dimanche 18 décembre 2011

La petite mort(e): Morse, 2



Ce billet est le deuxième d'une série de notes consacrées à Morse: ça commence ici et ça continue .

Nous n'avons pas réussi à nous faire peur avec le précédent billet sur Morse, et il est probable que nous n'y parviendrons pas avec le prochain non plus. Alors, offrons-nous au moins, dans celui-ci, un frisson délicieux: celui de citer Baudrillard (c’est cool pour parler d’un film de vampires, non?)

"Pourtant il est une exclusion qui précède toutes les autres, plus radicale que celle des fous, des enfants, des races inférieures, une exclusion qui les précède toutes et qui leur sert de modèle, qui est à la base même de la “rationalité” de notre culture: c’est celle des morts et de la mort.
Des sociétés sauvages aux modernes, l’évolution est irréversible: peu à peu les morts cessent d’exister. Ils sont rejetés hors de la circulation symbolique du groupe. Ce ne sont plus des êtres à part entière, des partenaires dignes de l’échange, et on le leur fait bien voir en les proscrivant de plus en plus loin du groupe des vivants, de l’intimité domestique au cimetière, premier regroupement encore au coeur du village ou de la ville, puis premier ghetto et préfiguration de tous les ghettos futurs, rejetés de plus en plus loin du centre vers la périphérie, enfin nulle part comme dans les villes nouvelles ou les métropoles contemporaines, où rien n’est plus prévu pour les morts, ni dans l’espace physique ni dans l’espace mental.




à vrai dire, on ne sait plus quoi en faire

Même les fous, les délinquants, les anomaliques peuvent trouver une structure d’accueil dans les villes nouvelles, c’est à dire dans la rationalité d’une société moderne - seule la fonction-mort ne peut y être programmée ni localisée. A vrai dire, on ne sait plus quoi en faire. Car il n’est pas normal d’être mort, et ceci est nouveau. Etre mort est une anomalie impensable, toutes les autres sont inoffensives en regard de celle-ci. La mort est une délinquance, une déviance incurable. Plus de lieu ni d’espace/ temps affectés aux morts, leur séjour est introuvable, les voilà rejetés dans l’utopie radicale - même plus parqués, volatilisés. Mais nous savons ce que signifient ces lieux introuvables: si l’usine n’existe plus, c’est que le travail est partout - si la prison n’existe plus, c’est que le séquestre et l’enfermement sont partout dans l’espace/ temps social - si l’asile n’existe plus, c’est que le contrôle psychologique et thérapeutique s’est généralisé et banalisé - si l’école n’existe plus, c’est que toutes les fibres du procès social sont imprégnées de discipline et de formation pédagogique - si le capital n’existe plus (ni sa critique marxiste), c’est que la loi de la valeur est passée dans l’autogestion de la survie sous toutes ses formes, etc, etc. Si le cimetière n’existe plus, c’est que les villes modernes tout entières en assument la fonction: elles sont villes mortes et villes de mort."

Jean Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, pp 195-196, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard 1976.

Merci, Monsieur Baudrillard, de nous avoir aidés à comprendre comment Eli et Oskar vont réussir à survivre dans les badlands dans lesquels il s'enfoncent à la fin du film. Ils seront morts sans doute, mais à la différence des autres, ils sauront qu'ils le sont.

TAP... TAP... TAP... TAPTAP


les voilà rejetés dans l’utopie radicale



Morse est un film suédois (2008) de Thomas Alfredson d'après un roman de John Ajvide Lindqvist.

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