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samedi 14 décembre 2024

Détour par la rue Georges Perec

 Il y aurait encore des choses à dire sur Jacques Roubaud,
J'ai été séduit (dans l'ardeur de ma jeunesse) par des textes qui sont, je m'en rends compte bien tardivement, relativement marginaux dans son œuvre, tout en en ignorant d'autres qui peut-être comptaient davantage pour lui (?): ses poèmes, surtout. Les Chats (merci les Chats!) ont attiré mon attention sur cette lacune, je vais maintenant (grâce à leur commentaire) me chercher un de ses recueils de poèmes (il y en a des tas); pourquoi pas celui qu'ils ont cité? Je ferai peut-être ça dans la nuit de dimanche prochain? En attendant voici ma réponse à leur commentaire:

rue georges perec 15/03/07:
c’est une rue où
les chats sont
les seuls vrais passants.

Un "Trident", trouvé dans le "dossier Roubaud"
 sur le site En attendant Nadeau;
allez-y voir, vous apprendrez plein de choses.

dimanche 5 mars 2017

Trois cent trente trois, trois cent trente quatre, et la suite


Je viens de me souvenir que ce blog s'est enrichi récemment d'un trois cent trente troisième billet, ce qui, me semble-t-il, aurait mérité une petite célébration (parce que c'est joli, 333)... au lieu de cela, que vois-je? Il a été suivi déjà d'un trois cent trente quatrième… d'un trois cent trente cinquième... et je n'ai toujours pas fêté l'événement comme il se devait! Au secours, Georges Perec!


333
Je me souviens de la bande à Baader.

334
Je me souviens de la Nouvelle Vague.

 Et la vie continue...

336
Je me souviens aussi que l'Express s'étant sous-titré L'Hebdomadaire de la Nouvelle Vague, le Canard Enchaîné avait fait remarquer qu'on aurait davantage attendu d'un organe de presse qu'il se vante de donner des nouvelles précises.


Georges Perec, Je me souviens


jeudi 21 février 2013

Là où vont les abounas


Cinoc, qui avait alors une cinquantaine d'années, exerçait un curieux métier. Comme il  le disait lui-même, il était "tueur de mots": il travaillait à la mise à jour des dictionnaires Larousse. Mais alors que d'autres rédacteurs étaient à la recherche de mots et de sens nouveaux, lui devait, pour leur faire de la place, éliminer tous les mots et tous les sens tombés en désuétude. Quand il prit sa retraite, en mille neuf cent soixante-cinq, après cinquante-trois ans de scrupuleux services, il avait fait disparaître des centaines et des milliers d'outils, de techniques, de coutumes, de croyances, de dictons, de plats, de jeux, de sobriquets, de poids et de mesures; il avait rayé de la carte des dizaines d'îles, des centaines de villes et de fleuves, des milliers de chefs-lieux de canton;

Voici à quoi ressemblait une carte marine
après que Cinoc, dans l'exercice de son curieux métier,
en avait fait disparaître les îles surnuméraires.

  il avait renvoyé à leur anonymat taxinomique des centaines de sortes de vache, des espèces d'oiseaux, d'insectes et de serpents, des poissons un peu spéciaux, des variétés de coquillages, des plantes pas tout à fait pareilles, des types particuliers de légumes et de fruits; il avait fait s'évanouir dans la nuit des temps des cohortes de géographes, de missionnaires, d'entomologistes, de Pères de l'Eglise, d'hommes de lettres, de généraux, de Dieux et de Démons.
Qui désormais saurait ce qu'avait été le vigigraphe, "espèce de télégraphe de vigies qui se correspondent"? Qui désormais pourrait imaginer qu'il avait existé pendant peut-être des générations une "masse de bois placée au bout d'un bâton pour fouler le cresson dans les fosses inondées" et que cette masse se nommait une schuèle (chu-èle)? Qui se souviendrait du vélocimane*?  Où étaient passés ces abounas, métropolitains de l'Eglise éthiopienne, ces palatines, fourrures que les femmes portaient sur le cou en hiver, ainsi nommées de la princesse Palatine qui en introduisit l'usage en France sous la minorité de Louis XIV, et ces chandernagors, ces sous-officiers tous chamarrés d'or qui précédaient les défilés sous le Second Empire?
[…]
Cinoc se mit à traîner le  long des quais, fouillant les étals des bouquinistes, feuilletant des romans à deux sous, des essais démodés, des guides de voyage périmés, des vieux traités de physiologie, de mécanique ou de morale, des atlas surannés où l'Italie apparaissait encore comme un bariolage de petits royaumes. Plus tard il alla emprunter des livres à la bibliothèque municipale du XVII° arrondissement, rue Jacques-Binjen, se faisant descendre des combles des in-folio poussiéreux, des manuels Roret, des livres de la Bibliothèque des Merveilles, et des vieux dictionnaires: le Lachâtre, le Vicarius, le Bescherelle aîné, le Larrive et Fleury, l'Encyclopédie de la Conversation rédigée par une Société de Gens de Lettres, le Graves et d'Esbigné, le Bouillet, le Dezobry et Bachelet. Enfin, quand il eut épuisé les ressources de sa bibliothèque de quartier, il alla, s'enhardissant, s'inscrire à Sainte-Geneviève et il se mit à lire les auteurs dont, en entrant, il voyait les noms gravés sur la façade.
[…]
Cinoc lisait lentement, notait les mots rares, et peu à peu son projet prit corps, et il décida de rédiger un grand dictionnaire des mots oubliés, non pas pour perpétuer le souvenir des Akkas, peuple nègre nain de l'Afrique centrale, ou de Jean Gigoux, peintre d'Histoire, ou d'Henri Romagnesi, compositeur de romances (1781-1851), ni pour éterniser le scolécobrote, coléoptère tétramère de la famille des longicornes, tribu des cérambycins, mais pour sauver des mots simples qui continuaient encore à lui parler.


*vélocimane (n. m.) (du lat. velox, ocis, rapide, et manus, main) Appareil de locomotion, spécial pour les enfants, en forme de cheval, monté sur trois ou quatre roues, et dit aussi cheval mécanique.

Georges Perec, La vie, mode d'emploi (Hachette, 1978)

Illustration: The Bellman's Map, par Henry Holiday, 
pour La Chasse au Snark, de Lewis Carroll