Rise, and walk with me |
samedi 31 décembre 2011
Rise, and walk with me
vendredi 23 décembre 2011
C'est arrivé, mais on n'en a rien su, ou la juste distance: Morse, 3
Ce billet est le troisième d'une série de notes consacrées à Morse: ça commence ici et ça continue là.
Cette histoire s’est passée il y a vingt-cinq ans et on n'en a rien su. Elle n'a pas fait, comme on dit, de bruit.
Seulement des bruits feutrés. Il y a des tas de choses dans la bande-son de Morse qu'on risque de rater (un peu de la même façon, si on cligne des yeux au mauvais moment, on risque de rater, dans la courte séquence où la réceptionniste de l'hôpital se précipite dans la rue enneigée à la recherche de la bizarre petite fille qu'elle vient de voir s'enfuir pieds nus, un détail à l'arrière-plan de l'image: une minuscule Eli qui, derrière la garde qui lui tourne le dos, grimpe comme un gecko le long de la façade de verre) si on est un instant distrait par le bavardage de son voisin.
Tapotement de doigts légers, sur un bureau, sur une épaule... air sans paroles, fredonné si bas qu’on l’entend à peine sortir d’une bouche fermée d’enfant, et qui suffit pourtant à faire naître sur le visage d’un vieillard le seul sourire qu’on lui verra de tout le film... pièces de monnaie tombant dans la neige des poches du pantalon d’un homme pendu par les pieds... sang coulant goutte à goutte d’un entonnoir dans un jerrican.
Chacun de ces bruits imperceptibles prend dans la bande-son la place exacte qui lui revient.
C’est à juste titre que dans les bonus du DVD le réalisateur rend hommage aux preneurs et aux éditeurs de son de Morse (Mikaël Brodin, Christoffer Demby, Maths Källqvist, Jonas Jansson, Patrik Strömdahl, Per Sundström; applaudissez.) C'est une bande-son d'une rare sensibilité, qui nous place au plus près des acteurs. Si près qu'on peut sentir s'ils ont froid.
Cette histoire s'est passée juste à côté de nous, juste à portée de voix chuchotée, pas plus loin que n'ont roulé les petites choses, pastilles de menthe et lucky pennies, qui sont tombées un jour de nos poches et que nous n'avons jamais revues, à portée du bout de nos doigts comme l'étaient toujours ces voitures miniatures dont nous avons un jour refermé le capot pour ne plus jamais le rouvrir, remplacées qu'elles avaient été dans notre affection par des machines à faire du bruit.
Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.
Touts droits réservés pour l'image illustrant ce billet.
dimanche 18 décembre 2011
La petite mort(e): Morse, 2
Nous n'avons pas réussi à nous faire peur avec le précédent billet sur Morse, et il est probable que nous n'y parviendrons pas avec le prochain non plus. Alors, offrons-nous au moins, dans celui-ci, un frisson délicieux: celui de citer Baudrillard (c’est cool pour parler d’un film de vampires, non?)
"Pourtant il est une exclusion qui précède toutes les autres, plus radicale que celle des fous, des enfants, des races inférieures, une exclusion qui les précède toutes et qui leur sert de modèle, qui est à la base même de la “rationalité” de notre culture: c’est celle des morts et de la mort.
Des sociétés sauvages aux modernes, l’évolution est irréversible: peu à peu les morts cessent d’exister. Ils sont rejetés hors de la circulation symbolique du groupe. Ce ne sont plus des êtres à part entière, des partenaires dignes de l’échange, et on le leur fait bien voir en les proscrivant de plus en plus loin du groupe des vivants, de l’intimité domestique au cimetière, premier regroupement encore au coeur du village ou de la ville, puis premier ghetto et préfiguration de tous les ghettos futurs, rejetés de plus en plus loin du centre vers la périphérie, enfin nulle part comme dans les villes nouvelles ou les métropoles contemporaines, où rien n’est plus prévu pour les morts, ni dans l’espace physique ni dans l’espace mental.
Même les fous, les délinquants, les anomaliques peuvent trouver une structure d’accueil dans les villes nouvelles, c’est à dire dans la rationalité d’une société moderne - seule la fonction-mort ne peut y être programmée ni localisée. A vrai dire, on ne sait plus quoi en faire. Car il n’est pas normal d’être mort, et ceci est nouveau. Etre mort est une anomalie impensable, toutes les autres sont inoffensives en regard de celle-ci. La mort est une délinquance, une déviance incurable. Plus de lieu ni d’espace/ temps affectés aux morts, leur séjour est introuvable, les voilà rejetés dans l’utopie radicale - même plus parqués, volatilisés. Mais nous savons ce que signifient ces lieux introuvables: si l’usine n’existe plus, c’est que le travail est partout - si la prison n’existe plus, c’est que le séquestre et l’enfermement sont partout dans l’espace/ temps social - si l’asile n’existe plus, c’est que le contrôle psychologique et thérapeutique s’est généralisé et banalisé - si l’école n’existe plus, c’est que toutes les fibres du procès social sont imprégnées de discipline et de formation pédagogique - si le capital n’existe plus (ni sa critique marxiste), c’est que la loi de la valeur est passée dans l’autogestion de la survie sous toutes ses formes, etc, etc. Si le cimetière n’existe plus, c’est que les villes modernes tout entières en assument la fonction: elles sont villes mortes et villes de mort."
Jean Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, pp 195-196, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard 1976.
Merci, Monsieur Baudrillard, de nous avoir aidés à comprendre comment Eli et Oskar vont réussir à survivre dans les badlands dans lesquels il s'enfoncent à la fin du film. Ils seront morts sans doute, mais à la différence des autres, ils sauront qu'ils le sont.
Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.
jeudi 15 décembre 2011
Vaisseaux emplis d'un liquide sombre: Morse, 1
dimanche 11 décembre 2011
En attendant la langue universelle
jeudi 1 décembre 2011
Un de plus!
jeudi 24 novembre 2011
Que faire à Wall Street quand toutes les attractions habituelles sont fermées?
mercredi 23 novembre 2011
All the lonely softwares, where do they all belong?
vendredi 18 novembre 2011
Les correcteurs orthographiques rêvent-ils qu'on leur lance des balles?
jeudi 17 novembre 2011
My timey whimey detector goes "ding" when there's stuff
samedi 5 novembre 2011
Tunnel (signalisation, 1)
mardi 25 octobre 2011
La science des rêves, ou le pince-mains
vendredi 7 octobre 2011
Les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal (Primo Levi: Poeti)
*L'ouvrage publié sous la direction de Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos, Primo Levi à l'œuvre: la réception de l'œuvre de Primo Levi dans le monde apporte une précision sur l'origine de ces textes: "[…] deux récits ("Dialogue entre un poète et un médecin" et "Songe fugace") qui avaient été omis dans l'édition de Lilith puisque, faisant allusion à Leopardi et à Pétrarque, ils s'adressaient surtout au public italien". Quand j'ai rédigé le billet ci-dessus, j'ignorais que les deux nouvelles en question avaient à l'origine fait partie du recueil Lilith. Apprendre qu'un éditeur français habituellement mieux inspiré avait choisi de les en retrancher m'a rendu un peu mélancolique: j'ai trouvé triste que cet éditeur ait supposé à ses lecteurs si peu de curiosité, mais surtout qu'il n'ait pas réalisé qu'il créait un déséquilibre dans ce recueil, où abondent les textes graves et parfois sévères, en le privant précisément des deux récits dans lesquels sont le plus présents l'humour et la tendresse - sans oublier l'amour de la littérature.
Les mots ne lui manquaient pas pour décrire son mal (Primo Levi: Poeti)
*L'ouvrage publié sous la direction de Philippe Mesnard et Yannis Thanassekos, Primo Levi à l'œuvre: la réception de l'œuvre de Primo Levi dans le monde apporte une précision sur l'origine de ces textes: "[…] deux récits ("Dialogue entre un poète et un médecin" et "Songe fugace") qui avaient été omis dans l'édition de Lilith puisque, faisant allusion à Leopardi et à Pétrarque, ils s'adressaient surtout au public italien". Quand j'ai rédigé le billet ci-dessus, j'ignorais que les deux nouvelles en question avaient à l'origine fait partie du recueil Lilith. Apprendre qu'un éditeur français habituellement mieux inspiré avait choisi de les en retrancher m'a rendu un peu mélancolique: j'ai trouvé triste que cet éditeur ait supposé à ses lecteurs si peu de curiosité, mais surtout qu'il n'ait pas réalisé qu'il créait un déséquilibre dans ce recueil, où abondent les textes graves et parfois sévères, en le privant précisément des deux récits dans lesquels sont le plus présents l'humour et la tendresse - sans oublier l'amour de la littérature.
lundi 19 septembre 2011
Une planète rebelle
Nous allons nous poser sur Tattooine en manuel:
attention, ça risque de secouer.
Dans un article de la revue Science (vol. 333, no 6049, 16 septembre 2011, pp. 1602-1606: "A Transiting Circumbinary Planet"), un groupe de chercheurs du laboratoire de la NASA l'Ames Research Center, nous fait part de sa surprise: les données transmises par l'observatoire orbital Kepler établissent l'existence, à deux cents années-lumière de chez nous, d'une planète orbitant autour de deux étoiles jumelles.
Les deux sœurs s'appellent officiellement, l'une (une naine orange, des deux-tiers de la masse du Soleil) Kepler 16-A, l'autre (une naine rouge, d'un cinquième de la masse du Soleil) Kepler 16-B, et leur compagne commune (une géante gazeuse, un peu plus petite que Saturne) Kepler 16-b (avec un petit b).
Un article du New York Times précise, pince-sans-rire, que, tout à fait officieusement, lesdits chercheurs ont surnommé cette planète Tattooine, vous devinez pourquoi. Mais la jovialité de ces astrophysiciens ne parvient pas à masquer leur trouble: alors qu'une modélisation mathématique avait de longue date confirmé la possibilité théorique de l'existence de tels systèmes planétaires, ces modèles supposaient à l'orbite d'un corps céleste comparable à Kepler 16-b un demi-grand axe au minimum deux fois supérieur à celui, mesuré grâce aux données fournies par Kepler, de l'orbite de la surprenante planète: faute de quoi -disait la théorie - c'était le crash assuré. Wikipedia, jamais en reste, nous en parle plus sobrement: "cette planète orbite autour du barycentre des deux étoiles A et B en 228,8 jours avec un demi-grand axe d'environ 0,705 UA et une inclinaison de 90,0322° par rapport à la ligne de visée".
Bref: cette grosse boule est beaucoup trop près de ses deux petits soleils, comment fait-elle pour leur coller au train de la sorte? Le docteur Sara Seager du M.I.T. est inquiète: “this planet broke the rule”, a-t-telle déclaré au New York Times, cette planète a enfreint la loi.
On comprend son inquiétude.
Que ne doit-on craindre en effet pour cette planète rebelle, à présent que l'Empire connaît son existence?
L'image illustrant ce billet ne représente pas Kepler 16-b: en effet toutes les images qui existent (les photos prises par Hubble comme celles prises par Kepler, comme d'ailleurs les chatoyantes CGI réalisées par Cal Tech piur le compte de la NASA et dont l'une illustre l'article de Wikipedia) sont soumises à droits de reproduction. Et ce n'est pas non plus Tattooine (la seule, la vraie, celle où se déroulent les plus grandes courses de pods de l'univers connu): c'est juste un bidouillage de l'image d'un machin qui fait splash dans un truc qui fait fiiizzzzz. Je l'ai mis parce que je trouvais que ça faisait joli.