jeudi 29 octobre 2020

Enrichissons notre vocabulaire

 

Hier soir, ayant à cuisiner des lentilles, j'ai par habitude tourné le bouton de la radio (on cuisine mieux avec un fond sonore) et, sans l'avoir vraiment cherché, j'ai capté l'essentiel de l'Adresse au Peuple délivrée par le Compétent Suprême. 

J'ai eu la surprise de constater qu'il venait d'apprendre un nouveau mot: le mot "nous", qu'avec un enthousiasme de néophyte il a employé comme sujet de presque chaque phrase - ce qui a fait, au total, beaucoup de "nous", dont chacun suggérait, par association, que l'ensemble de la population assumait, unanime, la responsabilité de l'ensemble des décisions passées - et il n'est revenu à la première personne du singulier qu'à deux ou trois reprises, lorsqu'il était forcé d'admettre que pour certaines tâches de première importance (comme faire connaître les décisions futures dont l'ensemble de la population serait, le moment venu, invité à, unanimement, assumer la responsabilité) il ne pouvait décidément compter que sur lui-même. 

 

lundi 19 octobre 2020

Je suis


JE SUIS,
c'est un bon début,
mais ensuite?
Sur la ligne suivante, qu'est-ce qu'on écrit?
Combien de noms?


 

 



jeudi 15 octobre 2020

Kajillionaire, de Miranda July: les petites horreurs

 

J'aime à vivre dangereusement, et, quelle chance! l'époque que nous vivons nous fournit en abondance des occasions de nous mettre en danger, sans même avoir à construire un radeau pour remonter l'Amazone ou un dirigeable pour observer les variations du pôle magnétique.
Pour ressentir le frisson de l'aventure interdite, à présent il suffit d'aller faire ses courses ou de commander un demi dans un bar.
Moi j'ai relevé un défi encore plus fou: j'ai choisi d'aller au cinéma!
Je suis allé voir Kajillionaire, le troisième long métrage de Miranda July.
Je vous rassure tout de suite: le danger que j'ai affronté n'était pas si terrible que ça, mes chances de survie étaient élevées: dans une salle de taille moyenne  (et désinfectée plusieurs fois par jour, une affichette à l'entrée en donnait l'assurance),  j'étais le seul spectateur.
Que voulez-vous, Miranda July, it's an acquired taste.
Le bon côté de la situation, c'est qu'en matière d'application des consignes de sécurité, on ne pouvait pas faire plus.
Pour ceux de nos lecteurs qui n'auraient pas eu de temps à consacrer à l'étude des mathématiques superfluides, rappelons qu'un kajillion, c'est un jilliard de tripallions. Ça permet d'exprimer des sommes de beaucoup d'argent. Quiconque devient kajillionaire peut avoir tout ce qu'il veut dans la vie.
C'est ce qui arrive aux deux protagonistes du film, Old Dolio et Mélanie: à la fin, à la dernière image (après qu'elles aient surmonté bien des épreuves, c'est un film d'aventures et de suspense, quand même!) elles ont exactement ce dont elles ont envie, juste au moment où elles en ont envie, comme si elles étaient devenues kajillionaires (d'où le titre, qu'il faut donc entendre dans un sens métaphorique, pas littéral).
C'est du Miranda July tout craché: Miranda July est quelqu'un qui possède, à la fois, une sensibilité exacerbée qui lui permet de percevoir mieux que beaucoup d'autres les petites horreurs de la vie quotidienne, et un profond optimisme.
Qui s'intéresserait à la genèse de l'histoire racontée dans ce film pourrait aller fouiller dans un des livres récents de Miranda July: Il Vous Choisit, un mélange de reportage et d'autofiction, dans lequel elle racontait ses entrevues avec des gens qui avaient passé des annonces dans un hebdomadaire spécialisé dans les ventes entre particuliers. Des gens qui voulaient vendre une veste en cuir, une peinture sur velours ou une collection de bibelots. Pour pouvoir acheter un vélo ou changer la suspension de l'entrée, ou pour d'autres raisons. Ce qui conduisait Miranda à se demander: qu'est-ce que ça vaut, les choses? Pourquoi les gens en ont envie? Pourquoi un jour ils n'en ont plus envie?
Elle se pose à nouveau ces questions dans le film, où elles en rejoignent d'autres, dont je vous laisse la surprise (j'ai résumé en quelques mots les grandes lignes du film, sans spoiler, j'espère que je vous ai donné envie de le voir).
J'ai acquis le goût de Miranda July (je vous ai prévenu, it's an acquired taste) il y a déjà quelques lustres de ça, d'abord en découvrant son blog, aujourd'hui défunt et remplacé par ce site
Puis de fil en aiguille, comme on dit, sur une longue période, j'ai lu ses livres, vu ses films, et je suis bien décidé à continuer.
Entendons-nous bien: je ne suis pas en train d'essayer de vous vendre Miranda July, je ne veux pas dire que ses recueils de nouvelles sont du niveau des Villes Invisibles, que ses romans peuvent se comparer au Voyage au bout de la nuit ou ses films à Citizen Kane: on pourrait même dire qu'ils ne seront pas forcément au goût de tout le monde. 

Non, j'ai eu envie d'écrire ce billet juste parce qu'à chaque nouvelle rencontre avec Miranda July je ressens à nouveau la bouffée de sympathie que m'avait inspirée la fille qui, il y a quinze ans, écrivait des messages au marqueur sur le dessus de son réfrigérateur, les prenait en photo puis les effaçait à l'alcool pour en écrire d'autres;  parce que chacune de ces nouvelles rencontres me rappelle que je suis content que Miranda July existe.
Et savoir que quelque part sur cette planète il y a un être humain qu'on est content qu'il existe, ce n'est déjà pas mal.

 

Miranda July, Kajillionaire,
un film avec Evan Rachel Wood et Gina Rodriguez
A Plan B / Annapurna Production, 2020

Et si vous êtes curieux: Miranda July, Il Vous Choisit, un livre avec des gens.

Miranda July (photos de Brigitte Sire),
Il Vous Choisit (It Chooses You, McSweeney’s, 2011)
traduction de Nicolas Richard,
Éditions Flammarion, 2013.
ISBN 978-2-08-127811-0


dimanche 11 octobre 2020

Poussière de rêve

 

C’était un rêve ; je pensais rentrer chez moi.
Un vers de Louise Glück


Il y a d'abord ces rêves brefs, à peine des esquisses, qui surgissent quand on vient de se coucher et qu'on n'a pas encore trouvé la position qu'on gardera ensuite toute la nuit: là, par exemple, je m'engage dans un escalier, et l'impression d'avoir raté une marche me réveille en sursaut.
Puis il y a les rêves de l'aube, déambulations tortueuses dont on ne parvient, au réveil, à se remémorer que la fin.
Nous rentrons d'une longue promenade, P. et moi, il se plaint de picotements dans les mains et les attribue à l'électricité statique qui selon lui, s'accumule quand il les garde longtemps crispées sur le guidon de son vélo. Cette explication me laisse un peu sceptique; pour que ça ne se voie pas trop, j'affecte de m'intéresser à un des livres que nous avons ramenés de la promenade (les circonstances de cette trouvaille se sont déjà perdues dans les profondeurs du rêve). Les pages sont un peu gondolées, la tranche supérieure et le premier plat du livre sont couvertes de poussière: sans doute a-t-il séjourné des années dans une pièce un peu humide sans que personne n'y touche. Machinalement, j'essuie la poussière: elle est fine et un peu grasse, je m'en mets plein les doigts… et quelques instants plus tard, au réveil, je ressens d'abord étonnement, puis soulagement de ne plus voir sur mes mains aucune trace de saleté, avant de parvenir à la conclusion qu'après tout, c'est un peu normal.

 

mercredi 7 octobre 2020

Le principe de précaution


Annie Atkins, graphic designer de son état (elle travaille dans un secteur bien particulier du design: vous devriez voir son site!) a fait le tour de la question du confinement:



Poster par Annie Atkins.