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mercredi 14 septembre 2016

Bon anniversaire, Maurice Pons



Aujourd'hui, 14 septembre  2016, Maurice Pons 
aurait eu quatre-vingt neuf ans: un bel âge, 
comme on a pris l'habitude de le dire machinalement, sans prendre le temps de se demander à quoi ça ressemble, "un bel âge". 
Mais lui l'a pris, le temps d'y réfléchir, et il s'est dit que quatre-vingt-huit ans et huit mois, ça sonnait quand même mieux. Quatre-vingt-huit ans huit mois est donc l'âge qu'il a décidé de garder, désormais, de façon permanente.

Cette nuit encore, vers quatre heures du matin, j'ai été réveillé par un long coup de sonnette, très appuyé, très distinct. J'ai tout de suite pensé que c'était toi. Ce ne pouvait être que toi. Et je me suis vu assailli aussitôt par une nuée d'images.
Je te voyais toi, d'abord, dans cette robe verte, légèrement fleurie, que j'aime tant, avec des socquettes de petite fille et des sandalettes. Toi, frissonnante, exaltée, les bras nus, tenant entre tes mains un grand carton plat. Je te voyais carillonnant à la grille de cette petite maison que j'habite seul depuis plusieurs mois déjà. Toi, ta chevelure de flammes, tes yeux verts, capables comme le ciel d'été de passer d'un coup de vent, de l'extrême tendresse à la pire cruauté. 
Et ton sourire.
J'ai allumé une lumière, je me suis levé en hâte, j'ai enfilé un vêtement. J'ai commencé à dévaler l'escalier de bois qui descend à l'étage. 
Et ces images toujours qui tournoyaient 
dans ma tête.  
La première fois que tu avais sonné chez moi au milieu de la nuit, j'habitais encore à Paris dans un minuscule studio et toi tu vivais encore avec Jean-Pierre dans le même immeuble mais dans un somptueux appartement. 
Votre ménage commençait à battre de l'aile. 
Tu t'étais sauvée une fois de plus, à peine vêtue, serrant contre toi ta trousse de toilette et ton ours en peluche. Le seul trésor de ton enfance auquel tu croyais tenir et qui te suivait dans tous tes périples. Les larmes aux yeux, la détresse enluminant
ton visage, tu déboulais chez moi pour y chercher refuge. Contre toi-même sans doute.
- Il me séquestre, il me bat, je le déteste, regarde, disais-tu.
Tu voulais me montrer sur ton dos des traces de griffures ou de lanières…
Nous avions partagé pour la nuit mon lit de garçon: 
moi sur le sommier avec un oreiller et une couverture, toi sur le matelas par terre avec un autre oreiller et les draps. Mais nous n'avions pas beaucoup dormi, nous avions beaucoup parlé. 
Le matin, tu étais retournée chez Jean-Pierre.

Arrivé en bas de l'escalier, j'entrepris de traverser dans le noir la grande pièce carrelée, en guidant mes pas sur le tapis. 
Tu sonnais toujours à la grille du jardin. 
Entre la cheminée et la table de travail, je butai contre la bergère que je ne me rappelais plus avoir déplacée. 
Je renversai un objet ou un petit meuble que je n'identifiai pas.
- Merde! m'écriai-je, 
et je revis soudain le globe céleste que tu m'avais offert, une autre année, pour mon anniversaire.
Tu t'intéressais alors passionnément à l'astrologie et pour étudier ma "carte du ciel", pour calculer mes ascendants et mes maisons planétaires, tu avais voulu savoir exactement mon heure de naissance: 4 heures et 10 minutes était-il inscrit sur un acte d'état civil que tu m'avais obligé à demander à la mairie de Strasbourg (Bas-Rhin) où je suis né.
À 4h 10 ce jour-là, cette nuit-là plutôt, tu avais sonné à la porte de l'appartement hideux que j'occupais alors, au quatrième étage d'un immeuble sans ascenseur, entre la Bastille et la République.
- Bon anniversaire! avais-tu crié d'entrée, en m'embrassant à l'heure pile.
Il y avait derrière toi toute une bande de copains que tu avais réussi à mettre dans le coup et qui apportaient du champagne, suffisamment glacé par cette nuit hivernale…
Toi, tu apportais cet énorme paquet-cadeau, que nous avions débarrassé aussitôt de ses papiers soyeux et de ses rubans: c'était une sphère céleste de toute beauté, où sur le fond bleu des hémisphères austral et boréal se détachaient, autour de la voie lactée, des constellations d'étoiles innombrables,de planètes et de galaxies. À chacun d'y retrouver son étoile de naissance.

Oui, c'est cette sonnerie-là que j'entendais précisément dans ma tête, cette nuit d'été où tu sonnais dans le jardin. J'étais arrivé tant bien que mal devant la porte d'entrée. J'allumai le lampadaire extérieur: il n'y avait personne dans le jardin.  J'étais arrivé tant bien que mal devant la grille. Peut-être avais-tu sonné, sonné et peut-être, lassée d'attendre, étais-tu repartie? Ce n'était pas ton genre, et j'aurais entendu ta voiture. Je l'aurais reconnue entre mille, ta Mini essoufflée, si particulièrement hoqueteuse au démarrage, et que pourtant je m'efforçais encore de voir là, devant ma porte, à cheval sur la bordure pavée, où j'aurais tant voulu qu'elle soit et où elle n'était pas.
C'est alors seulement, après encore un long moment d'hébétement, que je repris mes esprits et que m'apparut ce que je savais depuis toujours: 
qu'il n'y avait pas, 
qu'il n'y avait jamais eu de sonnette 
ni à la grille du jardin, 
ni à l'entrée de cette maison.

Je remontai me coucher, tristement mais non sans m'arrêter un instant dans ma salle de bains. J'avalai dans un verre d'eau quatorze gouttes de cet étrange liquide que m'a ordonné mon médecin. Afin de ne plus penser, de me rendormir au plus vite, afin surtout de ne plus entendre sonner dans ma tête cette sonnerie qui n'existe pas.

Peut-être l'entendrai-je à nouveau pour mon prochain anniversaire?


Maurice Pons, La sonnette
Le Dilettante, 2006

lundi 12 septembre 2016

Avec Maurice Pons, découvrons de nouvelles étoiles dans la nuit d'été




C'est plus tard, beaucoup plus tard, qu'on découvrit dans la neuvième constellation de la nébuleuse Aktar une nouvelle étoile que les astrologues  baptisèrent - allez savoir pourquoi? - Tchitché Alpha.
Maurice Pons, L'œil du chat
Le Dilettante, 2006

Dans la nouvelle L'œil du chat,  qui se passe dans un lointain futur  (ou peut-être pas), il est question d'un œil, d'une créature qui est peut-être un chat (ou peut-être pas) et d'une étoile nouvelle. En l'absence (provisoire?) d'étoile Tchitché Alpha dans notre ciel, je vous montre une étoile qui en ce moment passionne nos astrologues: Alpha du Centaure.


Maurice Pons n'était pas homme à encombrer inutilement les rayons des librairies: une vingtaine d'ouvrages en cinquante ans (auxquels il faut ajouter quelques traductions mémorables): il ne lui en a pas fallu davantage pour laisser dans la mémoire de ses lecteurs une impression ineffaçable. Des nouvelles, des romans brefs (des novellas comme disent les anglophones), et un roman différent, qui se singularise en prenant tout son temps pour installer un climat décidément néfaste à toute présence humaine: Les Saisons.
Son dernier recueil publié: Délicieuses frayeurs, paru en 2006, réunit des nouvelles écrites pendant une période assez longue (la plus ancienne est une sorte de premier jet du roman Les Saisons, la plus récente du début de ce siècle) mais qui ont la même saveur que celles de son premier recueil, Virginales (1955). Parmi ces nouvelles, qui comme celles des recueils précédents se rattachent au genre du conte cruel porté sur les fonts baptismaux par Villiers de L'Isle-Adam, il en est une, L'œil du chat, qui se rattache de façon assez surprenante à la weird fiction - si vous vous demandez ce que c'est, regardez dans le blogroll, il y a un site (appelé Weird Fiction Review, n'est-ce pas étrange?) qui s'évertue à  définir les contours de ce genre.
Et ce n'est pas si facile: le conte cruel, c'est simple, il faut que ce soit cruel (peu importe qu'il soit question d'un faux pas dans une soirée mondaine ou d'une orgie cannibale), la seule chose que le conteur doit s'interdire, c'est de laisser une porte de sortie à ses personnages.
Dans la weird fiction, c'est le lecteur que le conteur attire dans un piège, puis taquine à travers les barreaux: à la dernière ligne, il faut que le doute subsiste: l'investigateur a-t-il vu juste, ou s'est-il trompé sur toute la ligne? parmi les protagonistes, y en avait-il de gentils? de méchants? et si oui, lesquels? l'histoire appartient-elle au passé, au présent, au futur? la conclusion est-elle joyeuse ou amère? en un mot, qu'est-ce qu'on vient de lire?