vendredi 23 novembre 2012

Au douzième singe de minuit



Aujourd'hui 22 novembre, c'est la Saint Terry Gilliam.


Bonne fête à tous les Terry Gilliam.


Illustration: Singe, estampe 
d'après une peinture d'Hakuin Ekaku.

mercredi 21 novembre 2012

D'accord la sieste c'est sacré, mais après vous me rangerez cette chambre, une chatte n'y retrouverait pas ses petits.


- Oui Maman.
- D'accord Maman.




Les tigres auront bientôt disparu 
s’ils ne se décident pas à compenser la baisse 
de leur fécondité 
en se tournant vers l’adoption.



illustration: ?


vendredi 16 novembre 2012

Le dépôt légal: retour sur Rêves de rêves (Antonio Tabucchi, 12)


Antonio Tabucchi se livre, dans la préface à Rêves de Rêves, à une généralisation un peu simplificatrice ("Le désir m'a souvent gagné de connaître les rêves des artistes que j'ai aimés. Malheureusement, ceux dont je parle dans ce livre ne nous ont pas laissé les parcours nocturnes de leur esprit"): en fait, trois au moins des écrivains dont il revisite les nuits s'étaient, c'est notoire, livré à des confidences sur ce thème: Robert-Louis Stevenson, Fernando Pessoa et Sigmund Freud.
Sans surprise, c'est le troisième qui s'était montré le plus prolixe raconteur de rêves. Comme pour se faire pardonner cet exhibitionnisme, c'est la plupart du temps (plus souvent en tous cas que lorsqu'il disséquait les rêves de ses patients), avec humour et en les enrubannant de traits d'esprit que Freud raconte ses propres rêves (il me semble me souvenir vaguement d'une théorie qui suppose des rapports entre le mot d'esprit et l'inconscient… à vérifier).
Dans les rêves que leur prête Tabucchi, Stevenson et Pessoa trouvent révélations et apaisement.
La couleur du Rêve du Docteur Freud, interprète des rêves d'autrui, est bien différente: c'est une expérience angoissante (s'agit-il de l'angoisse du rêveur, ou de celle du rêveur de rêveurs?) que Tabucchi inflige au médecin viennois, et c'est un Freud désorienté et malheureux qui, à la dernière ligne de la nouvelle, ouvre les yeux sur le matin du dernier jour de sa vie.
Est-ce la désinvolture mondaine avec laquelle le Doktor, dans ses ouvrages, parle de ses propres rêves qui a incité Tabucchi à lui jouer ce mauvais tour posthume? Qui sait.

[…] une autre fois, je suis assis dans un wagon et je tiens sur mes genoux un objet qui a la forme d'un chapeau haut-de-forme, mais qui est en verre transparent. La situation me fait penser tout de suite au dicton: "Mit dem Hut in der Hand kommt man durchs ganze Land" (le chapeau à la main, on traverse tout le pays). Le haut-de-forme de verre me rappelle, par un bref détour, le bec Auer, et je sais bientôt que j'aimerais faire une découverte qui me rendrait aussi riche et indépendant que mon compatriote, le docteur Auer von Welsbach, l'est devenu par la sienne, et qu'alors je voyagerais au lieu de demeurer à Vienne. Dans le rêve, je voyage avec mon invention - le haut-de-forme de verre - qui n'est certes pas encore d'usage courant.


Sigmund Freud, 
Über den Traum, 1901 / Sur le Rêve
traduction de Cornélius Heim, 
Gallimard, 1988



Le Doktor-Professor Freud se hâta, à son réveil, 
de déposer un brevet pour son astucieuse découverte: 
le couvre-chef de verre qui permettait de voir 
(quelque peu ut per speculum in ænigmate, à vrai dire) 
à l'intérieur de la tête de son porteur. 
Curieux destin des inventions:
 au cours du siècle suivant, les chapeaux de verre 
supplantèrent presque complètement 
les chapeaux de feutre, 
de soie et de castor,
qui jusque-là avaient fait partie 
d'une catégorie d'accessoires vestimentaires 
dont il était entendu qu'on ne pourrait 
jamais se passer.


Illustration: brevet déposé par Samuel W. White en octobre 1840 
pour un chapeau destiné à prévenir la noyade.

vendredi 9 novembre 2012

Tu ne sais pas ce qui t'attend (Antonio Tabucchi, 11)



Alors on va déjeuner, dit Tadeus, on va déjeuner en bas chez Casimiro, écoute, tu ne sais pas ce qui t'attend, j'ai commandé hier un sarrabulho à moda do Douro, c'est une merveille, la femme de Casimiro est de là-bas, elle vous fait un sarrabulho absolument divin, à tomber à genoux, tu vois ce que je veux dire?

On a du mal à quitter Tabucchi, enfin moi j'ai du mal, il était un peu comme ça lui aussi, quand il entamait des conversations avec des amis il les continuait même par-delà la mort, il en a même fait un livre qu'il a appelé Requiem (un peu par antiphrase car c'est un livre intranquille), écrit tout en portugais pour que les amis portugais auxquels il continuait de parler à travers ce livre suivent plus facilement la conversation, il n'est pas décent de demander aux morts des efforts superflus car enfin mourir ce n'est pas rien. 
Vous qui allez bien, j'espère que vous avez de l'appétit (forcément, l'appétit c'est signe que ça va), parce qu'il va vous en falloir pour apprécier comme il faut ce bon petit plat d'hiver.

vous rajoutez du cumin si ça vous dit


Il faut m'excuser, dit la Femme de Monsieur Casimiro, le vrai sarrabulho, dans mon pays, on le fait avec de la purée de maïs,  mais aujourd'hui je n'avais plus de farine de maïs, alors j'ai mis des pommes de terre, mais ça ne fait rien, je vais vous donner les ingrédients pour un vrai sarrabulho, je ne mesure jamais rien, je fais toujours ça à vue de nez;  enfin, il faut du filet de porc, de la graisse, du saindoux, du foie de porc, des tripes*, un bol de sang cuit, une tête d'ail, un verre de vin blanc, un oignon, de l'huile d'olive, du sel, du poivre et du cumin.
Casimira, asseyez-vous là, et buvez-moi un petit verre de ce Reguengos de Monsaraz, ça vous aidera à nous expliquer tout ça. […] Bon, dit-elle, si vous voulez un bon sarrabulho,  il faut préparer la viande dès la veille: vous coupez le porc en morceaux réguliers, vous assaisonnez avec les gousses d'ail haché, du vin, du sel, du poivre, du cumin, le lendemain vous aurez une viande savoureuse, je ne vous dis que ça; alors vous prenez une terrine et vous coupez en morceaux la crépine, c'est comme ça qu'on appelle la graisse qui entoure les tripes, vous la faites fondre à feu doux, puis vous faites dorer les rognons au saindoux à feu vif, et vous laissez cuire à petit feu. 
Quand la viande est presque à point, vous l'arrosez avec le jus où elle a mariné la veille, et vous laissez réduire. Pendant ce temps-là, vous coupez le foie et les tripes, vous les faites revenir dans le saindoux pour qu'ils soient bien dorés. À part, vous hachez votre oignon, vous le mouillez d'huile, et vous ajoutez le bol de sang cuit. Alors vous mélangez le tout dans la terrine et votre sarrabulho sera prêt; vous rajoutez du cumin si ça vous dit, et vous servez avec des pommes de terre, de la purée de maïs ou du riz, enfin moi j'aime mieux le maïs, je l'ai déjà dit, parce que c'est comme ça qu'on fait dans mon village, mais ça n'est pas obligatoire.
La Femme de Monsieur Casimiro poussa un soupir, en raison de l'effort qu'elle venait de fournir, et posa une main sur sa forte poitrine. Et voilà, dit-elle, après cela, on n'a plus qu'à manger et à se régaler.
Antonio Tabucchi, Requiem 


*  Vous êtes sans doute intrigué par l'absence, dans la liste d'ingrédients figurant en préambule, des rognons, que la Femme de Monsieur Casimiro mentionnera pourtant en temps et heure (quand il faudra bien les faire dorer). Le détail est d'importance, car, plus tôt dans le livre, c'est par une bouchée de rognon que le narrateur a commencé la dégustation du sarrabulho, et c'est par son goût délicieux que, malgré ses préventions initiales, il a été conquis. Si dans la liste des ingrédients Madame Casimira parle seulement de tripes, c'est sans doute que, de la grande famille de la tripaille, la cuisinière n'entend pas exclure les rognons? Mais alors la traductrice n'aurait-elle pas dû choisir le mot abats, plus inclusif, plutôt que celui-ci? à moins qu'elle n'ait choisi délibérément un mot imprécis, pour souligner combien la langue employée par Madame Casimira est dépourvue de sophistication? Dans ce choix, Antonio Tabucchi a-t-il mis son grain de sel? Il faudrait leur demander, à l'un ou à l'autre, à tous les deux ce serait encore mieux. Quoi qu'il en soit, je me permets d'insister sur l'importance  de la présence du foie et des rognons dans le sarrabulho, si on veut répéter à l'identique l'expérience faite par le protagoniste de Requiem.

Mange, petit cochon, mange, tu ne sais pas qui te mangera.

Requiem (1991), Bourgois, 1993 
traduit du portugais par Isabelle Pereira avec la collaboration de l'auteur 
ISBN 2_264_01946-8

Photo: tous droit réservés.

jeudi 8 novembre 2012

Des pieds nickelés


Drôle de trame pour ce rêve fait au temps de la rentrée universitaire (on dirait bien que le souvenir de la rentrée des classes nous traumatise pour toute la vie): nous devions absolument, Jean-Louis* et moi, nous emparer d'un certain document dans le bureau du recteur de l'établissement dont nous étions élèves. 
C'était le soir, mais les bureaux étaient encore pleins de gens qui travaillaient - en particulier, le redoutable recteur. 
Une soudaine intuition me dictait que nous passerions inaperçus si nous nous comportions comme si nous faisions partie de l'équipe de nettoyage - et ça marchait: nous devenions invisibles pour les membres du personnel administratif, qui, soupçonneux un instant auparavant, évitaient soigneusement de nous regarder dès lors que nous vidions les corbeilles à papier et que nous astiquions les bureaux (plus tard, éveillé, je me souvins que l'intrigue d'une nouvelle policière de Chesterton avait pour principal ressort cette sorte d'invisibilité induite). 
Nous nous étions séparés, Jean-Louis et moi: il avait pénétré dans l'antre du monstre, profitant d'une absence qui risquait d'être de courte durée; j'étais resté dans un couloir, pour faire diversion et donner l'alerte en cas de nécessité. 
Sur une des chaises alignées contre un mur, quelqu'un était assis: c'était Jean-Mi*, un de nos camarades, un garçon timide et totalement étranger à notre entreprise. Je me doutais de la raison de sa présence (il avait présenté sa candidature à une offre de stage, ou quelque chose de ce genre): aussi, pour donner le change, je m'asseyais à côté de lui sans rien dire. Pas de réaction de sa part: il devait être paralysé par l'inquiétude. 
Du bout du couloir une vieille dame venait vers nous: c'était une des directrices administratives, connue pour sa bienveillance. Hé bien, félicitations, disait-elle à Jean-Mi: votre candidature est acceptée. Tout à son soulagement, Jean-Mi ne réagissait pas à la plaisanterie risquée que je faisais pour saluer la bonne nouvelle; puis, d'un air complice, j'expliquais que j'étais venu "soutenir" mon camarade, à la charmante vieille dame, derrière le dos de qui, à ce moment-là, surgissait Jean-Louis, triomphant. Apparemment, nous avions réussi…

*Jean-Louis et Jean-Mi étant des gens qui existent pour de bon dans la vraie vie, leurs noms ont été adroitement déguisés pour qu'ils ne soient pas trop gênés de voit révélée au public cette embarrassante circonstance: qu'ils font des apparitions dans mes rêves. 

samedi 3 novembre 2012

Nos voisins les japonais



M. Miyazaki (Hayao) compte parmi ses voisins, sur la grande île où il habite, plusieurs personnages discrets qui, au bout de chemins veillés par des torii laqués de rouge,  mènent une vie assez recluse (il a d'ailleurs consacré un film à l'un de ces voisins excentriques,  vous en avez peut-être entendu parler).  Sa surprise a été grande quand un autre d'entre ces voisins, justement un des plus casaniers, lui a fait parvenir une invitation à se rendre en son palais.

On dira ce qu'on voudra, 
c'est toujours un peu intimidant 
d'entrer dans un palais.


C'est aujourd'hui 3 novembre que l'Empereur du Japon remet à Miyazaki-sama  une distinction enviée, le Mérite Culturel (c'est écrit, là) - distinction qu'il avait attribuée par le passé à Matsumoto Leiji (dessinateur de pirates au cœur tendre), Shibayama Tsutomu (co-fondateur du stdio Ajiado) et Mizuki Shigeru (auteur de NonNonBā ).
Au Japon c'est le Jour de la Culture. C'est donc le moment de sortir du placard où vous l'aviez oublié ce parapluie qu'on vous avait prêté, une nuit, il y a longtemps, et de le brandir en exécutant la Danse des Totoros autour de la dernière graine que vous avez plantée.

Oh, et puis, vous avez vu? I Wish / Nos vœux secrets, de Kore-Eda, est désormais disponible en DVD. Elle pourra peut-être avoir lieu finalement, cette fameuse soirée vidéo + crackers goût tartare de cheval.

Illustration: Studios Ghibli