samedi 24 avril 2021

Corona Heights dans un monde-miroir

 

Vous vous souvenez de Fritz Leiber… comment auriez-vous pu l'oublier? C'est à cause de lui que (dans des mondes alternatifs) vous vous êtes si souvent fondu dans l'ombre, cachant sous les plis de votre cape grise une dague en forme de griffe… que vous avez empli tant de tavernes de votre rire tonitruant, en balançant négligemment au bout d'un bras interminable votre hache à deux tranchants…  Fritz Leiber…  mais peut-être avez-vous oublié certaines choses le concernant?
Le Blog des Chats, fidèle à sa mission de sauvegarde mémorielle, a consacré cette semaine à Fritz Leiber, sous un angle particulier: inventorier les traces laissées dans l'Histoire par les Serpents et les Araignées… Lisez donc les billets de cette semaine, faites une pause, puis revenez au début: ce sera l'occasion de vérifier lesquels de vos souvenirs correspondent encore à une réalité soumise à des modifications permanentes.


 

lundi 19 avril 2021

Une comédie de masques

 

Ne croyez pas que, sitôt que je ferme les yeux, ce ne sont que films et séries qui se mettent à défiler devant. Cette nuit, je lisais une bande dessinée, comme font les gens de goût! Je me souvenais, à mon réveil, non seulement des dessins, mais de leur style; il me faisait penser à celui d'Alcatena, vous voyez de qui je parle? Ce n'est pas une grande star de la BD (du moins dans notre pays), mais sa manière est immédiatement reconnaissable.
L'histoire, c'était celle d'un jeune primate à problèmes: apparemment, c'était un mutant né sans poils dans un peuple de grands bipèdes velus, et il avait trouvé pour se fondre dans la masse une idée astucieuse: il s'était confectionné un costume complet d'anthropoïde, un épais matelas de poils qui dissimulait ce qui passait, dans ce peuple, pour des difformités - la BD ne le montrait jamais en entier au naturel (par des astuces de cadrage), mais on devinait que son apparence devait être proche de celle d'un humain "moderne". Il vivait, au sein des différentes tribus d'hominiens auxquelles il essayait de s'intégrer, des aventures qui mettaient parfois à mal son déguisement. Heureusement il rencontrait un protecteur, une massive créature à l'apparence de grand gorille, qui semblait en savoir plus que quiconque sur la nature et la destinée des hominiens. Dans l'épisode final, le "masque" du héros était mis définitivement hors d'usage; son mentor faisait alors un geste inattendu: il ôtait le sien, de masque (il en portait donc un? plot twist! on ne voyait pas tout de suite ce qu'il y avait dessous) et le tendait à son protégé. Le jeune homme s'en revêtait et partait pour de nouvelles aventures; le grand anthropoïde le regardait s'éloigner sans mot dire. C'est alors seulement, dans un unique dessin particulièrement soigné, qu'on découvrait les traits sans masque de ce deus ex machina: un visage humanoïde au profil étrangement allongé, rappelant un peu celui de ce pharaon Akhenaton, sur lequel la littérature populaire a produit tant d'écrits fantasmatiques. Et un récitatif final expliquait qu'après cela, ce personnage énigmatique avait choisi de faire modifier son apparence, d'abandonner la station debout en se faisant greffer des membres de quadrupède (se faisant greffer? il y avait donc quelque part un laboratoire plein de pièces de rechange, dont le récit, jusque là, ne nous avait jamais parlé?). Sous le récitatif, la dernière image le montrait sous sa nouvelle apparence, devenu une sorte de bison géant. Le texte, volontairement ambigu, suggérait que tout ceci s'insérait dans une expérience plus vaste, menée par… qui donc? des extraterrestres? encore un mystère!
Bref, la fin de l'épisode (le réveil!) laissait présager une suite.
Décidément, le scénariste des rêves use des mêmes trucs, des mêmes ficelles que tous les scénaristes.

 

 

vendredi 16 avril 2021

C'était qui, ce Topor?

Je suis né à l'Hôpital
Saint-Louis proche du Canal
Saint-Martin en trente-huit
Aussitôt j'ai pris la fuite
Avec tous les flics aux fesses
Allemands nazis SS
Les Français cousins germains
Leur donnaient un coup de main
En l'honneur du Maréchal
Pour la Solution Finale
Bref je me suis retrouvé
En Savoie chez les Suavet
Caché près de Saint-Offenge
En attendant que ça change
Je n'avais qu'un seul souci
Celui de rester en vie
Après la Libération
J'avais encor l'obsession
D'arriver jusqu'à dix ans
Ensuite il serait bien temps
De réclamer un peu plus
Si j'échappais aux virus
Cette période historique
M'a insufflé la Panique
J'ai conservé le dégoût
De la foule et des gourous
De l'ennui et du sacré
De la poésie sucrée
Des moisis des pisse-froid
Des univers à l'étroit
Des staliniens et des bouddhistes
Des musulmans intégristes
Et de ceux dont l'idéal
Nie ma nature animale
A se nourrir de sornettes
On devient pire que bête
Je veux que mon existence
Soit une suprême offense
Aux vautours qui s'impatientent
Depuis les années quarante
En illustrant sans complexe
Le sang la merde et le sexe.

Topor
(Un Beau Soir, Je Suis Né En Face De L'Abattoir


Que pourrait-on ajouter à ce résumé absolument parfait, sinon qu'en ce moment l'absence de Topor se fait cruellement sentir? Roland Topor, né à Paris, le 7 janvier 1938, et mort dans la même ville, le 16 avril 1997, est un illustrateur, dessinateur, peintre, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur et cinéaste français, nous apprend Wikipédia. On pourra sûrement en apprendre plus sur Wikipéchat (le jour où elle montrera le bout de son museau: pour le moment elle doit se cacher sous un meuble, cette bestiole), car "il y a bien trente-six sortes de chats, des p'tits, des gros, des angora, mais y'a qu'une Wikipé, c'est Wikipéchat".

mardi 13 avril 2021

En attendant le paon de jour

 

Lettre ouverte à l’Observer

Monsieur le Directeur,          


Aucun de vos lecteurs ne vous a-t-il signalé la rareté des papillons cette année? Dans cette région où habituellement ils abondent, je n’en ai vu aucun, à l’exception de quelques essaims de papilioninés. Depuis mars, je n’ai observé jusqu’à présent qu’un seul zygène, aucune æthère, très peu de thécles, une chélonie, aucun paon de jour, aucun catocale, pas même une cucullie argentée dans mon jardin qui, l’été dernier, était plein de papillons.
Je me demande si ce phénomène est général, et, dans l’affirmative, à quoi il est dû?

         M. Washbourn
     Pitchcombe, Glos.


Cette lettre, dont je ne peux absolument pas en aucune façon n'insistez pas vous garantir l'authenticité, est citée dans Marelle, de Julio Cortazar - vorace lecteur, comme vous le savez (je ne saurais vous dire s'il a fouillé avec méthode les archives de l'Observer, ou s'il en a trouvé un vieux numéro coincé dans un carton de bouquiniste entre deux numéros de l'Illustration)  mais aussi écrivain adepte d'un humour pince-sans-rire. Qu'il l'ait trouvée toute faite quelque part ou bricolée lui-même, la transcription de cette liste de papilionidés (ne pas confondre les papilionidés, qui sont une famille - nombreuse - de l'ordre des lépidoptères, avec les papilioninés, qui sont une sous-famille de cet ordre) a dû lui procurer un excellent moment de détente dans la composition ardue de Marelle.
Ma contribution au débat: moi non plus, je n'ai vu jusqu’à présent ni paon de jour, ni catocale ni cucullie argentée. On n'est qu'en avril, attendons avec confiance le joli mois de mai.
 

Julio Cortázar, Marelle, chapitre 146
(Rayuela, Emecé, 1963),
traduit de l’espagnol
par Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset,
Gallimard, 1966.
Du monde entier, Gallimard 1967 
 L'Imaginaire (n° 51), Gallimard 1979

dimanche 4 avril 2021

Les couleurs du temps

 

Surprise cette nuit: tous les extra-terrestres ont changé de couleurs!
Les petits jaunes sont devenus gris-mauve, les longs verts parme et pourpre… et non seulement cela, mais leurs couleurs sont devenues plus vives, plus profondes… chatoyantes (pardon pour ce cliché). Je me demande si c'est l'annonce d'un changement d'ère, d'une sorte de printemps galactique? Ou ma perception des couleurs qui évolue avec le temps qui passe?

 

 

jeudi 1 avril 2021

Florilegium scientificum

 

Il me semble qu'autrefois il y avait une sorte de coutume attachée au premier avril: on faisait des crêpes, ou quelque chose comme ça……
Ah non, ça me revient: on soumettait les nouvelles du jour à un fact-checking (on n'employait pas encore ce mot) particulièrement poussé. Pourquoi ce jour-là et pas un autre, me direz-vous?
Ma foi, sans doute que, comme pour les crêpes ou les galettes, ça n'aurait pas le même goût si on en faisait tous les jours… 


Alors, après les florilèges du capitaine Kidd, un autre florilège composé, il y a quelque temps, celui-ci, par Kwarkito (merci Kwarkito!):
«Mais revenons à ce qui se disait il y a à peine trois semaines : "Un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie", s’émerveillait le président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand. Deux semaines après un article très commenté de France-Inter, c’est le Parisien  qui, en amont du conseil de défense sanitaire de ce mercredi 24 février, relaie les louanges de la macronie sur l’étonnante expertise scientifique accumulée par le chef de l’Etat ces derniers mois. "Il va finir épidémiologiste", commentait déjà un ministre auprès de France-Inter début février, vantant sa décision de ne pas reconfiner le pays malgré la pression des experts sanitaires, et bien sûr sans consulter les institutions républicaines de la représentation citoyenne (Assemblée nationale, Sénat...). "Macron s’est tellement intéressé au Covid qu’il peut challenger les scientifiques", renchérissait un conseiller élyséen auprès de la radio publique.»
 

Un autre souvenir me revient: il y a quelques années de ça, il était possible de deviner, rien qu'en le lisant et sans regarder l'URL, si un titre d'article provenait du Gorafi ou d'un de ces journaux qu'on dit "sérieux".
Mais ça devient de plus en plus difficile.
Reconfinement – Le gouvernement se donne encore 8 jours pour savoir s’il aurait fallu faire quelque chose il y a 3 semaines
Honnêtement, cet article semble nettement moins farfelu que ceux mentionnés par Kwarkito, non?

 

Note ajoutée le 10/04: Vous allez bien rire: Frédéric Lordon, partant de la même constatation désabusée, la développe plus longuement et plus savamment (en appelant en renfort Gramsci et Kant, et en l'illustrant de maint exemple édifiant) dans un billet (07/03/21) du Monde Diplo.