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jeudi 7 août 2025

Le livre de sable de Primo Levi: le système périodique

 Le bibliothécaire lui dit:
Dieu est dans l'une des lettres de l'une des pages
de l'un des quatre cent mille tomes
du Clementinum.
J. L. Borges, Le miracle secret, dans Fictions

En décembre 1941 Primo Levi obtient, grâce à son ancien appariteur, Caselli,  un poste dans une mine d'amiante de San Vittore. Le projet dont il a la charge est d'analyser la teneur en nickel des résidus de la mine et d'en optimiser l'extraction, un défi qu'il accepte avec plaisir (bien qu'il se doute qu'en cas de succès, il contribuera à l'effort de guerre allemand, qui a besoin de nickel pour l'industrie de l'armement). Pour cause de secret militaire, Primo Levi doit travailler sous un faux nom, avec de faux papiers. C'est au cours de son séjour à la mine qu'il rédige ses deux premières histoires courtes, qui seront réintégrées bien des années plus tard dans Le Système périodique.

As Carbon in the Coal
And Carbon in the Gem
Are One -
Emily Dickinson (poème 356 - C29-31)

Dans les notes qu'il ajoute au Système périodique, Primo Levi précise:

"Mon écriture même devint une aventure différente, non plus l'itinéraire douloureux d'un convalescent, d'un homme qui mendie de la pitié et des visages amis, mais une construction lucide, qui avait cessé d'être solitaire - une œuvre de chimiste qui pèse et sépare, mesure et juge sur des preuves sûres, et s'ingénie à répondre aux pourquoi. A côté du soulagement libérateur qui est le propre de celui qui est de retour et qui raconte, j'éprouvais maintenant dans l'écriture un plaisir complexe, intense et nouveau, semblable à celui que j'avais éprouvé, étudiant, en pénétrant dans l'ordre solennel du calcul différentiel." ( p 184)

Il y a, dans l'air que nous respirons,
des gaz appelés inertes.
Ils portent de curieux noms grecs
d'étymologie savante, qui signifient
le "Nouveau", le Caché", l'"Inactif", l'"Étranger".
Le Système périodique


Parfois l'élément et le souvenir qu'il évoque ne sont liés que par un lien métaphorique ténu: le nom de l'Argon (l'"Inactif", en grec) évoque les autres gaz rares, qui avec leurs noms également étranges (le "Nouveau", le Caché", l'"Étranger"), à leur tour, convoquent le souvenir d'autres étrangers, d'autres témoins inactifs, d'autres nouveaux venus, d'autres clandestins contraints de vivre cachés.
Le fer, on le trouve en bien des endroits, mais c'est surtout le goût de fer dans la bouche que nous laisse un effort trop violent: quand on a "mordu la chair de l'ours" comme disait à Levi un compagnon dont il regrettera plus tard de n'avoir pas été plus proche.
Le phosphore, en revanche, c'est bien la substance dont on fait les bombes incendiaires: instinctivement, Levi sait quand il convient de cesser de filer une métaphore avant qu'elle ne dévie, de sa fonction stylistique initiale, vers autre chose.

Si l'effort laisse un goùt de fer dans la bouche, tourner les pages d'un livre nous procure la sensation d'un sable qui coule entre nos doigts.

Dieu est le Généreux, le Caché.
J. L. Borges, Les Deux qui rêvèrent
dans Histoire générale de l'infamie

Primo Levi: Le système périodique 
(
Albin Michel 1987; Le Livre de poche 1995) 



vendredi 29 septembre 2023

Cela ne nous empêchera pas d'être amis

 Vous voulez en savoir davantage sur les extra-terrestres? Pour cela  il est préférable de s'adresser à des scientifiques reconnus pour leurs travaux de vulgarisation, qui ont, comme on dit, "franchi les limites de la littérature scientifique spécialisée", par exemple Primo Levi, et, pourquoi pas?  son confrère et ami Piero Bianucci (on peut même dire complice, puisqu'ils ont contribué ensemble "à quatre mains" à un recueil, malheureusement pas traduit en français: L'uovo del futuro); car non seulement il existe, le Piero Bianucci mentionné dans le texte ci-dessous (quand vous le lirez, vous pourriez être tentés de vous demander où finit la fiction et où commence la réalité), mais il est sur internet (quand on est sur internet c'est bien la preuve qu'on existe, ce ne sont pas les extra-terrestres qui diront le contraire); il occupe, à la télévision italienne, à peu près le même créneau que chez nous notre Hubert Reeves national. Un beau jour de 1986, Bianucci a reçu un message de la huitième planète du système Delta Cephei; n'y comprenant rien, il l'a confié à son ami Primo, qu'il savait capable (je vous l'avais signalé il y a quelques années) de déchiffrer des textes cryptés par les méthodes les moins conventionnelles.

Cher Piero Bianucci,
Vous serez sans doute étonné de recevoir une lettre d'une de vos admiratrices dans un délai aussi bref et de si loin. Nous connaissons vos drôles de lubies sur la vitesse de la lumière; chez nous, il suffit de payer un modeste supplément exceptionnel à la redevance de la télévision pour recevoir et transmettre des messages intergalactiques en temps réel, ou presque. En ce qui me concerne, je suis fanatique de vos émissions télévisées, en particulier de la publicité pour les conserves de tomates.
Je voulais vous dire que j'ai été enthousiasmée par votre reportage de mardi dernier, dans lequel vous parliez des Céphéides. Ou plutôt, j'ai été heureuse d'apprendre que vous nous appeliez ainsi, car notre soleil est justement une céphéide; j'entends dire par là que c'est une étoile beaucoup plus grande que la vôtre, et qu'elle pulse régulièrement selon une période de cinq jours et neuf heures terrestres. C'est justement la céphéide de Céphée, quelle coïncidence! Mais avant de poursuivre en décrivant notre way of life, je tenais à vous dire que votre barbe a beaucoup plu à mes amies et à moi-même; chez nous les hommes n'ont pas de barbe, ils n'ont même pas de tête; ils mesurent dix ou douze centimètres, ressemblent à vos asperges, et quand nous désirons être fécondées nous nous les mettons sous une aisselle pendant deux ou trois minutes, comme vous le faites avec vos thermomètres pour prendre votre température. Nous possédons dix aisselles; nous avons toutes une symétrie décimaire, raison pour laquelle notre côté est le nombre d'or de notre rayon, chose unique tout au moins dans notre galaxie, et dont nous sommes fières.

  On imagine le sourire en coin de Primo, quand il a eu à transcrire (en pensant in petto à la silhouette d'asperge de son grand copain) les compliments d'une autochtone du système de Delta de Céphée sur son physique.

À propos [de température], ne vous leurrez pas, nous avons une température variable, de -20°C l'hiver à 110°C l'été, mais cela ne nous empêchera pas d'être amis.

Le message donne à l'astronome d'autres précisions d'un grand intérêt sur la vie des habitantes carapacées d'oxyde de fer et de manganèse de cette huitième planète d'une céphéide, la mer acide, l'été accablant mais heureusement bref (il dure deux jours), les plaisirs innocents de l'automne et de l'hiver.

L'automne dernier, une de mes amies m'a dit qu'elle avait vu une supernova; cela ne s'était pas produit depuis longtemps, et elle m'a demandé avec insistance de vous le rapporter. De votre point de vue, elle devrait se trouver du côté du Scorpion; si vous payiez le supplément tachyonnique exceptionnel, vous pourriez la voir dans dix jours, sinon il vous faudra attendre 3 485 ans.

Si c'est vrai tout ça? Vous pourrez vérifier dans les rapports de nos sondes spatiales.

Veuillez recevoir les cordiales salutations de votre (signature illisible) et de ses amies.
Delta  Cep./8, d.3° a.3,576.10

Traduction de Primo Levi

Ce texte est paru dans un recueil dont le titre, par les temps qui courent, semble de bon augure (on peut toujours  espérer):  Dernier Noël de guerre.  La nouvelle qui donne son titre au recueil est autobiographique (elle se situe quelques mois avant les événements rapportés dans La Trève); d'autres nous rappellent que, quand Levi donnait libre cours à sa fantaisie, il ne faisait pas les choses à moitié. Précision de l'éditeur: "Tous les textes de ce volume ont été réunis dans les Pagine Sparse des œuvres complètes de Primo Levi, procurées par Marco Belpoliti chez Einaudi en octobre 1997,  collection Nuova Universale Einaudi) puis dans le volume L'Ultimo Natale di Guerra". La nouvelle citée ci-dessus, Les fans de spots de Delta Cep (Le fans di spot di Delta Cep), quatrième du recueil, est parue initialement dans L'Astronomia n° 54, avril 1986.

Primo Levi: Dernier Noël de guerre
(L'Ultimo Natale di Guerra, Einaudi, 1997, 2000)
traduit par Nathalie Bauer, 2002
10/18 N° 3389

ISBN: 2-264-03419-X
EAN: 9782264034199

samedi 30 octobre 2021

Écrire un nom

 

J'ai appris aujourd'hui la naissance (il y a deux jours) d'un petit garçon que ses parents ont prénommé Liberté. J'ai aussitôt pensé à ce personnage du roman de Primo Levi, La clé à molette (La chiave a stella), que son père avait voulu déclarer à l'état-civil sous le prénom de Libertario: refusé. Par dépit, le père avait alors proposé Libertino: accepté.  Ce que raconte La chiave a stella, ce sont donc les souvenirs de Libertino Faussone (vous les avez lus, j'espère?).
Apparemment, le prénom Liberté n'a pas posé de problème au fonctionnaire de l'état-civil français: il y aurait donc ici et là des choses qui changent pour le mieux? Même si, comme nous l'a rappelé kwarkito, hier 29 octobre c'était l'anniversaire de la mort de Brassens, je suis content de pouvoir garder, de la fin de cet octobre-ci, le souvenir de la naissance d'un beau bébé (qui sait? peut-être qu'un livre racontera un jour ses aventures?), ça change de la monotonie de toutes ces journées où on a appris la mort de quelqu'un.

 

 

mercredi 10 décembre 2014

La quantité de signes distincts sur le papier (2): la variation


L’ami de l’homme

Les premières observations sur la disposition des cellules épithéliales du ténia remontent à 1905 (Serrurier). Mais Flory fut le premier à en comprendre l’importance et la signification, et il la décrivit dans un long mémoire de 1927, complété par de bonnes photographies où, pour la première fois, la "mosaïque de Flory", ainsi qu’elle fut nommée, fut rendue visible même aux profanes. Comme on le sait, il s’agit de cellules aplaties, de forme irrégulièrement polygonale, disposées en longues rangées parallèles, et caractérisées par la répétition, à des intervalles variables, d’éléments semblables, au nombre de quelques centaines. Leur signification fut découverte dans de singulières circonstances: le mérite ne doit pas en être attribué à un histologue ou à un zoologiste, mais à un orientaliste.
Bernard W. Losurdo, professeur d’assyriologie à la Michigan State University, dans une période d’inactivité forcée due précisément à la présence du gênant parasite, et mû en conséquence par un intérêt purement occasionnel, eut par hasard sous les yeux les photographies de Flory.
Certaines particularités que jusqu’alors personne n’avait remarquées n’échappèrent cependant pas à son expérience professionnelle: les rangées de la mosaïque sont constituées par un nombre de cellules qui varie dans des limites pas très étendues (de 25 à 60 environ); il existe des groupes de cellules qui se répètent avec une fréquence très élevée, comme s’il s’agissait d’associations obligées; enfin (et ce fut la clé de l’énigme), les cellules terminales de chaque rangée sont parfois disposées selon un schéma que l’on pourrait définir comme rythmique.
Ce fut indubitablement une circonstance heureuse que la première photographie dont Losurdo eut à s’occuper présentât justement un schéma particulièrement simple: les quatre dernières cellules de la première rangée étaient identiques aux quatre dernières de la troisième, les trois dernières de la seconde rangée étaient identiques aux dernières de la quatrième et de la sixième, et ainsi de suite, selon le schéma bien connu du tercet.
Il fallait cependant une grande hardiesse intellectuelle pour faire le pas suivant, à savoir pour formuler l’hypothèse que la mosaïque entière n’était pas rimée dans un sens purement métaphorique, mais ne constituait rien de moins qu’une composition poétique, et accompagnait une signification. 
[…]
Les mosaïques qui ont été déchiffrées jusqu’à présent par Losurdo et ses collaborateurs ne sont pas nombreuses. Il en est de rudimentaires et  de fragmentaires, pauvrement articulées, que Losurdo qualifie d’ "interjectives". Ce sont les plus difficiles à interpréter, et elles expriment pour la plupart de la satisfaction pour la qualité ou la quantité de l’aliment, ou du dégoût pour quelque élément du chyme moins apprécié. D’autres se réduisent à une brève phrase de caractère sentencieux. 
[…]
Mais certaines mosaïques d’un niveau manifestement plus élevé sont de loin plus intéressantes; l’horizon nouveau et déconcertant des rapports affectifs entre le parasite et l’hôte y est assombri.
[…]  
Nous citons ici l’exemple le plus connu, qui a désormais franchi les limites de la littérature scientifique spécialisée et qui a été accueilli dans une anthologie de littérature étrangère récente, provoquant l’intérêt critique d’un public beaucoup plus large. 
« … je devrais donc t’appeler ingrat? Non, puisque je me suis laissé emporter, et que j’ai osé briser les limites que la nature nous a imposées. Par des voies cachées et merveilleuses j’étais arrivé jusqu’à toi: durant des années, dans une religieuse adoration, j’avais puisé à tes sources vie et sagesse. Je ne devais pas me rendre visible: c’est là notre triste sort. Visible et importun: de là ta juste colère, ô maître. Hélas, pourquoi n’ai-je pas renoncé? Pourquoi ai-je repoussé la sage inertie de mes aïeux?
Mais voilà: mon audace certes impie était aussi juste qu’était juste ton courroux. Nos paroles silencieuses ne trouvent pas d’écoute chez vous, demi-dieux pleins d’orgueil. Nous, peuple sans yeux ni oreilles, nous ne trouvons pas grâce auprès de vous.
Et je m’en irai maintenant, puisque tu le veux. Je m’en irai en silence, selon notre habitude, à la rencontre de mon destin de mort ou de transfiguration immonde. Je ne demande qu’un don: que mon message te parvienne et qu’il soit médité et compris par toi. Par toi, homme hypocrite, mon semblable, mon frère. »

Primo LeviL’ami de l’homme, 
dans Histoires naturelles 
(Storie naturali, 1966), 
traduit par André Maugé, Gallimard, 1994

lundi 15 septembre 2014

Non ci si arriva facilmente




Une vallée


Il est une vallée que je garde secrète
Son accès est difficile:
Des escarpements en barrent l'entrée
Des broussailles et des gués dans des eaux rapides,
Et des sentiers effacés, à peine des traces.
Ignorée des atlas, des cartes;
J'en ai trouvé seul le chemin, 
Y passant bien des saisons,
M'égarant plus d'une fois,
Mais ce ne fut pas du temps perdu.

Je ne sais qui passa là avant moi,
Un homme seul, quelques-uns ou personne,
La question ne m'importe guère.

Les parois de roc sont gravées de signes,
Quelques-uns très beaux, tous mystérieux,
Et plus d'un non dûs à la main de l'homme.



En bas, il y a des bouleaux, des hêtres,
Plus haut, des sapins et de grands mélèzes,
Que le vent tourmente,
Voleur de pollen, quand vient le printemps,
Et que se réveillent les premières marmottes.

Et plus haut encore il y a sept lacs
D'une eau restée très pure,
Transparents et noirs, glacés et profonds.

A cette hauteur nos plantes ne croissent plus,
Mais, tout près du col, 
Il y a un arbre, un seul, florissant,
Plein de vigueur et toujours vert
Auquel personne n'a donné de nom;
C'est peut-être celui dont parle la Genèse;
Il porte des fleurs, des fruits en toute saison,
Même quand la neige fait ployer ses branches.
De son espèce il est le seul et se féconde lui-même.




Son tronc porte d'anciennes blessures
D'où pleure goutte à goutte une résine,
Amère et douce, porteuse d'oubli.


Primo Levi
Le fabricant de miroirs (Racconti e saggi, 1986)
Traduction d'André Maugé
(Liana Lévi, 1989; Le Livre de Poche, 1990)



Illustrations: Mountain Tree, photo de Frans van Liempt;
The Lawrence Tree, peinture de Georgia O'Keefe

dimanche 12 mai 2013

Le nouvel écrivain public


Chère Maman,

Je te prie de me pardonner si je ne t'ai plus écrit depuis la lettre que tu m'as envoyée en mars de l'année dernière, et qui est arrivée quand le printemps touchait à sa fin. Dans ce pays, le printemps n'est pas comme chez nous: ici, les saisons n'ont pas de frontières, il pleut l'hiver et l'été, et le soleil, quand il se montre entre les nuages, est tiède l'été comme l'hiver; mais il se montre rarement.

Si j'ai tardé à te répondre, c'est que l'écrivain public à qui je m'adressais jusqu'à maintenant est mort. 
Au bout de tant d'années et de tant de lettres qu'il avait écrites pour moi, nous étions devenus amis et je n'avais plus besoin de lui expliquer chaque fois qui j'étais et qui tu étais, toi,  de lui dire où tu habites, où et comment est notre village, et tout ce qu'il faut savoir pour qu'une lettre parle comme le ferait un messager. 
L'écrivain public qui transcrit aujourd'hui mes paroles est arrivé depuis peu. C'est un homme sage et instruit, mais il n'est pas latin, ni même breton, et il ne sait pas encore grand' chose de la façon dont on vit ici, de sorte que c'est moi qui doit l'aider bien plus qu'il ne m'aide moi-même. Il n'est pas latin, comme je te le disais: il vient du pays de Kent, c'est à dire du Sud, mais il a toujours travaillé dans les administrations, et il parle et écrit le latin mieux que moi, qui suis en train de l'oublier. C'est aussi un bon magicien, qui sait faire venir la pluie: mais ça c'est un métier que je saurais faire ici aussi bien que lui, car il pleut presque tous les jours.

[...]

Pense qu'ici tout est différent de chez nous, en Italie: l'herbe, les moutons, la mer, les maisons, les vêtements, les chiens, les poissons, les chaussures; si bien qu'on est tout naturellement amené à appeler toutes ces choses-là non pas par leurs noms latins mais par les noms qu'on leur donne ici. Ne ris pas si je te parle de chaussures: dans un pays de pluie et de boue, les chaussures sont plus importantes que le pain, tant il est vrai, qu'ici à Vindolanda, on trouve plus de tanneurs et de cordonniers que de soldats. Pendant les trois quarts de l'année, nous portons des bottes cloutées qui pèsent bien deux livres l'une; tout le monde, même les femmes et les enfants.

[...]

Chère maman, écris-moi et donne-moi des nouvelles du pays: le service postal est assez bon, tes lettres m'arrivent en moins de soixante jours, et même, ton colis m'est arrivé en un peu plus de soixante jours. Ici, on est au pays de la laine, mais la laine d'ici n'est pas aussi douce et propre que celle que tu files. Je te remercie avec toute mon affection filiale: chaque fois que j'enfilerai ces chaussettes, ma pensée volera vers toi.

Primo Levi, Chère Maman
traduction de Martine Schruoffeneger, 
éditions Liana Levi (1993)

Apposée à la nouvelle de Primo Levi dont vous trouvez ici de courts extraits, figure la note suivante, empruntée au Scientific American (février 1977)
"Un poste frontière dans la Britannia Romana, Vindolanda, fut garnison romaine du I° au V° siècle. On a retrouvé sous terre, conservés par l'absence d'oxygène, de nombreux objets en bois et en cuir, des tissus et des inscriptions à l'encre; parmi celles-ci, la lettre d'accompagnement d'un colis adressé à un soldat et contenant une paire de chaussettes de laine".
Plus de trente ans auparavant, au début des années 40, Primo Levi avait composé deux contes dans lesquels, déjà, usant du même procédé, il prêtait sa voix à des personnages  séparés de lui par des siècles et rapprochés par des  expériences communes: il choisit, bien plus tard, d'inclure ces deux textes dans Le système périodique: car c'était alors des expériences de chimie qui faisaient le lien entre le conteur et ses personnages.
Entre-temps, Levi avait fait l'expérience des grandeurs et servitudes du métier d'écrivain public, et il avait rencontré Le Grec (celui dont il est question dans La Trêve), et en avait reçu un conseil de survie qui doit avoir, lui aussi, traversé intact un certain nombre de siècles (pourquoi pas quinze? pourquoi pas vingt?), qu'on retrouve ici presque mot pour mot::les chaussures sont plus importantes que le pain
Ce qui n'avait pas changé, c'était le regard qu'il portait sur les êtres dont il avait décidé d'écrire, ces fragiles créatures si facilement embourbées dans la glaise.

vendredi 7 octobre 2011

Les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal (Primo Levi: Poeti)



Le jeune poète hésita un bon moment avant de sonner. Cette visite était-elle bien indispensable? Lesquels avaient raison: ses amis de Milan et de Rome qui lui avaient vanté les dons quasi miraculeux du médecin? Ou au contraire son père et sa mère, qui avaient cherché à le retenir sans lui cacher leur mépris et leur honte, comme si un entretien avec un homme sage et expérimenté était une tache sur leur blason? Mais il souffrait trop depuis quelques années: il n'avait plus le courage de continuer ainsi.
Le médecin vint lui ouvrir lui- même: il était en pantoufles, décoiffé, enveloppé dans une vieille robe de chambre élimée. Il le fit asseoir devant son bureau; non, ce n'était pas nécessaire qu'il s'étende sur le divan; pas pour le moment.
Le médecin l'intimidait mais il lui fit d'emblée bonne impression; il ne prenait pas des airs importants, n'utilisait pas de mots compliqués, il avait du tact et de bonnes manières. Sans doute son apparence négligée était-elle délibérée, afin que les patients ne se sentent pas mal à l'aise. Le poète éprouva de l'embarras (mais le médecin semblait embarrassé lui aussi) lorsque l'autre l'interrogea prudemment sur son passé médical: jamais fait de radiographies? Jamais prescrit de corset? Mais il avait aussitôt changé de sujet, ou plutôt il l'avait laissé aborder le sujet.
Certes, les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal: il ressentait l'univers (qu'il avait pourtant étudié avec diligence et amour) comme une immense machine inutile, un moulin qui broyait éternellement le néant sans aucun but; non pas muet, éloquent au contraire, mais aveugle et sourd à la douleur du genre humain; voilà, chacun de ses instants de veille était imprégné de cette douleur, son unique certitude; il n'éprouvait d'autres joies que négatives, à savoir les brèves rémissions de sa souffrance.
[…]
Une question du médecin l'amena à admettre qu'il avait connu de temps à autre une trêve dans son angoisse: outre les moments de joie négative mentionnée plus tôt, il éprouvait un certain soulagement tard le soir, quand l'obscurité et le silence de la campagne lui permettaient de se consacrer à ses études, ou plutôt de s'y barricader comme dans une citadelle.
- Bien sûr; une citadelle chaude, douce et sombre, dit le médecin en hochant la tête avec sympathie.
Le poète ajouta qu'il avait eu récemment un moment de répit à l'occasion d'une promenade solitaire qui l'avait conduit sur une modeste hauteur. Au-delà de la barrière qui limitait l'horizon, il avait saisi un instant la présence solennelle et terrible d'un univers ouvert, indifférent sans être ennemi; rien qu'un instant, mais il avait été empli d'une inexplicable douceur, née de l'idée de se diluer et se fondre dans le sein transparent du néant. Illumination si intense et si neuve qu'il tentait en vain depuis plusieurs jours de l'exprimer en vers.
Le médecin écoutait, absorbé; puis, avec une délicatesse de professionnel, il lui demanda de lui parler de ses relations. Le poète se sentit rougir: c'était là un sujet qu'il n'aimait aborder avec personne, ses parents moins que quiconque, et pas même dans la solitude, sinon dans les termes sublimés qu'il préférait pour ses poèmes.
[…]
Le médecin n'insista pas. […] Il réfléchit une minute, puis il lui dit que c'était suffisant pour cette fois et que son cas ne lui paraissait pas grave: il était un hypersensible plutôt qu'un malade. Un traitement de soutien, répété à intervalles de quelques mois atténuerait sûrement sa souffrance. Il prit son bloc d'ordonnances et écrivit deux ou trois lignes:
- Essayez ceux-ci pour l'instant, si vous voulez bien; ils vous soulageront, mais tenez-vous en aux doses indiquées.

Le poète descendit l'escalier et se dirigea vers la pharmacie la plus proche. Tout en marchant, il glissa la main qui tenait l'ordonnance dans la poche de son pardessus, et il y retrouva des feuillets qu'il avait oubliés. Il y avait noté des idées qui lui étaient venues quelques jours plus tôt, et qu'il avait pensé mettre en vers. Comme animée d'une volonté propre, sa main roula l'ordonnance en boule et la jeta dans la rigole qui courait le long de la rue.
Primo Levi, Poeti
(traduit de l'italien par Fanchita Gonzalez Batlle)



L'infinito



Sempre caro mi fu quest'ermo colle

E questa siepe che da tanta parte 

Dell' ultimo orizzonte il guardo esclude. 

Ma sedendo e mirando interminati 

Spazi di là da quella, e sovrumani

Silenzi, e profondissima quiete, 

Io nel pensier mi fingo, ove per poco

Il cor non si spaura. E come il vento

Odo stormir tra queste piante, io quello

Infinito silenzio a questa voce

Vo comparando; e mi sovvien l'eterno, 

E le morte stagioni, e la presente

E viva, e il suon di lei. Così tra questa

Immensità s'annega il pensier mio: 

E il naufragar m'è dolce in questo mare.
Giacomo Leopardi: Canti

L'infini

Toujours me plut cette colline si seule et cette haie qui, par tant de longueurs, dérobe l'horizon. Mais quand je m'assieds pour la regarder, par ma pensée se créent au-delà d'elle d'interminables espaces, des silences surhumains, une paix très profonde; où peu s'en faut que mon cœur ne s'effraie. Et lorsque j'entends le vent bruire dans les plantes, je vais comparant l'infini de ce silence à cette voix, et me souviens de l'éternel, des saisons mortes, et de celle présente et vivante, et de son bruissement. Ainsi dans cette immensité s'anéantit ma pensée: et naufrager m'est doux dans cette mer.
Traduit par René Char


Transparente pour le lecteur italien, l'allusion faite par Levi, dans ces quelques extraits de la nouvelle Dialogue entre un poète et un médecin, au poème de Leopardi, l'Infinito, l'est peut-être moins pour le lecteur de langue française*; c'est pourquoi je n'ai pas cru mauvais de faire figurer dans ce billet l'original italien et sa traduction par René Char. Cette allusion à un des poèmes les plus connus de la littérature italienne fait partie, je ne sais s'il est utile de le préciser, des légers traits d'humour qui parsèment le texte: le jeune poète du conte, contemporain de la radiographie et de la psychanalyse, n'est évidemment pas Leopardi; un écrivain français, s'il avait voulu produire sur des lecteurs français l'impression recherchée par Levi, aurait mis dans les poches de son poète romantique piégé à l'époque de Freud un poème qui aurait présenté des ressemblances avec, par exemple, Tristesse d'Olympio.
La façon dont Primo Levi envisage le travail de l'écrivain, avec un infini respect mais sans idéalisation fantasmée, me touche particulièrement. Dans sa postface au recueil dont le Dialogue est extrait, Guido Bonino note: "Primo se permettait des remarques telles que 'Mais le fait est que je ne suis pas un écrivain...' Cette phrase aurait pu passer pour une formule purement mondaine, pour une véritable coquetterie. Mais Primo était la personne la plus étrangère à toute mondanité et à toute coquetterie. Cette phrase équivalait à peu près à dire: 'Je considère comme un vrai don du destin d'être devenu un écrivain'."
Si vous n'avez pas encore lu Poeti (et surtout si vous ne connaissez Levi que comme l'auteur de Si c'est un homme), lisez-le, c'est pas long, et ça vous donnera une meilleure idée de l'étendue du registre d'un écrivain dont la notoriété, paradoxalement, n'est peut-être pas étrangère au fait qu'il est toute une partie de son œuvre qu'on ne lit pas assez.


Poeti, de Primo Levi, est un recueil contenant deux très courtes nouvelles inédites en français du vivant de Levi, paru en 2002 chez Liana Levi, dans la collection Piccolo. ISBN 2-86746-294-0


*L'ouvrage publié sous la direction de Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos,  Primo Levi à l'œuvre: la réception de l'œuvre de  Primo Levi dans le monde apporte une précision sur l'origine de ces textes: "[…] deux récits ("Dialogue entre un poète et un médecin" et "Songe fugace") qui avaient été omis dans l'édition de Lilith puisque, faisant allusion à Leopardi et à Pétrarque, ils s'adressaient surtout au public italien". Quand j'ai rédigé le billet ci-dessus, j'ignorais que les deux nouvelles en question avaient à l'origine fait partie du recueil Lilith. Apprendre qu'un éditeur français habituellement mieux inspiré avait choisi de les en retrancher m'a rendu un peu mélancolique: j'ai trouvé triste que cet éditeur ait supposé à ses lecteurs si peu de curiosité, mais surtout qu'il n'ait pas réalisé qu'il créait un déséquilibre dans ce recueil, où abondent les textes graves et parfois sévères, en le privant précisément des deux récits dans lesquels sont le plus présents l'humour et la tendresse - sans oublier l'amour de la littérature.

Les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal (Primo Levi: Poeti)



Le jeune poète hésita un bon moment avant de sonner. Cette visite était-elle bien indispensable? Lesquels avaient raison: ses amis de Milan et de Rome qui lui avaient vanté les dons quasi miraculeux du médecin? Ou au contraire son père et sa mère, qui avaient cherché à le retenir sans lui cacher leur mépris et leur honte, comme si un entretien avec un homme sage et expérimenté était une tache sur leur blason? Mais il souffrait trop depuis quelques années: il n'avait plus le courage de continuer ainsi.
Le médecin vint lui ouvrir lui- même: il était en pantoufles, décoiffé, enveloppé dans une vieille robe de chambre élimée. Il le fit asseoir devant son bureau; non, ce n'était pas nécessaire qu'il s'étende sur le divan; pas pour le moment.
Le médecin l'intimidait mais il lui fit d'emblée bonne impression; il ne prenait pas des airs importants, n'utilisait pas de mots compliqués, il avait du tact et de bonnes manières. Sans doute son apparence négligée était-elle délibérée, afin que les patients ne se sentent pas mal à l'aise. Le poète éprouva de l'embarras (mais le médecin semblait embarrassé lui aussi) lorsque l'autre l'interrogea prudemment sur son passé médical: jamais fait de radiographies? Jamais prescrit de corset? Mais il avait aussitôt changé de sujet, ou plutôt il l'avait laissé aborder le sujet.
Certes, les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal: il ressentait l'univers (qu'il avait pourtant étudié avec diligence et amour) comme une immense machine inutile, un moulin qui broyait éternellement le néant sans aucun but; non pas muet, éloquent au contraire, mais aveugle et sourd à la douleur du genre humain; voilà, chacun de ses instants de veille était imprégné de cette douleur, son unique certitude; il n'éprouvait d'autres joies que négatives, à savoir les brèves rémissions de sa souffrance.
[…]
Une question du médecin l'amena à admettre qu'il avait connu de temps à autre une trêve dans son angoisse: outre les moments de joie négative mentionnée plus tôt, il éprouvait un certain soulagement tard le soir, quand l'obscurité et le silence de la campagne lui permettaient de se consacrer à ses études, ou plutôt de s'y barricader comme dans une citadelle.
- Bien sûr; une citadelle chaude, douce et sombre, dit le médecin en hochant la tête avec sympathie.
Le poète ajouta qu'il avait eu récemment un moment de répit à l'occasion d'une promenade solitaire qui l'avait conduit sur une modeste hauteur. Au-delà de la barrière qui limitait l'horizon, il avait saisi un instant la présence solennelle et terrible d'un univers ouvert, indifférent sans être ennemi; rien qu'un instant, mais il avait été empli d'une inexplicable douceur, née de l'idée de se diluer et se fondre dans le sein transparent du néant. Illumination si intense et si neuve qu'il tentait en vain depuis plusieurs jours de l'exprimer en vers.
Le médecin écoutait, absorbé; puis, avec une délicatesse de professionnel, il lui demanda de lui parler de ses relations. Le poète se sentit rougir: c'était là un sujet qu'il n'aimait aborder avec personne, ses parents moins que quiconque, et pas même dans la solitude, sinon dans les termes sublimés qu'il préférait pour ses poèmes.
[…]
Le médecin n'insista pas. […] Il réfléchit une minute, puis il lui dit que c'était suffisant pour cette fois et que son cas ne lui paraissait pas grave: il était un hypersensible plutôt qu'un malade. Un traitement de soutien, répété à intervalles de quelques mois atténuerait sûrement sa souffrance. Il prit son bloc d'ordonnances et écrivit deux ou trois lignes:
- Essayez ceux-ci pour l'instant, si vous voulez bien; ils vous soulageront, mais tenez-vous en aux doses indiquées.

Le poète descendit l'escalier et se dirigea vers la pharmacie la plus proche. Tout en marchant, il glissa la main qui tenait l'ordonnance dans la poche de son pardessus, et il y retrouva des feuillets qu'il avait oubliés. Il y avait noté des idées qui lui étaient venues quelques jours plus tôt, et qu'il avait pensé mettre en vers. Comme animée d'une volonté propre, sa main roula l'ordonnance en boule et la jeta dans la rigole qui courait le long de la rue.
Primo Levi, Poeti
(traduit de l'italien par Fanchita Gonzalez Batlle)



L'infinito



Sempre caro mi fu quest'ermo colle

E questa siepe che da tanta parte 

Dell' ultimo orizzonte il guardo esclude. 

Ma sedendo e mirando interminati 

Spazi di là da quella, e sovrumani

Silenzi, e profondissima quiete, 

Io nel pensier mi fingo, ove per poco

Il cor non si spaura. E come il vento

Odo stormir tra queste piante, io quello

Infinito silenzio a questa voce

Vo comparando; e mi sovvien l'eterno, 

E le morte stagioni, e la presente

E viva, e il suon di lei. Così tra questa

Immensità s'annega il pensier mio: 

E il naufragar m'è dolce in questo mare.
Giacomo Leopardi: Canti

L'infini

Toujours me plut cette colline si seule et cette haie qui, par tant de longueurs, dérobe l'horizon. Mais quand je m'assieds pour la regarder, par ma pensée se créent au-delà d'elle d'interminables espaces, des silences surhumains, une paix très profonde; où peu s'en faut que mon cœur ne s'effraie. Et lorsque j'entends le vent bruire dans les plantes, je vais comparant l'infini de ce silence à cette voix, et me souviens de l'éternel, des saisons mortes, et de celle présente et vivante, et de son bruissement. Ainsi dans cette immensité s'anéantit ma pensée: et naufrager m'est doux dans cette mer.
Traduit par René Char


Transparente pour le lecteur italien, l'allusion faite par Levi, dans ces quelques extraits de la nouvelle Dialogue entre un poète et un médecin, au poème de Leopardi, l'Infinito, l'est peut-être moins pour le lecteur de langue française*; c'est pourquoi je n'ai pas cru mauvais de faire figurer dans ce billet l'original italien et sa traduction par René Char. Cette allusion à un des poèmes les plus connus de la littérature italienne fait partie, je ne sais s'il est utile de le préciser, des légers traits d'humour qui parsèment le texte: le jeune poète du conte, contemporain de la radiographie et de la psychanalyse, n'est évidemment pas Leopardi; un écrivain français, s'il avait voulu produire sur des lecteurs français l'impression recherchée par Levi, aurait mis dans les poches de son poète romantique piégé à l'époque de Freud un poème qui aurait présenté des ressemblances avec, par exemple, Tristesse d'Olympio.
La façon dont Primo Levi envisage le travail de l'écrivain, avec un infini respect mais sans idéalisation fantasmée, me touche particulièrement. Dans sa postface au recueil dont le Dialogue est extrait, Guido Bonino note: "Primo se permettait des remarques telles que 'Mais le fait est que je ne suis pas un écrivain...' Cette phrase aurait pu passer pour une formule purement mondaine, pour une véritable coquetterie. Mais Primo était la personne la plus étrangère à toute mondanité et à toute coquetterie. Cette phrase équivalait à peu près à dire: 'Je considère comme un vrai don du destin d'être devenu un écrivain'."
Si vous n'avez pas encore lu Poeti (et surtout si vous ne connaissez Levi que comme l'auteur de Si c'est un homme), lisez-le, c'est pas long, et ça vous donnera une meilleure idée de l'étendue du registre d'un écrivain dont la notoriété, paradoxalement, n'est peut-être pas étrangère au fait qu'il est toute une partie de son œuvre qu'on ne lit pas assez.


Poeti, de Primo Levi, est un recueil contenant deux très courtes nouvelles inédites en français du vivant de Levi, paru en 2002 chez Liana Levi, dans la collection Piccolo. ISBN 2-86746-294-0


*L'ouvrage publié sous la direction de Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos,  Primo Levi à l'œuvre: la réception de l'œuvre de  Primo Levi dans le monde apporte une précision sur l'origine de ces textes: "[…] deux récits ("Dialogue entre un poète et un médecin" et "Songe fugace") qui avaient été omis dans l'édition de Lilith puisque, faisant allusion à Leopardi et à Pétrarque, ils s'adressaient surtout au public italien". Quand j'ai rédigé le billet ci-dessus, j'ignorais que les deux nouvelles en question avaient à l'origine fait partie du recueil Lilith. Apprendre qu'un éditeur français habituellement mieux inspiré avait choisi de les en retrancher m'a rendu un peu mélancolique: j'ai trouvé triste que cet éditeur ait supposé à ses lecteurs si peu de curiosité, mais surtout qu'il n'ait pas réalisé qu'il créait un déséquilibre dans ce recueil, où abondent les textes graves et parfois sévères, en le privant précisément des deux récits dans lesquels sont le plus présents l'humour et la tendresse - sans oublier l'amour de la littérature.