lundi 27 avril 2020

Raisons de rester optimiste



Une fenêtre pop-up apparaît par intermittences sur nos écrans quand nous visitons des blogs:
La lumière UV tue les virus
Protégez-vous - Détruisez les virus invisibles, rapidement et facilement
(mais attention, ça ne fonctionne que sur les virus invisibles)

Un mois sans fusillade à l'école aux Etats-Unis:
C'est un journaliste du Washington Post qui a fait le constat : il n'y a eu aucune fusillade dans un établissement scolaire américain au mois de mars, ce qui n'était pas arrivé depuis 2002.
Logique, la plupart des écoles sont fermées.
En revanche, fait remarquer Paris Match, les ventes d'armes à feu n'ont jamais été aussi élevées.
L'impact que la bonne santé du marché des armes aux États-Unis a eu dans différents secteurs de l'activité humaine a été  ressenti même de l'autre côté de la frontière canadienne.

Dans des messages radio-diffusés, le ministère de la Santé et Santé Publique France nous informent:
- Si vous avez de la toux et de la fièvre, vous êtes peut-être malade.
- Si vous n'avez ni toux ni fièvre, vous n'êtes peut-être pas malade.

James Bond : Mourir peut attendre sortira le 11 novembre en France:
Attendue en salles le 8 avril avant la crise du coronavirus, la 25e mission officielle de 007 envahira finalement les écrans français le jour anniversaire de l'Armistice de 1918.
L'incitation à procrastiner contenue dans le titre aurait été profitable aux conscrits de la classe 13 et des suivantes, si elle leur était parvenue en temps utile, mais c'est l'intention qui compte.

samedi 18 avril 2020

Chez nous, à chaque instant, c'est jour de fête, avec le petit clown qui nous fait rire


Ç'aurait dû être la fête aujourd'hui 
Mais Christophe ne viendra pas chanter 
pour son goûter d'anniversaire.

Nous, nous penserons à eux deux, que faire d'autre?
On ne voit pas le temps passer. 


Vertuchou, cinq centième billet de ce blog.
On ne voit vraiment
pas le temps passer.

mercredi 15 avril 2020

Leur maison n'existe plus depuis mille ans déjà: Le cœur converti, de Stefan Hertmans



Je me promène une fois encore en direction 
du hameau dépeuplé de Flaoussiers, quelques kilomètres plus loin.
Cette petite vallée a quelque chose de mystérieux qui m'a toujours attiré.
On y est abrité du vent, sauf lorsqu'il s'engouffre précisément
 dans le ravin durant quelques jours à chaque saison. 
On est alors presque obligé de se plaquer à terre 
pour échapper au froid cinglant. 
À présent le lieu est abandonné et paisible. 
Un couple de faucons décrit de petits cercles 
au-dessus des prés arides. Quelque part un chien 
attaché à une chaîne aboie; les quelques champs de lavande 
juste au-dessus de la vallée sont gris après la récolte. 
Au loin s'élève, majestueux, le Géant de Provence, 
le Mont Chauve, le Ventoux. 
Tout est désolé et très ancien. 
Un agneau égaré bêle. 
Stefan Hertmans,
Le cœur converti


Pourquoi accoler un billet sur  Le cœur converti, de Stefan Hertmans, à celui sur Deux hommes de bien? Les deux ouvrages n'ont en commun que peu de choses; la plus remarquable est que leurs auteurs usent du même procédé: un de nos contemporains - un double de l'auteur, mis à distance de façon un peu ironique, chez Pérez-Reverte; un Flamand, Provençal d'adoption, qui ne juge pas indispensable de se présenter longuement mais nous livre quelques-unes de ses pensées les plus intimes chez Hertmans - s'efforce de reconstituer dans tous ses détails une histoire dont ne restaient sur le papier  - ou le parchemin - que quelques mots.

Mais, entre un roman et l'autre, l'expérience de la lecture sera nettement différente. Le capitan Pérez-Reverte, si introspectif qu'il soit par moments, ne s'interdit pas, à d'autres moments, de faire cliqueter ses vieux éperons et de redresser les plumes de son panache, comme par habitude - là où Hertmans lisse son papier en étouffant un soupir; à chacun sa manière.
Des lecteurs ont aussi souligné la parenté entre la démarche de Hertmans et celle de W. G. Sebald (Austerlitz, Les anneaux de Saturne); mais à la différence de Sebald, Hertmans ne s'éloigne jamais longtemps de la piste qu'il a choisi de suivre avec obstination.
Vous pouvez trouver un résumé, respectueusement concis, de l'intrigue du roman sur le site "Marque-pages".
À Monieux, le village où Hertmans a passé une partie de ce début de siècle, des traces infimes subsistent d'une histoire effacée, traces qui ont éveillé la curiosité du romancier. Cette histoire avait laissé d'autres traces pourtant, bien loin de là. C'est de la rencontre avec les travaux d'universitaires américains, patients releveurs d'empreintes, qu'est né le livre. Jorge Luis Borges conseilla un jour à l'historien de tout dire "… car nous ne savons pas où l'Histoire met ses accents, et la vie est pudique comme un crime".

L'approche d'Hertmans diffère un peu de celle de  Pérez-Reverte: sobre quand il retrace les tribulations de son héroïne Hamoutal, il devient paradoxalement plus lyrique quand il égrène les étapes de ses recherches. La sobriété du récit historique lui était, en partie, imposée - ses seuls matériaux étaient quelques noms propres, quelques lieux, quelques dates - en partie aussi, elle résulte d'un choix: dans ce que taisent les documents, on pouvait deviner des horreurs pour lesquelles il n'y a pas de mots. Quant à la recherche documentaire qui nous est racontée à la première personne, si je lui ai accolé l'adjectif "lyrique", c'est qu'elle donne parfois l'impression d'avoir été faite dans une sorte de transe, qui aurait permis au narrateur de combler les vides, dans sa reconstitution, avec des détails qui ont la précision des rêves lucides: ici un léger strabisme, là des nausées, une cheville qui se tord, la raideur d'une étoffe, le son d'une trompe, le plan cruciforme d'un jardin… tous, par Hertmans, pressentis à travers la durée.

Et voilà comment le romancier passe de ceci:

Solomon Schechter, l'érudit qui en 1888 reçut enfin l'autorisation d'ouvrir la salle du trésor, fut le premier à supposer quel monde allait se révéler ici.
Ce qu'il découvrit dépassa les attentes les plus audacieuses: des fragments d'un ouvrage en hébreu prétendument perdu de Ben Sira, Ecclésiastique, datant d'avant notre ère; des écrits de Maïmonide, des poèmes et des lettres de Judah ha-Lévi, des fragments de la traduction en grec faite au deuxième siècle par Aquila de la version en hébreu de la Bible, des copies de textes des sadducéens remontant à l'époque de la destruction du Temple; des récits de témoins oculaires du sac de Jérusalem par les croisés; des documents et des lettres de juifs khazars ; d'innombrables documents de négociants, de juifs de haut rang, des pièces de l'administration islamique et des accords entre les deux communautés, des taxes et des quittances, des documents géographiques et médicaux,  des paiements, des amendes, des interactions avec la communauté musulmane et des arrêtés en émanant; des témoignages à propos de mariages et de divorces, des revendications contestées concernant des terres et des biens, des demandes de prêts, des factures de transports maritimes, des désignations de rabbins et de membres de l'administration, des questions d'héritage, des poèmes d'amour et des demandes de grâce ou de paiements d'arriérés de salaire - tout a été jeté dans ce trou sombre, pendant des siècles, car un texte où apparaît le nom de Iahvé ne peut être détruit ou brûlé; le Très-Haut doit lui-même le reprendre.
Nulle part ailleurs l'oubli et le souvenir n'ont été liés de manière plus paradoxale que dans ce puits d'oubli à la mémoire infinie.
[…]
Un des innombrables documents concerne une prosélyte venue du Nord et son sort tragique. Il s'agit du document T-S 16/100 - les lettres codifiées renvoient au nom non seulement de Schechter mais aussi de Charles Taylor, l'homme qui finança ces recherches et poursuivit ultérieurement ces travaux. Le document T-S 16/100 fut traduit et commenté en 1968 par l'érudit américain Norman Golb, qui détermina que la prosélyte devait venir d'un village situé dans la Provence de l'époque. Le 20 avril 1968, il donne une conférence sur la question à la faculté de Medieval Jewish Studies de l'université de Chicago, et, en janvier 1969, il publie ses résultats dans les Proceedings of the American Philosophical Society.
Même si elles sont déchirées dans le manuscrit, les lettres hébraïques qui composent le nom du lieu sont lisibles, מניו , soit de droite à gauche: mem, noun, yod, vav. En transcription: MNYW. Monieux.


… à cela:


Après Mazan,  je prends la route qui passe par Blauvac pour aller à Méthamis. Une fois arrivé,je regarde pendant un quart d'heure, du haut du parvis de l'église, les vignes et les cyprès. Je poursuis ma route jusqu'au grand mas de Saint-Hubert, à quelque huit kilomètres de là, je longe le mur de la peste dans le bois juste derrière, primitif et sombre dans ce paysage solitaire. De la terre retournée, les traces des sangliers, la peau luisante d'un serpent, le cri ténu d'un oiseau de proie.
Je laisse la voiture et parcours le reste du tracé à pied à travers le bois du Défens et jusqu'à La Plane.
[…]
À partir de cet endroit, ils voient le plateau de Monieux pour la première fois dans le lointain; mais d'abord ils se perdent, descendent trop vite vers les gorges capricieuses de la Nesque, perdent leurs repères, maugréent contre leur guide, traversent à gué la rivière au courant rapide.
[…]
Ils auraient tout aussi bien pu suivre le lit de la rivière, mais ils ne s'en rendent pas compte. Ils gravissent péniblement la berge à l'est et montent la pente; cet itinéraire est épuisant, cette erreur leur coûte presque une journée. Ils s'endorment sous la fraîcheur du ciel nocturne. 
La Voie Lactée, d'une blancheur glaciale, tremble juste au-dessus d'eux, une lune rousse voilée est suspendue au ras de l'horizon noir. Bruissements d'animaux, peur et sommeil léger, douleurs musculaires, le sol nu pour seul lit, frissons à l'aube. 
Le froid les réveille, ils se redressent en chancelant, lèvent le camp en silence. Le jour apparaît, pâle au-dessus du sommet de la colline, à l'est. Ils boivent une gorgée, le guide entasse leurs sacs sur le dos de la mule. Ils marchent machinalement en direction du sud, traversent le plateau de La Plane et, sous les premiers rayons du soleil dans la vallée qui s'ouvre, ils voient le  village, tel un nid de pierre accroché à la paroi rocheuse. Dans les chênes secs, racornis, volettent de petits oiseaux. 
Tous trois descendent vers le plateau fertile, solitaire, vers le village d'où je les ai vus approcher dans mon imagination. Ils arrivent épuisés mais sains et saufs devant la Grande Porte. David frappe trois fois avec sa canne. On ouvre. Un coq chante, un chien les accueille par des aboiements. 
On est encore en 1091. Le monde occidental glisse lentement vers une catastrophe, une fracture dans l'Histoire, et personne ne le voit venir. 
Le contemporain ne sait rien.


Le monde tourne, mais quand on retient un instant sa respiration il s'immobilise.

Un agneau égaré bêle.


Stefan HertmansLe cœur converti 
(De Bekkerlinge, 2016)
traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, 
Gallimard, 2018.
ISBN : 9782072728846

dimanche 12 avril 2020

Si par une nuit d'hiver deux voyageurs… (Deux hommes de bien, d'Arturo Pérez-Reverte)



Chose promise, chose due: quelques impressions de lecture pour vous aider à y voir clair en cette période de choix difficiles! Commençons par un pack de deux livres (joyeux pack!) qui ont un petit quelque chose en commun... d'abord:

J'ouvre le gros volume, j'en tourne deux pages, et déjà je fronce les sourcils. "Maintenant, continuons d'écrire. Racontons l'histoire. Sachons ce qui a conduit ces personnages jusqu'ici." Ces dernières lignes du prologue confirment l'impression laissée par les premières: le paragraphe rétrospectif qui constituait l'introduction n'était pas là pour nous plonger au cœur de l'action, mais pour nous inviter à garder nos distances avec elle. Est-ce une si bonne idée? Et non seulement l'auteur nous annonce que le ton de son nouvel ouvrage sera nostalgique et métafictionnel, que les capes, les catogans, les tricornes, les épées, ne sont là que pour la couleur locale; mais voilà qu'il se met lui-même en scène et nous prévient qu'il va interpoler dans ce bouillant XVIIIième siècle de tièdes préoccupations d'écrivain du XXIième.
Des coquetteries, déjà? Pérez-Reverte, qui nous a régalé de tant de récits d'aventures pleines de cliquetis  métalliques (au choix: éperons ou rapières), a-t-il perdu confiance en son pouvoir de nous faire changer d'époque à volonté? est-il devenu pessimiste, postmoderne (peut-être même postpessimiste, qui sait?)... ou au contraire a-t-il désormais trop confiance en son statut de patricien de la République des Lettres, et se repose-t-il sur lui pour assurer le succès de son roman?

Qui veut se battre en duel?

Mais on n'abandonne pas comme ça un roman de Pérez-Reverte. Passée la surprise causée par le prologue, passé le copieux premier chapitre qui introduit une bonne quarantaine de personnages tous certifiés historiques, nous commençons à comprendre pourquoi ce narrateur contemporain a choisi de s'imposer à nous de cette façon qui nous a d'abord semblé un peu sans-gêne. Retour au XXIème siècle:

- C'est bien en ces termes que la chose figure dans les actes, me confirma don Gregorio Salvador quand je lui fis une visite. Deux hommes de bien. Je le sais parce que j'ai pu lire ce document, il y a des années.
Par la fenêtre du balcon, je pouvais voir, derrière lui, les immeubles de la rue Malasaña. Le vieux professeur et académicien - octogénaire, linguiste prestigieux, doyen des membres actifs de l'Académie - était assis dans un fauteuil de la bibliothèque de sa maison. Sur un guéridon, il y avait une tasse de café que venait de me servir une de ses petites-filles.
[…]  
- Connaissez-vous bien cette période?
- Plus ou moins.
- Julián Marías, qui a été notre collègue à l'Académie, le père de Javier Marías, le romancier, a écrit quelque chose à ce sujet. Nous avons de lui un petit livre notable: L'Espagne du possible au temps de Charles III. Je ne me rappelle pas bien, mais il se pourrait qu'il y raconte comment l'Académie a obtenu notre Encyclopédie… Il est vrai qu'il a été aussi victime de délations et de poursuites à la fin de la Guerre Civile.
Il sourit de nouveau, distrait cette fois. Peut-être plongé dans des souvenirs, dont les premiers - le vieil académicien était né en 1927 - devaient receler des images de nos divers Guernicas personnels.

C'est bien un roman d'aventures. Un roman d'aventures qui essaie de résoudre cette contradiction: d'un côté, les aventures, c'est toujours plus intéressant quand on les vit à cheval, panache au vent; d'un autre, c'est dans "nos divers Guernicas personnels" que nous aurions envie de redresser des torts, Flamberge à la main.
Aussi longtemps qu'il y aura, dans des gentilhommières de la Manche, des gentilshommes qui (lance au râtelier, bidet en l'écurie) chercheront (comme vous et moi, par exemple) comment employer le temps qu'il leur reste, on ne manquera jamais de bonnes raisons d'écrire des histoires situées dans les siècles passés, du temps que l'on encontrait au détour du taillis la beste glatissant, temps qu'en l'âpre forêt se cachait la merveille, temps que l'on se battait pour gloire et renommée de dames et demoiselles, ou pour honneur de chevalerie, en bref dans l'ancien temps*: mais à côté de cette constante nécessité, chaque époque aura ses propres motifs de chercher son reflet dans une autre époque. Un des besoins spécifiques de la nôtre, d'époque, par exemple, pourrait être de se pencher sur les temps où être homme de bien était un titre suffisant pour être choisi pour une mission délicate.
Le narrateur, qui ressemble beaucoup à, mais qui n'est pas tout à fait, Arturo Pérez-Reverte, n'est pas épargné par la nostalgie - comme son modèle, sans doute. Oui, les premières pages nous ont induit en erreur: le narrateur nous a caché son statut de personnage de fiction, comme celui qui s'adresse familièrement au lecteur en lui disant "tu", dans le roman d'Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur (d'où le titre de ce billet).
Le dispositif rappelle un petit peu celui des promenades psychogéographiques, une promenade où l'on jouerait avec le temps et les différences de sensibilité (les voyageurs d'antan notaient avec une surprise parfois scandalisée, parfois ravie, que la puanteur des rues de Paris n'était pas la même que celle - pourtant aussi forte - des rues de Naples, ou de Madrid, ou de Rotterdam; les voyageurs d'aujourd'hui s'étonnent d'autres différences); Pérez-Reverte sépare nettement les références aux recherches qu'il a faites pour son roman, et le résultat qu'elles lui ont permis d'obtenir, les saynètes qu'elles lui ont permis de recréer; et, en même temps, signale les liens ténus qui les relient: le chercheur remplit un formulaire de demande de consultation dans une bibliothèque où des livres l'attendent depuis des siècles; il fait halte sur une aire de repos d'autoroute, là où autrefois s'élevait (peut-être) un relais de poste. Ces modestes péripéties contemporaines et les rencontres entre chien et loup avec des sicaires drapés dans des capes sont traitées avec le même prosaïsme, ni plus ni moins: si, au dix-huitième siècle, on se provoque en duel, c'est parce que ce sont alors des choses qui se font, comme aujourd'hui cela se fait de befriender et d'unfriender des inconnus sur un réseau social; si l'on vérifie l'amorce de ses pistolets avant de traverser un bois, on le fait aussi machinalement qu'à présent on coche la case "assurance (facultative)" sur un formulaire de réservation.

En cours de lecture, je l'avoue, il m'est arrivé de trouver le temps long, de me dire "là, il en fait un peu trop". Mais ça n'a jamais duré: le livre refermé, je n'avais pas l'impression qu'on m'avait fait tourner en rond. Plus heureux en cela que les deux protagonistes, que Pérez-Reverte ne se prive pas de faire tourner en bourrique. Pérez-Reverte peut se montrer cruel, à l'occasion, avec ses personnages (pas autant ici que dans Le hussard ou dans Jour de colère, rassurez-vous); sa cruauté n'est pas celle de G. R. R. Martin, il ne décapite pas ses hommes d'honneur; mais il ne leur accorde pas non plus la grâce que leurs épreuves soient chantées sur le tard par des troubadours sur des luths mélancoliques: tout au plus peut-on dire que c'est l'oubli relatif dans lequel est tombée leur entreprise qui est justement, vous l'avez compris dès les premiers chapitres, à l'origine de ce livre - et Pérez-Reverte ne touche pas le luth.
L'amiral et le bibliothécaire, bien que des épées déjà un peu anachroniques pendent à leur côté, n'auront à affronter que les embuscades que connaissent bien (auxquelles s'efforcent quotidiennement d'échapper) leurs lecteurs de ce vingt-et unième siècle sans panache: celles que tendent bureaucrates sans imagination, utilitaristes sans perspectives, petits entrepreneurs schumpeteriens sans scrupules.
Et l'aventure des deux voyageurs se termine, pour eux, sans occasion de s'enivrer des fumées de la gloriole - leurs épreuves n'auront changé que bien peu de choses - mais pour eux, aussi, sans amertume et sans mélancolie. Peut-être le narrateur contemporain a-t-il, lui, dissimulé dans cette conclusion un peu d'amertume, alors qu'il semblait, jusque là, même dans le récit de ses propres tribulations, avoir fait effort pour la garder pour lui.

Suis-je bien sûr, d'ailleurs, d'avoir perçu de l'amertume? On a fait tant de rencontres dans ces forêts de phrases, on ne peut être certain d'avoir correctement identifié toutes les silhouettes qu'on y a vu apparaître puis disparaître au détour d'un taillis.

Deux hommes de bien (Hombres buenos, 2015), 
traduit par Gabriel Iaculli, Seuil, 2017

*En ce temps-là les hommes étaient grands et beaux, maintenant ce sont des enfants et des nains, nous prévient Adso de Melk.


C'est quoi, au fait, cette fameuse Encyclopédie?
En 1752, dès la parution du deuxième volume, puis en 1759, elle est interdite à la fois par le roi Louis XV et par le pape qui en proscrit la lecture sous peine d’excommunication. Mais cela n’a pas empêché son succès considérable : on estime qu’il s’est vendu 4 000 exemplaires de la première édition, 20 000 au total si l’on compte les rééditions et les copies pirates.
Bonne nouvelle pour vous, lecteurs curieux: vous pouvez désormais consulter un exemplaire de ce précieux ouvrage (sans avoir à vous charger de sacs de pièces d'or, ni à glisser dans les poches de votre redingote un pistolet à double canon) sur le site de l’Académie des sciences; si vous souhaitez d'abord lire la présentation de ce projet, c'est ici.

vendredi 10 avril 2020

Présence de feuilles


Courez, il y a encore des librairies ouvertes!… vous disais-je en conclusion de mon billet du 23 décembre. J'espère que vous avez couru assez vite, et fait pour vous-même et pour vos proches
une bonne provision de livres, car…
... où trouverez-vous des livres à présent que toutes les librairies sont fermées et que la poste fonctionne comme-ci, comme-ça?

Voyons… Les libraires indépendants sont des jeunes gens modernes: sans doute votre (vos) libraire(s) préféré(e)(s) ont-(elle(s))il(s) le téléphone, ou une adresse e-mail ou un formulaire de contact sur leur site web? Et ils (elles) seront ravi(e)(s) de recevoir, derrière leur rideau baissé, votre message leur demandant de bien vouloir déposer telle nouveauté, ou telle rareté bibliophilique, sur votre paillasson, en échange d'une enveloppe scellée déposée par vous en quelque endroit convenu, appui de fenêtre ou lézarde dans un mur.

Mais je pense à une solution encore plus simple: cette "pile de livres à lire" qui a grossi au cours des dernièr(e)s semaines… mois… années de non-confinement, pourquoi ne pas aller l'explorer (en commençant par le bas, ça ne peut pas lui faire de mal d'être mise à l'envers, de toute façon elle allait bientôt s'écrouler)?


C'est ce que je vais faire dans les prochains jours; j'espère avoir l'occasion de vous donner ainsi quelques idées de lectures!


mardi 7 avril 2020

Feuilles de présence


Qui, mieux que nos amis les dessinateurs, 
habitués de tous temps 
aux longues journées passées 
sans mettre le nez dehors,
peut témoigner de l'enrichissement 
qu'apporte, à la vie intérieure, 
l'expérience du confinement?
Tom Gauld n'est pas avare de détails:




vous connaissez son tempérament réservé; 
il se montre plus concis:





Images © Tom Gauld et © David Lynch.
Vous pouvez voir d'autres dessins
de cette série de David Lynch sur le blog Illustration Art;
et vous repaître de cartoons de Tom Gauld
sur son blog, ou dans le Guardian,
la revue Science ou le New Yorker!

mercredi 1 avril 2020

Un premier avril comme les autres


Cette nuit, le gris est la couleur ultime, le résultat final. 
Les cendres sont la couleur du ciel, le couvercle de la ville, le mastic dans la bouche. 
Le temps vit avec l'espace, imperturbable: Papa Temps, Maman Espace. 
Ils sont les souverains du monde, de l'univers et de tout le tremblement. 
Invincibles. Il n'existe rien d'autre.
Aucun bruit dans la pièce, sa respiration a la légèreté d'une plume. Un événement intime est en train de se produire, que les visages de la tristesse ne sauraient venir perturber. Loplop, l'Oiseau supérieur, se prépare dans la solitude altière de son aire à devenir de plus en plus petit et à disparaître.
Il est comme un lac doté d'un écho: je dis Max, tout le monde dit Max, le lac dit Max,  l'écho (déjà lointain) dit Max, et Max est partout. Il est au fond de ma gorge et dans le papillon de nuit qui volette. 


Je tiens à deux mains mes oreilles qui hurlent mais que je suis seule à entendre.



Dorothea Tanning, La vie partagée (Between Lives, 2001)
traduit par Marc Amfreville, Bourgois, 2002


1° avril 1976 mort de Max Ernst