô et Le Mineur)

Si le jeune Kafuka était un lecteur de Murakami (Haruki), peut-être formulerait-il sur Kafka sur le rivage les mêmes remarques qu'il fait sur Sanshirô, d’une part, et porterait-il, d’autre part, le même jugement que sur Le Mineur, sur Au Sud de la frontière, à l’Ouest du Soleil?...
Evidemment, il faut pour cela imaginer Kafuka Tamura s’installant dans une bibliothèque pour lire Kafka sur le rivage et ça, c’est peut-être un peu trop bizarre. Ou peut-être pas, ça dépend de ce que vous préférez chez Murakami.




mardi 23 février 2010

Savoir lire en rêve: MURAKAMI Haruki, 2

Vous savez, Monsieur Hoshino, Nakata fait souvent le même rêve. Dans ce rêve, Nakata sait lire et il est devenu intelligent. Alors il est tellement content qu’il va à la bibliothèque et qu’il lit des tas de livres. Il se dit que c’est merveilleux de savoir lire. Il dévore les livres les uns après les autres. Mais tout d’un coup, la salle est plongée dans le noir. Quelqu’un a éteint la lumière. Nakata n’y voit plus rien. Il ne peut plus lire... C’est à ce moment-là que je me réveille.


Même en rêve, c’est vraiment merveilleux de savoir lire.


(Kafka sur le rivage)



Dans les romans de Murakami (Haruki), il arrive souvent que des personnages soient plongés dans le noir. Il arrive souvent, aussi, qu’ils lisent des livres. D’autres fois encore il arrive qu’ils lisent des rêves, mais ceci est une autre histoire.

vendredi 19 février 2010

MURAKAMI Haruki, 1

- D'après mon expérience, quand on cherche désespérément quelque chose, on ne le trouve pas. Et quand on s'efforce d'éviter quelque chose, on peut être sûr que ça va venir vers nous tout naturellement. Bien sur, ce n'est qu'une théorie.
- Si vous appliquez cette théorie à mon cas, que va-t-il m'arriver si je cherche quelque chose et essaie de l'éviter en même temps?
- C'est une question difficile, dit Oshima en souriant. Puis il reprend après une petite pause: Si je peux me permettre de le donner, voilà mon avis. Peut-être que ce que tu cherches ne viendra pas sous la forme à laquelle tu t'attends.



De Kafka sur le rivage. J'espère que cette note sera la première d'une longue série de notes sur Haruki Murakami - je l'espère et à la fois je le crains, car en s'attaquant à ce Japonais mutant, on a affaire à forte partie.
Bref, je cherche et j'essaie en même temps d'éviter d'en parler... voyons, quelle influence cela pourra-t-il avoir sur la forme que cela va prendre?

vendredi 29 janvier 2010

Les deux visages de Janvier (Janua Vera, de Jean-Philippe Jaworski)

Janvier , consacré à Janus, n’est il pas le mois le plus propice pour rendre compte d’un ouvrage intitulé Janua Vera - même si la première édition en remonte à deux ans, et la réédition en collection de poche à l’été dernier?
D'ailleurs, l'auteur, Jean-Philippe Jaworski, à la fois auteur de jeux de rôles et romancier, ne peut-il pas invoquer pour lui-même la tutelle du dieu aux deux visages?

Janua Vera est un recueil de nouvelles, qu’on peut lire indépendamment l’une de l’autre car elles n’ont à première vue de commun que leur cadre: un même univers de fantasy, le Vieux Royaume, à différents moments de sa longue histoire.
Individuellement, chaque nouvelle est une réussite, chacune dans un style et, à certains égards, dans un genre différent. Parmi les quelques compte-rendus de ce recueil que j’ai lus ici et là, quelques-uns objectaient à son hétérogénéité stylistique, et, en particulier, reprochaient à la première nouvelle un ton “pompeux”; il m’a semblé au contraire que cette variété procède d’une recherche du ton juste pour chaque histoire, qui est plutôt à porter au crédit de l’auteur.
Pour répondre à l’objection soulevée, dans le cas de cette première nouvelle, le style délibérément archaïsant, incantatoire à l’exemple de l’Aïnulindalë de Tolkien, ancre le texte à sa place dans le cycle: située chronologiquement longtemps avant les autres, elle se réfère à une conception anhistorique du monde - ce qui ne sera pas le cas des suivantes, qui dépeignent différents moments de l’évolution d’une société de plus en plus urbaine, aux hiérarchies de plus en plus complexes. Mais loin d’être déconnectée des autres, cette nouvelle (qui, d’une façon significative, donne son nom au recueil) propose au contraire une clé pour leur lecture: dans toutes ces fictions, la principale menace ne viendra pas de quelque déferlement de ténèbres extérieures - pas de hordes de gobelins, d’hommes-reptiles ni de mutants du chaos en vue - mais du plus intime des protagonistes, de leur inséparable part d’ombre.

Des nouvelles qui suivent, la plus longue (Mauvaise donne) constitue, il n’est pas sans intérêt de le savoir, une sorte de prologue à un roman à venir: de ce roman, Gagner la Guerre, il sera brièvement question plus loin. Entre en scène, donc, dans Mauvaise Donne, le personnage picaresque qui sera le héros et le narrateur de Gagner la Guerre; l’auteur a su trouver, pour faire parler ce personnage ambigu, une langue familière juste assez pour éviter à la fois de s’embourber dans des archaïsmes jargonnants et de déraper dans des anachronismes indésirables.

Le ton de ce récit à la première personne contraste d’ailleurs vivement avec celui, souvent élégiaque, de la plupart des autres. Chacun de ces courts textes a sa tonalité (pour ne pas dire sa musique) propre: le premier, on l’a vu, s’acquitte scrupuleusement de toutes les figures imposées de la High Fantasy (vocabulaire antiquisant et syntaxe biblique, énumérations de toponymes exotiques); le Service des Dames impose la précision factuelle du roman historique tel qu’on l’entend aujourd’hui à la thématique de la littérature courtoise (un peu comme si Cormac Mac Carthy ou Arturo Perez-Reverte revisitaient un lai de Marie de France), tandis que le Conte de Suzelle évoque irrésistiblement le Marcel Schwob du Livre de Monelle.
Quant à la dernière nouvelle, le Confident... je préfère vous la laisser découvrir.

Je n’ai pas encore lu, je dois l’avouer, Gagner la Guerre, premier (et gros!) roman de cet auteur. Il n’est pas rare qu’un auteur qui réussit dans la nouvelle ne connaisse pas le même succès sur une plus longue distance. C’est pourtant avec confiance que je parie sur la réussite de Jaworski dans ce passage (difficile) de la forme courte au roman-fleuve, si grande est la maîtrise dont témoigne la nouvelle qui permet de faire le lien entre Janua Vera et ce roman.

Coïncidence: ma sage et savante amie Algésiras, plus prompte que moi, vient de consacrer, dans son blog, une note enthousiaste* à Gagner la Guerre... Vous faites ce que vous voulez, mais moi, je sais ce qu’il me reste à faire.

* à lire dans les archives, à la date du 25 janvier 2010. Je le précise parce que son blog ne permet pas les liens directs vers une note archivée.

Mise à jour du 31/03/10: et voici que l'insaisissable Li-An (légendaire précog de classe A, recherché sur vingt-cinq mondes), qui avait déjà, l'an dernier, attiré l'attention des lecteurs de son blog sur Janua Vera, vient à son tour de dire du bien de Gagner la guerre... ça devient difficile d'être original.


Janua Vera, de Jean-Philippe Jaworski (première édition les Moutons Electriques, 2007; nouvelle édition Folio SF, 2009)