dimanche 28 mars 2021

Trois

 

Ainsi donc ce mois de Mars, après avoir longtemps cherché, a trouvé, un peu dans le même esprit que son aîné Février, une astuce pour se signaler à notre attention: cette nuit, alors qu'il allait être deux heures... soudain, ce furent trois coups qui sonnèrent au clocher du village: la nuit avait rétréci d'une heure. Était-ce une tentative de la part de ce vaillant mois de trente et un jours pour se glisser, comme son frère, dans l'étroit corset de quatre semaines? Si c'est le cas, l'entreprise était hardie, même si un succès total était peu probable, et il convient de saluer cet effort.


Mois de 2021, n'en faites pas trop, tout de même, pour rester dans nos mémoires: voyez comment les mois de 2020 s'y sont pris (il y en a qu'en effet on ne risque pas d'oublier, mais pas toujours pour les meilleures raisons) et apprenez de leurs erreurs.

 

vendredi 26 mars 2021

Robert Walser tourne autour du pot



Mon compagnon, curieusement, s’installa chez moi sans mot dire.
De temps à autres, ses mains exprimaient quelque chose, au moyen de petits signes, qui avaient l’air de ressembler à un mot.
Lorsque je dis qu’il me semblait le connaître, j’exprime une impression étrange.
Étranges, les événements dont on rêve la nuit le sont habituellement à tous égards. Tout ce que l’on voit en rêve frise le comique, et il me parut bel et bien un peu comique, celui qui me faisait l’honneur d’être mon hôte, même si c’était juste en passant.
Quant à la maison, en tous cas, elle n’était qu’une apparition éphémère, car je voyais l’étrange dispositif architectural s’ouvrir tout en se refermant, apparaître tout en s’effaçant, je le voyais s’éloigner tout en se rapprochant.

À présent, nous nous trouvions tous les deux dans une chambre autour de laquelle s’étendait une autre chambre. En sorte que la pièce, comme amande dans sa coque, comme tableau dans son cadre, était sertie dans une autre pièce, ce qui était du meilleur effet.

Après coup, je tends à penser qu’en plus, il y avait des livres sur la table.

Est-ce que gribouiller, au fond, ce ne serait pas avant tout cela, tournailler ou errer sans cesse autour de l’essentiel, comme s’il pouvait y avoir quelque gourmandise à tourner autour du pot?
En écrivant, on repousse toujours le plus important, ce sur quoi on aimerait absolument mettre l’accent, et on ne cesse de parler ou d’écrire à propos de quelque chose de tout à fait secondaire.
Voilà tout ce que je savais: le visiteur qui avait trouvé le chemin jusqu’à moi était un écrivain de renom, ce qui n’avait rien d’étonnant, mais qui exerçait sur moi l’effet le plus singulier.
Était-il le pot autour duquel je tournais, ou bien étais-je moi-même ce pot, pour lui? Avait-il quelque chose à me dire, ou avais-je, moi, quelque chose de capital à lui dire?
C’est alors que je m’éveillai.


Est-ce que gribouiller, au fond,
ce ne serait pas, avant tout, cela?





(Prosen aus der berner Zeit 1921-1933), 
traduction de Marion Graf, 
 
Illustration: Robert Walser
en train de gribouiller, lui-même
gribouillé par son frère Karl Walser

mardi 23 mars 2021

The ballad of mutual dependency

 

Un article poignant dans le Guardian, signé Nick Cornwell. 

Qu'y a-t-il dans un nom? Je  ne crois pas nécessaire d'accompagner la mention de cet article d'un commentaire, ni même de vous expliquer qui en est l'auteur, pourquoi il a l'habitude de signer ses écrits d'un nom de plume,  Nick Harkaway, ni pourquoi il a signé celui-ci Nick Cornwell.

 

 

dimanche 21 mars 2021

Insérez ici (la légende de votre choix)

 

Sur Médiapart (section "les blogs") Charlie Wellecam publie une lettre ouverte à laquelle je ne vois rien à ajouter ou à retrancher. C'est plutôt réconfortant à un moment où tant de gens parlent pour ne rien dire. Dommage que le contenu de la lettre, lui, ne soit pas à proprement parler réconfortant. La perfection n'est pas de ce monde.

 

 

samedi 20 mars 2021

Correct until proven wrong

 

Long rêve, cette nuit, qui sinuait, comme souvent, entre images sur un petit écran et réalité quotidienne.
De l'épisode de la soirée (en V. O.!), je ne me souviens avec précision que de la dernière réplique entendue, mais quelle réplique!
Léonard de Vinci déclarait (en anglais - approximatif - dans le rêve) à Hercule Poirot:

"You're lucky, detective. First, solving this mystery from your time, then being proven wrong by the greatest mind of the Quattrocento, this plot outdoes Stargate's" (sic).

 
Comment Léonard est devenu expert en mesure d'audience de séries, quel paradoxe spatio-temporel l'a mis en concurrence avec Hercule Poirot, tout cela restera nimbé de mystère (car je n'aurai jamais accès au dossier à présent que je suis éveillé). 

 

 

dimanche 14 mars 2021

Paulette Jiles écrit des nouvelles du monde

 

TOUTES
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TIRÉES DES PRINCIPAUX JOURNAUX
DU MONDE CIVILISÉ

____________________
LE CAPITAINE JEFFERSON KYLE KIDD
LIRA UN FLORILÈGE D'ARTICLES

SÉLECTIONNÉS
À 20 H 00
AU BROADWAY PLAYHOUSE

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Dans les Remerciements à la fin de son livre, Paulette Jiles écrit: Merci à June et Wayne Chism pour l'histoire  de l' ancêtre de Wayne, Caesar Adolphus Kydd, premier lecteur de nouvelles dans les petites villes du Texas dans les années 1870 et qui servit de modèle au personnage du Capitaine, à la fois dans The Color of Lightning et dans ce livre


Que dire de ce roman (Des nouvelles du monde)? Qu'il s'inscrit dans une tradition bien établie de romans de la Frontière, et qu'il n'y manque pas d'escarmouches, de coups de feu qui, grâce à leur sonorité caractéristique, permettent d'identifier l'arme d'un tireur embusqué (claquement des carabines Spencer, aboiement des Henry), ce qui peut s'avérer bien utile (être attentif, aussi, à l'endroit d'où part la fumée), ni de descriptions de la végétation aux changements de saison. Il y a même une bagarre dans un general store, où l'on casse une assiette sur une tête. Tous éléments de couleur locale qui sont dispensés sans verbiage, dans une langue économe. Vous avez aimé Dorothy M. Johnson? Jim Harrison? Vous aimerez sans doute.
Lu d'une traite, que m'en reste-t-il?
 Le souvenir de personnages bien campés, avec tendresse et sans attendrissement intempestif. Ai-je besoin de préciser que je m'y suis attaché, à ces personnages, et que c'est plutôt bon signe quand on s'attache suffisamment à des êtres imaginaires - fussent-ils inspirés de vrais grand-pères et de vraies grand-mères - pour s'inquiéter de savoir s'ils vont s'en sortir, et comment?
 Et des leçons retenues au cours d'une longue vie par le Capitaine Kidd, dont certaines lui fournirent des moyens de subsistance dans des temps difficiles; je suivrai son exemple en essayant de mettre une de ces leçons en pratique, voici donc:


Un Florilège d'Extraits
SÉLECTIONNÉS
Des Nouvelles du Monde
(par Mme Paulette Jiles)


Extrait N° 1:
Un souvenir de campagne du capitaine Jefferson Kidd, nouvellement promu, deuxième division de l'armée du général Taylor

Plus tard, quand il se retrouva seul, alors que le feu de mesquite mourait, l'idée lui vint qu'il devrait entreprendre de divulguer ces faits intéressants, non, capitaux, glanés dans les rapports de renseignement et de presse. Par exemple, les luttes qui se déroulaient dans les plus hautes sphères de l'armée mexicaine. Si les gens savaient ce qui se passait véritablement dans le monde, peut-être ne prendraient-ils pas les armes: le Capitaine deviendrait un rassembleur d'informations venues d'endroits lointains, et le monde serait plus pacifique. Il était tout à fait sérieux. (p 48)


Extrait N° 2:
La maturité du Capitaine Kidd

Cette illusion l'avait accompagné de quarante-neuf à soixante-cinq ans.
Et puis, il en était venu à penser que les gens avaient besoin, fondamentalement, non seulement d'informations, mais  de récits qui parlaient de l'inaccessible, du mystérieux, présentés comme des informations. Et c'était lui, tel un coursier immobile, avec son tablier d'imprimeur maculé, qui les leur apportait. Alors, les auditeurs dérivaient pendant un court instant vers un endroit bienfaisant comme des eaux curatives.
   (p 48)


Extrait N° 3:
Le Capitaine Kidd sent le poids de l'âge

Le capitaine Kidd répondit par un bref hochement de tête et poursuivit sa lecture avec un article du Philadelphia Inquirer consacré au physicien britannique James Maxwell et à sa théorie des perturbations électromagnétiques dans l'éther, dont les longueurs d'onde dépassaient les radiations infrarouges. Cela afin d'ennuyer ses auditeurs, de les calmer et de les inciter à s'en aller, tranquillement. Depuis quelque temps, il ne supportait plus les problèmes et les émotions des autres. (p 15)

Extrait N° 4:
Jefferson Kidd cherche du réconfort dans la pensée que l'existence a peut-être un sens

Pour se réconforter et apaiser son esprit, il repensa à sa vie de messager, de courrier, à Maria Luisa et à ses filles. Peut-être que la vie se résumait à transporter  des nouvelles. À survivre pour transporter  des nouvelles. Peut-être n'avons-nous qu'un seul message. Un message scellé à notre naissance et dont nous ne connaîtrons jamais vraiment le sens;
peut-être n'a-t-il aucun rapport avec nous, et pourtant nous devons le porter en personne, durant toute la vie, jusqu'au bout, et le remettre, scellé, à la fin.
(p 158)


Extrait N° 5:
Je m'appelle Cigale (message scellé)

Je m'appelle Cigale. Le nom de mon père est Eau qui Tourbillonne. Le nom de ma mère est Trois Taches. Je veux rentrer chez moi.
Mais ils ne l'entendirent pas car elle n'avait pas parlé à voix haute. Les paroles prononcées en kiowa, avec leur musicalité tonale, vivaient dans sa tête comme un essaim d'abeilles.
(p 18)


Extrait N° 6:
Grand-père Kidd sent à nouveau le poids de l'âge, pour de nouvelles raisons

Il dit: Les vieilles personnes pleurent facilement, ma petite. C'est une des malédictions de l'âge. (p 195)

Extrait N° 7:
Dispositions testamentaires de Jefferson Kyle Kidd, de San Antonio, Texas, sain de corps et d'esprit

Dans son testament, le Capitaine demanda à être enterré avec son insigne de courrier. Il l'avait gardé depuis 1814. Il avait, disait-il, un message à livrer, dont il ne connaissait pas le contenu. (p 269)

Et pour finir, une nouvelle (plus toute fraîche, mais, vous le savez, les temps sont durs et on fait avec ce qu'on a) annoncée par les meilleures revues de cinéma du monde civilisé sélectionnées pour vous par le Capitaine Tororo et dont il vous présente ici une synthèse:
 

Écriture simple, sèche, récit linéaire et mouvementé juste ce qu'il faut, avec peu de flash-backs judicieusement placés, le roman de Paulette Jiles semblait taillé sur mesure pour une adaptation cinématographique. Ça n'a pas échappé à Hollywood: Des nouvelles du monde , dirigé par Paul Greengrass, un honnête artisan (si on m'avait demandé mon avis, j'aurais plutôt suggéré Kelly Reichardt; mais on ne me l'a pas demandé), est sorti en 2020 (pour le moment, seulement sur Netflix), sous le titre français La Mission.
Je ne l'ai pas vu. Si Helena Zengel, pour le rôle de la petite sauvagesse semble un choix judicieux, pour celui du Capitaine, Tom Hanks… hum. Je réserve mon jugement, avec Tom Hanks on ne sait jamais. 

 

Paulette Jiles, Des nouvelles du monde
(News of the World, William Morrow - HarperCollins Publishers, 2016),
traduit par Jean Esch,
Quai Voltaire - La Table Ronde, 2018

ISBN 9782710382096
Folio, 2019
ISBN 9782072924173

mardi 9 mars 2021

Une rencontre dans un parc

 

Peut-être ce mois de Mars entend-il nous montrer sa bonne volonté en nous réservant quelques surprises agréables?
Tenez, par exemple: il nous promet pour bientôt un nouveau livre illustré par Rebecca Green! Sa sortie était, de longue date, annoncée pour le 9 Mars par son éditeur, Viking Books; et le 9 Mars c'est aujourd'hui! Il est un peu tôt, je vous l'accorde, pour vous précipiter chez votre libraire: mais un(e) lecteur(euse) averti(e) en vaut plusieurs. J'aime bien Rebecca Green, je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit. Mais je bavarde, je bavarde et je ne vous ai pas encore dit le titre du livre:
 

Kafka and the Doll!

 Si vous vous intéressez aux mêmes choses que moi, ce qui est probable puisque vous voilà en train de lire ceci, vous connaissez déjà le roman que Fabrice Colin a écrit il y a déjà quelques années: La poupée de Kafka (synchronicité: la même année, Didier Lévy (texte) et Tiziana Romanin  (illustrations) avaient déjà tenté la mise en image de cette histoire, dans une collection pour enfants chez Sarbacane: Franz, Dora, la petite fille et sa poupée).
Le livre qu'ont co-signé Larissa Theule et Rebecca Green, et celui de Colin, sont basés sur le même récit, répété ici et là depuis pas mal d'années (à l'origine, l’histoire de la poupée a été rapportée par Dora Diamant à deux des biographes de Kafka, son ami Max Brod et Marthe Robert), que certains ont dénoncé comme sûrement imaginaire: enfin Kafka, quoi! KAFKA! Ce grand homme qui a donné à toutes les langues de la planète un terrifiant adjectif* modelé sur son nom, un adjectif qui n'a pas d'autre rival en noirceur que UBUESQUE! Comment cet auteur pour gens sérieux, que la postérité a si strictement redingoté et cravaté de noir, aurait-il perdu du temps (alors qu'il avait de grands romans à achever), à écrire les aventures d'une poupée voyageuse?
Moi je suis tenté d'y croire, comme Colin. Son roman est un peu trop bavard (comme moi!!!), mais il traite sans sensiblerie cette histoire presque trop belle pour être vraie.
Je suis curieux de voir ce que  Larissa Theule, dans ce livre qui, selon l'éditeur, s'adresse aux 4 - 8 ans, aura fait de cette anecdote.

Sur son blog, Rebecca Green parle avec passion de la façon dont elle aborde son travail d'illustratrice - "My favorite way to celebrate a book is by sharing the illustration process!", dit-elle - je vous recommande, par exemple, le making-of de Madame Saqui, Revolutionary Rope Dancer -

et  dans le billet de ce mois-ci, elle nous raconte comment elle s'y est pris pour illustrer Kafka et la poupée:
"The first tests were pure exploration. I thought Irma might have short hair, I tried a more animation-y style, and I even thought for a second, I’d do the book three-dimensionally. While that last one is a dream I hope to make happen someday, it was impossible for this project. "

Les premiers tests furent de simples explorations. Je me suis dit qu'Irma (c'est la poupée) pourrait avoir les cheveux courts... j'ai essayé un style un peu "dessin animé"... j'ai même songé un instant que je pourrais illustrer le livre en saynètes à trois dimensions. Ça, c'était un rêve,  un rêve que j'espère réaliser un jour, mais dans le cadre de ce projet-ci, c'était impossible.

Elle pratique un style d'illustration assez classique, mais parfois elle sort des sentiers battus et, comme ici, entre dans la Troisième Dimension:

Non, votre écran n'est pas déréglé (clic!).
Vous venez d'entrer dans la Troisième Dimension.

Ça ce n'est pas un travail de commande, c'est une de ses recherches personnelles.


Treasures untold.

Non seulement j'aime bien tous les petits détails, mais je trouve que l'ensemble est supérieur à la somme de ces détails.
J'aimerais bien voir Rebecca Green, un jour, illustrer tout un bouquin de cette façon.
Et je pense que, pour Kafka and the Doll, ce procédé aurait été particulièrement bien adapté: je ne suis pas surpris que Rebecca ait été tentée par cette idée. J'imagine bien un Kafka de pâte à sculpter, ou de papier mâché "à la manière de Rebecca Green": un chapeau bien enfoncé sur une tête stylisée - les traits anguleux arrondis par le polissage de la pâte, de grands yeux très noirs et une bouche souriant, à peine, d'un sourire de Joconde - sortant d'un col dur en bristol; et une petite fille et une poupée  dans des robes de même matière (en papier crépon?) mais de couleurs différentes. Rebecca Green et son éditeur ont choisi un parti différent, privilégiant la simplicité. Contraintes de temps, de budget, j'imagine... On ne peut pas tout avoir: pour autant, je n'en suis pas moins impatient de voir à quoi ressemblera ce livre.
 

En attendant, allez voir le site de Rebecca Green!  

Kafka and the Doll, "Viking Books for Young Readers", 2021


* Nous traversons une période KAFKAÏENNE! N'est-ce pas le bon moment pour retourner vers Kafka?

images © Rebecca Green

mercredi 3 mars 2021

Zéro, trois, zéro, trois, deux, zéro, deux, un.

 

Mars marche donc sur les traces de février, en commençant de façon bien ordonnée par un lundi… il devrait comme son aîné bien remplir les cases des quatre semaines prochaines, mais parviendra-t-il jusqu'au bout à colorier sans déborder?
Sans préjuger du résultat, notons qu'en ce zéro, trois, zéro, trois Boulet nous offre une mini-histoire qui m'a bien fait rire, un peu jaune mais rire quand même: en effet, il se trouve que moi aussi j'ai testé le jeu au titre alléchant ("Merci pour Votre Commande") auquel a joué Boulet… et après plusieurs tests, c'est un jeu qu'en conscience, je ne peux vous recommander. Verdict définitif: bien que la durée de vie du jeu semble considérable ("des heures et des heures de suspense et de frissons! ": promesse tenue) l'interactivité, en revanche, est à revoir de fond en comble!