samedi 30 mars 2024

Nos jours sont comptés

Mars a 31 jours, vous le saviez?
Non? Pas grave: quand on ne sait pas, on demande à Djuna Barnes.

Autre enseignement fort utile dispensé par ce dessin:
Mars est un mois venteux.

From Djuna Barnes’s Ladies Almanack.

Merci au Biblioklept d'avoir attiré notre attention sur ces particularités calendaires et météorologiques.

lundi 18 mars 2024

Changer l'eau du bocal

 De temps en temps, il faut changer l'eau de l'aquarium.
C'est peut-être de cette constatation banale qu'est partie la réflexion qui a conduit Derek Kirk Kim à revenir aux comics.

Souvenez-vous: vous avez découvert Derek Kirk Kim il y a déjà quelques années, quand Same Difference a été publié en français par 6 Pieds sous Terre; puis vous vous être précipité sur Short Stories aussitôt que le même éditeur l'eut rebaptisé Autres Histoires, puis vous avez patiemment attendu que The Eternal Smile (scénario de Gene Luen Yang) soit disponible en français, et vous vous l'êtes procuré quand il est paru chez Dargaud (à moins que vous n'ayez pas résisté à l'envie de le lire en VO?) ...

Et puis, il y a eu la grosse déception de l'abandon par l'éditeur (First Second) de la publication papier de Tune, que Tororo vous avait pourtant chaudement recommandé (vous n'en avez pas acheté assez! à quoi ça sert que Tororo il se décarcasse?).

Le retour de Derek Kirk Kim dans le monde des comics (papier!) a tout pour surprendre. Sa nouvelle série, The Last Mermaid, diffère en tous points de ses précédentes publications: plus fermement ancré dans un genre, la science-fantasy (alors que les comics précités ne se conformaient à aucun modèle établi); une ambiance plus sombre, franchement dystopique (l'humour omniprésent dans Same Difference et dans Tune n'y subsiste qu'à l'état de traces); graphiquement, aux antipodes de ce qu'il faisait au début des années 2000 (depuis, il a travaillé pendant dix ans pour des sociétés de production d'animation, en 2d et en 3d, il a remplacé le crayon par le stylet et ça se voit!) et, comme si ça ne suffisait pas, imprimé dans un format atypique pour un comics papier (presque carré: nostalgie du format webcomic?). Bref: ce n'est pas Same Difference, pas du tout. Je n'ai pourtant pas été complètement dépaysé: son héroïne m'a rappelé de chers souvenirs: ceux du personnage de Forest, Hypocrite, et surtout de sa grande copine à nageoire caudale: sous certains angles, la ressemblance est frappante ... Kim est un homme de goût: qui sait s'il n'a pas lu et apprécié, lui aussi, Hypocrite et le monstre du Loch Ness? Si c'était le cas, on ne pourrait que l'en féliciter.

Derek Kirk Kim a une chaine YouTube, c'est pratique pour se tenir au courant de ce qu'il fait.

Vous pouvez aussi voir  ici une assez longue (30 minutes) interview de lui, ou il s'explique sur les changements que son expérience dans l'animation a apportés dans ses méthodes de travail - c'est la première d'une longue (2 heures) série d'interviews réalisée à l'occasion de l'Emerald City Comic Con, j'avoue que j'ai seulement survolé la suite.

Stay Tuned! 

Derek Kirk Kim: The Last Mermaid
(série, premier tome paru)
Image Comics, 2024


dimanche 17 mars 2024

Une Journée Mondiale, une de plus

Vous n'avez pas oublié, j'espère, que le 17 Mars est la Journée Mondiale des Robots?

C'est que je ne vais pas vous le répéter tous les ans, avec le ménage, la lessive et la cuisine, je n'ai pas que ça à faire. 

Dessin de Volny.   Salut, Volny!

Bip.


vendredi 15 mars 2024

Seuls sont les indomptés

Ce n'est pas un concours, ce n'est pas un classement, il n'y aura pas de remise de prix...


 Celui qui sort du saloon sur ses deux pieds, c'est le Lucky Luke de Blutch. Blutch, il met de la passion dans tout ce qu'il fait, ce coyote.
 
image © Dargaud et Blutch, évidemment. 
Seuls sont les indomptés c'est le titre d'un film de David Miller, sans Lucky Luke, mais avec Kirk Douglas qui fait aussi très bien le cowboy solitaire.

mercredi 13 mars 2024

Nous sommes tous de pauvres cow-boys solitaires

 En ce début d'année je me suis posé pas mal de questions à propos des reprises, hommages, tributs, reboots et toutes ces sortes de choses dont on a parlé récemment.
Ces questions, je n'ai pas réussi à me les sortir de la tête (ce n'est pas pour ça, rassurez-vous, que j'ai peu posté en janvier et février: c'est que j'ai eu pas mal de trucs à faire, qui ont consumé trop d'heures pour me laisser le temps de bloguer)... les reprises de séries qui ont enchanté notre enfance  -  notre jeunesse - notre âge mûr, qu'on croyait à l'abri du temps et du changement bien au chaud dans notre mémoire, c'est devenu un phénomène saisonnier.

Mars étant un mois sérieux - pour se différencier de ses voisins immédiats Février et Avril plus portés aux facéties - revenons aux questions sérieurses, que nous avions laissées en suspens en Décembre.
Il semble qu'il y ait une sorte de consensus chez les éditeurs - pardon, je veux dire les fournisseurs de contenu: "Que veut le public? Plus de ce qu'il a déjà vu! Plus de la même chose!"... Aussi le malaise desdits éditeurs est-il palpable, quand l'auteur d'une série à succès vient à disparaître. Ils ne lui en voudront pas trop de tirer sa révérence, si encore il passe le relais à un continuateur, comme Rob Vel à  Jijé, puis à Franquin, et ensuite Franquin à Tome et Janry pour Spirou... ou s'il a le bon goût de renoncer à toute prétention à la paternité d'un  personnage, comme Ub Iwerks pour Mickey... mais le malaise s'accroît quand l'auteur  manifeste explicitement son refus de faire reprendre par d'autres une série, comme l'ont fait Jacobs  pour Blake et Mortimer, ou Franquin pour Gaston... grande est la tentation, pour l'éditeur, de faire comme s'il n'avait rien entendu...

Le choix, par un éditeur, de faire reprendre une série en sommeil par un autre que son créateur n'est-il pourtant pas défendable? Quand j'ai eu en mains L'Étrange rendez-vous, le premier album de Blake et Mortimer "sans Jacobs",  j'ai sauté de joie de pouvoir lire une nouvelle aventure qui s'insérait parfaitement dans la série, résultat du travail acharné d'un scénariste et d'un dessinateur aussi fortement motivés l'un que l'autre. Quelques années passèrent, pour les lecteurs les déceptions s'accumulèrent, et les véritables intentions de l'éditeur ne devinrent que trop claires: gagner des sous, vite si possible,  sans en dépenser trop, et pour cela embaucher dessinateurs et scénaristes pressés de toucher leur chèque, sans que le respect pour leur modèle risque de les ralentir.

Il en alla autrement pour les continuateurs de Spirou: la prolifération de spin-offs, de reboots, de relectures, d'hommages, autour de ce personnage vieux d'un siècle est plutôt réconfortante; elle prouve que nous ne sommes pas tout seuls à regretter de ne pas pouvoir nous coiffer comme Spirou (j'ai essayé - pas vous? - ça n'a jamais rien donné de bon); tous ceux qui ont repris Spirou l'ont fait avec enthousiasme, à leur manière, et si inégales ces variations soient-elles, on trouve parmi elles de véritables pépites (mille bravos à Émile Bravo!).

La démarche de Dupuis pour Gaston est ambiguë: personne ne conteste que Delaf soit un brillant pasticheur de Franquin. Si Dupuis avait signé un contrat avec un fabricant de yaourts (Monsieur De Mesmaeker devait bien en avoir un dans sa serviette, dommage qu'elle soit toute mouillée) pour une série de publicités dans lesquelles Gaston aurait chanté (après qu'on eût mis sous clé son gaffophone) les qualités du lait emprésuré, Delaf aurait été parfait pour fournir des illustrations bien lisses, comme les publicitaires les aiment. Seulement voilà: s'agissait-il de vendre des yaourts, ou de vendre les aventures de Gaston comme si c'était des yaourts? Dupuis ne répond pas à la question, mais son choix parle pour lui.

Mais... dans le titre, il est bien question de cowboys solitaires? Et Lucky Luke dans tout ça?  

À suivre...




lundi 4 mars 2024

Jaquettes de papier cristal

 Je sais peu de choses, en fait, sur Vladimir Poe. Tout ce que j'ai appris sur lui vient d'un rêve que j'ai fait.  Dans ce rêve, j'ai à peine eu le temps de faire sa connaissance: il m'était présenté  par une demoiselle que je connaissais également depuis peu (sa nièce ou sa petite-nièce? comme c'était arrivé au début du rêve, les circonstances étaient déjà devenues floues, dans les rêves c'est souvent comme ça, mais les souvenirs du rêve deviennent plus précis à partir du moment où elle me présentait son oncle (grand-oncle?) dans un café.)
Il avait écrit, beaucoup: il me l'avait dit à voix basse, comme s'il avait fallu préserver un secret; puis il me donnait quelques précisions sur une de ses œuvres, qui semblait avoir pour lui une importance particulière: une série de romans dont la protagoniste récurrente s'appelait Djili.
J'avais promis de lui rendre visite; quelques jours plus tard (sans doute quelques secondes d'horloge: c'est comme ça que le temps s'écoule, à sauts et à gambades, pendant le sommeil paradoxal), je me retrouvais devant la maison de ce Vladimir Poe: une petite foule s'y trouvait déjà, parmi ces gens une seule figure connue: mon père (comment se trouvait-il là? il le connaissait lui aussi,
Vladimir Poe?).
Nous entrions tous dans un silence solennel, les gens autour de moi arboraient une mine compassée; nous devions nous serrer pour tenir tous dans une petite pièce, mon père, sans parler, avait posé sa main sur mon épaule; il devenait de plus en plus clair que Vladimir Poe venait de mourir. Je me souvins alors que sa nièce avait mentionné, sans insister comme si ç'avait été peu important "qu'il avait écrit des centaines de livres"; en général, quand des gens utilisent cette formule vague à propos de quelqu'un qu'ils connaissent, ça veut dire qu'il en a écrit deux ou trois; aussi lui avais-je demandé "Sur quoi?"; elle avait répondu, toujours aussi vague, "Sur un peu tout". À présent je n'avais qu'à regarder autour de moi pour en avoir confirmation: sur des étagères poussiéreuses, il  y avait en effet des centaines de livres, sur le dos desquels je pouvais lire au-dessus du titre: Vladimir Poe; ceux dont j'étais assez près pour déchiffrer le titre appartenaient à la série des romans sur Djili, et le dernier de la rangée s'appelait "À travers les océans". Ces livres étaient brochés, dans le style des ouvrages publiés avant guerre, et protégés par ces jaquettes de papier cristal que les gens soigneux leur confectionnent à la main; sans doute étaient-ils là depuis longtemps.
Puis je me retrouvais à la terrasse du café où j'avais fait la connaissance du défunt, je commençais à ressentir du regret à l'idée que je ne le rencontrerais plus, je me levais et, faisant tinter sur le zinc les trois pièces qui devaient payer mon café, je reprenais le chemin de chez moi; le seule chose qui me restait à faire était de chercher sur internet ce que je pourrai apprendre sur Vladimir Poe: sa bibliographie  peut-être? les liens (improbables, mais  sait-on jamais?) qu'il pouvait avoir eu avec un autre Poe, plus célèbre?

 
Ce fut fait au réveil: interrogé sur Vladimir Poe, internet ne suggéra que deux associations possibles entre le prénom Vladimir et le patronyme Poe: d'abord, il insinua que peut-être j'avais mal orthographié le premier terme, et dans ce cas ma recherche devrait s'orienter vers Le cas étrange de Monsieur Valdemar (pas Vladimir), une nouvelle d'Edgar Poe; puis, un peu facétieusement, il me rappela que dans l'œuvre de Vladimir Nabokov abondent les allusions, les références, les fantaisies métatextuelles impliquant Edgar Poe

Peut-être, après tout, le vieux monsieur polygraphe n'a-t-il publié que dans les rêves.

dimanche 3 mars 2024

Entends, enfant, la douce Nuit qui marche (Ursula Le Guin, 11)

 Janvier er Février sont vite passés, et nous voilà déjà en Mars! Sommes-nous en retard? Mais non, c'est toujours le bon moment pour lire un livre d'Ursula Le Guin.

Quel titre donner à un recueil où il est question d'Elfland, de Poughkeepsie, de Virginia Woolf, des qualités nutritives du plastique, de la fluidité de la notion de genre (littéraire ou pas littéraire), et d'autres notions encore?
La réponse: Le langage de la nuit.

Le langage de la nuit est la traduction (ça, vous l'aviez sans doute deviné) du recueil  de textes (pas de fictions!) The Language of the Night.
Comme Martin Winckler, qui a écrit la préface de cette édition, je n'ai pas eu l'occasion de poser à Ursula Le Guin toutes les questions que j'aurais voulu lui poser.  Mais qui l'a eue, cette occasion? Elle s'est soumise avec le sourire à des interrogatoires. Elle en a donné, des interviews, des interventions, des tonnes. Si on recommençait, chaque question en entraînerait une autre, et, graduellement, inévitablement, la qualité des questions se dégraderait. Dans les essais, préfaces et conférences réunis dans ce volume, Ursula Le Guin se débarrasse d'un revers de main de beaucoup de questions; sagement, elle donne à des questions qu'on ne lui a pas posées des réponses qui n'ont pas l'air de réponses; ou encore, elle invite le lecteur à un jeu, qui est de deviner à quelle question elle répond, par exemple quand elle cite Dunsany: "au loin, à l'est, s'étend un désert que nul homme ne foule".
Ou bien: "je voyais deux petites figures, fort lointaines, perdues dans un immense désert de glace et de neige".
Ou encore: "j'ai donné à trois petites îles les noms de mes enfants - leurs surnoms quand ils étaient bébés".
Ou quand elle nous apprend (cette fois dans une des nouvelles du cycle de Terremer) que dans la Langue de la Création (sans la connaissance de laquelle il est vain d'espérer faire de la magie) tolk est le mot qui désigne une pierre.
Tolk: une pierre. Sur une pierre, on peut poser ce qu'on veut.
"Madame, madame, s'il vous plaît, est-ce que la question c'était: avec quoi est-ce qu'on bâtit une cathédrale?"
Elle sourit et passe à autre chose.
Par exemple: "Il s'agissait de savoir, je vous le rappelle, s'il était au fond souhaitable qu'un livre de science-fiction fût un roman".

Est-il souhaitable de mettre dans un livre tout ce qu'il faut pour se faire, dans sa tête, des romans, et puis d'appeler ça "livre de science-fiction", ou "roman", ou "recueil  de textes", ou tout ce que l'on veut ? Réponse dans Le langage de la nuit.


Ursula Le Guin: Le langage de la nuit;
The Language of the Night, Essays on Writing,
Science Fiction, and Fantasy
,
Première édition 1979 (Putnam),
édition révisée en 1992 (HarperCollins),
rééditée en 2024 (Scribner)
Traduction de Francis Guévremont,
Aux forges de Vulcain
ISBN : 978-2-373050-17-2

Citations extraites d'Ursula Le Guin, Le langage de la nuit