jeudi 24 août 2023

On n'est que peau de choses

Vous avez bien noté, j'espère, que vous n'avez que jusqu'au 3 septembre pour vous décider à aller voir l'exposition Louis Pons "J'aurai la peau des choses" au musée Cantini, et qu'on ne sait toujours pas si, dans un avenir pas trop éloigné, on pourra revoir ailleurs tous ces dessins et assemblages?

Encore un dessin de Louis Pons.
















 Bon, si vous n'avez vraiment pas le temps, on vous offre ici une petite visite virtuelle.

Ne traînez pas: rien ne dure toujours. 



mercredi 23 août 2023

Tuer le temps

Il est temps que je rentre, le plus court chemin me fait traverser la grande place: habituellement peu fréquentée à cette heure-ci, on la traverse en quelques minutes. Mais je ne peux m'empêcher de ralentir un peu le pas, tant les rencontres qu'on peut y faire, ce soir, sortent de l'ordinaire. Une vingtaine de jeunes gens marchent de long en large, n'ayant apparemment rien d'autre à faire que tuer le temps en attendant... quoi? J'essaie de deviner. Tous en uniforme, des uniformes neufs et d'une coupe moderne sinon même futuriste, en tous cas différents de ceux qu'on portait de mon temps. Des permissionaires?
Plusieurs portent en outre des minerves de plastique blanc, si discrètes qu'on les remarque à peine; il y en a au moins un dont l'avant-bras repose dans une gouttière, aussi de plastique blanc; en dépit de leur jeune âge et de leur air timide, auraient-ils déjà vu de l'action, comme on dit? Ce n'est pas impossible, il me semble que j'ai entendu parler d'une sorte de guerre, quelque part. Nous vivons une époque où il ne faut s'étonner de rien.
Presque tous, ils ont à la main des cornets de glace. Ça me fait envie: où vais-je pouvoir en trouver un, de cornet de glace? Pas de triporteur, de camionette ou de baraque de marchand de glaces en vue.

dimanche 20 août 2023

Prétendre, disent-ils (Antonio Tabucchi, 15)

Et alors il eut la magnifique idée
de faire une brève rubrique
intitulée "Éphémérides".
Antonio Tabucchi

Ça ne vous a sans doute pas échappé, lecteurs attentifs: j'aime bien Antonio Tabucchi. Au point de lui emprunter de temps en temps un rêve, et parfois (un rendu pour un prêté) de lui en prêter un.
Le dernier rêve emprunté appartenait, théoriquement, à Pereira, le protagoniste (?) ou du moins celui qui prétend beaucoup de choses, si l'on en croit le fonctionnaire tatillon qui aurait rédigé un rapport sur lui,  à ce que prétend Tabucchi dans un roman de 1994. L'histoire se passe en 1938, sous une dictature; le dictateur s'appelle Salazar, parce qu'on est au Portugal. Pereira tient la rubrique culturelle d'un quotidien qui a reçu pour mission de rappeler - quotidiennement, puisque c'est un quotidien - à ses lecteurs la chance qu'ils ont de vivre au Portugal, et d'être gouvernés par un homme fort. C'est ainsi que Pereira est passé maître dans l'art de tourner sept fois sa plume dans son encrier avant d'écrire quoi que ce qoit.

Il ne savait que faire, et il était presque midi. L'idée lui vint de manger son sandwich à l'omelette, mais il était encore trop tôt. C'est alors qu'il se souvint de la rubrique "Éphémérides", et il se mit à écrire. "Il y a déjà trois ans que le grand poète Fernando Pessoa disparaissait. De culture anglaise, il avait choisi d'écrire en portugais, parce qu'il soutenait que sa patrie était la langue portugaise. Il nous a laissé de très belles poésies dispersées dans des revues et un petit poème, Message, l'histoire du Portugal vue par un grand artiste qui aimait sa patrie." Il relut ce qu'il avait écrit et trouva cela répugnant, oui, c'est le mot, répugnant, prétend Pereira. Il jeta donc le feuillet dans la corbeille et il écrivit: "Fernando Pessoa nous a quittés il y a trois ans. Bien rares sont ceux qui se sont rendu compte de son existence. Il a vécu au Portugal comme un étranger, peut-être du fait qu'il était partout un  étranger. Il vivait seul, dans de modestes pensions ou dans des chambres de location. Ses amis se souviennent de lui, ainsi que les initiés, et ceux qui aiment la poésie".
Puis il prit son sandwich à l'omelette et mordit dedans.

Et maintenant (depuis 2016! désolé de ne pas vous l'avoir dit plus tôt, je n'ai lu l'album que récemment) on peut aussi lire Pereira prétend en bande dessinée. Que vous connaissiez déjà le livre ou pas, l'album mérite plus qu'un coup d'œil. Vous avez remarqué? Les adaptations de romans en bandes dessinées pullulent ces derniers temps. De certaines de ces adaptations (je ne balance pas de noms) on aurait pu se dispenser. Mais à dessiner celle-là, il me semble que l'adaptateur a bien employé son temps. Que savons-nous de cet adaptateur, Pierre-Henry Gomont? Dans son communiqué de presse, l'éditeur, Sarbacane, prétend qu'il est né en 1978, qu'il a dessiné en 2011 son premier album, Kirkenes, chez Les Enfants Rouges. Puis qu'il a écrit et dessiné Catalyse, publié chez Manolosanctis. Début 2012, il aurait dessiné Crématorium chez Kstr avec Eric Borg au scénario. Puis il aurait signé un album BD remarqué avec Eddy Simon paru en 2014 chez Sarbacane : Rouge Karma. Puis Les nuits de Saturne en 2015. Il vit et travaille à Bruxelles. L'interrogatoire de Wikipédia ne nous en apprend pas beaucoup plus (enfin si: en 2020 il a eu une fuite de cerveau, et en 2022 il a fait une chute, tout ça chez Dargaud; et il a eu des prix!).


Il y a quelque chose dans la palette, volontairement limitée, utilisée par Pierre-Henry Gomont pour cet album qui rappelle... quoi? le fauvisme? Ça fait bizarre d'associer le mot "fauve" avec la manière dont est racontée l'histoire du timide (?) Pereira... mais le dessin et la couleur de Gomont mettent en évidence une chose à côté de laquelle on peut passer quand on se laisse bercer par le rythme paisible de la prose de Tabucchi: que Pereira vit dans une ville au climat héroïque. À Bruxelles où travaille Gomont, on regarde souvent le ciel, parce qu'il est plein de nuages tout crémeux, tout doux aux yeux, et  qui changent tout le temps; les différences entre le climat du Portugal et celui de la Belgique ont dû faire impression sur Gomont, il écrase ses vues d'une Lisbonne vêtue de camaïeux d'ocres douillets et autres tons pastel sous des ciels en à-plats d'un bleu très dur. Le décalage souvent vertigineux entre les événements qui se passent sous le nez de Pereira et la façon dont il y réagit se laisse deviner dans la BD, à travers de petits artifices tels que celui-ci, ou encore les changements d'ambiance entre extérieurs et intérieurs, les rares irruptions d'à-plats noirs à des moments dramatiques.
Se souviendra-t-on de Pereira comme d'un héros discret, ou seulement comme d'un gros monsieur qui commandait tous les jours des sandwiches à l'omelette? Vous avez le choix entre un roman et une BD pour vous aider à répondre à cette question (personnellement je vous recommande les deux).

Antonio Tabucchi: Pereira prétend
(Sostiene Pereira, Feltrinelli, 1994),
traduction de Bernard Comment,
Christian Bourgois Éditeur, 1995;
et 10/18, 1998, ISBN 2264024585.

Pierre-Henry Gomont (d'après Antonio Tabucchi):
Pereira prétend
Sarbacane 2016
ISBN-13 ‏  ‎ 978-2848659145 

samedi 19 août 2023

Quand un océan prétend ressembler à une piscine

 Pereira s’endormit presque tout de suite. Il fit un beau rêve, un rêve de sa jeunesse, il était sur la plage de la Granja et il nageait dans un océan qui ressemblait à une piscine, et au bord de cette piscine se trouvait une jeune fille pâle qui l’attendait avec un essuie-mains entre les bras. Puis il revenait de sa baignade et le rêve continuait, c’était vraiment un beau rêve, mais Pereira préfère ne pas dire comment cela continuait, parce que son rêve n’a rien à voir avec cette histoire, prétend-il.

Antonio Tabucchi, Pereira prétend (Sostiene Pereira, 1994),
Traduction de Bernard Comment,
Christian Bourgois Éditeur, 1995.


mardi 15 août 2023

Tonight's the night to knight knights

 Chez nous, la nuit du 4 août, on célèbre l'anniversaire de l'abolition des privilèges. Enfin... c'est ce que j'ai entendu dire autrefois: cette année, les célébrations ont été plutôt discrètes, il me semble; les privilèges à abolir, ce ne serait donc plus d'actualité?

Et dans les royaumes imaginaires, ces fameux pays imaginaires où il nous semblait l'autre jour que l'horizon était plus dégagé que par ici, que célèbre-t-on à une date consacrée? Hé bien, the Night to Knight Knights (ça sonne bien, non?), on la célèbre dans le Royaume (le Royaume tout court: on ne lui donne pas d'autre nom), celui où vivent Ballister Boldheart, Ambrosius Goldenloin... 

et Nimona.

Hé oui, Nimona s'en sort toujours, ça s'est vérifié une fois de plus. Si vous voyez de quoi je parle, ça veut dire que vous êtes allé regarder (c'est sur Netflix depuis le mois dernier) à quoi ressemblait cette fameuse adaptation animée de Nimona dont je vous ai rebattu les oreilles. Alors? Ça vous a plu?
The Night to Knight Knights, et le drame qui se déroule pendant cette nuit fatidique, ça fait partie des nombreux petits changements qui ont été apportés à l'histoire que vous avez pu lire dans les versions webcomic ou papier. Pour tenir dans une heure (et quelques) de vidéo, le récit a été allégé de pas mal de péripéties,  et différents artifices le font avancer à cent à l'heure; le personnage de Goldenloin (qui dans la BD était au départ une simple silhouette un peu ridicule) a été rendu plus complexe et plus sympathique: dans la BD, les circonstances qui avaient valu à Ballister de perdre son bras étaient laissées un peu dans le flou, dans le film elles sont précisées, et on répond enfin à la question: Goldenloin l'a-t-il fait exprès, ou pas? La réponse est : il l'a fait exprès sans le faire exprès, ça a l'air idiot si on le dit comme ça mais dans le contexte c'est logique. La présence de technologies avancées dans une société qui garde une structure féodale s'explique par le passage d'un millénaire entre l'instant fondateur et le présent*. C'est d'ailleurs d'une actualité troublante: des sociétés qui se prétendent tournées vers le futur, en restant attachées à une mythologie nationale vieille de mille ans ou plus...  ça ne vous rappelle rien?
Le dessin est moins anguleux que dans le comic, plus rond, plus "Blue Sky", quoi; l'animation est fluide et les couleurs, chatoyantes, ont été l'objet d'une attention spéciale; les character designers, les dialoguistes et les doubleurs se sont donnés à fond; s'ils avaient fait tout ça pour rien (comme on a pu le craindre un moment), ç'aurait été un beau gâchis. Ceux qui l'ont vu en avant-première ont été ravis (il y a un florilège de critiques sur Cartoonbrew), et les abonnés de Netflix aussi.
Bref, Nimona le film est plutôt une bonne adaptation: les meilleures adaptations, ce sont en général celles qui ne cherchent pas à coller de trop près au matériau original, on l'a vu avec The Princess bride, Le Guépard, L'illusioniste, Le Prestige, la liste peut être longue, n'hésitez pas à proposer des exemples (et des contre-exemples si vous en trouvez).
J'aimerais bien que ça sorte en DVD, pour que je puisse me le repasser dans tous les sens quand je voudrai! Mais ça, avec Netflix, c'est une autre histoire.

*oui, ça laisse sans réponse la question: qu'a fait Nimona pendant tout ce temps? Les cartésiens pourraient appeler ça un plothole. À ces cartésiens on répondra comme pourrait le faire Nimona: reprends donc de la pizza.


lundi 14 août 2023

L'époque que chantent les chattes

 Vous avez, je n'en doute pas, fêté à la date fixée par les instances supérieures concernées par ces questions (le 8 Août) la Journée Internationale du Chat (peut-être en organisant une soirée sandwiches au thon?); mais savez-vous que plusieurs pays ont repris à leur compte la même idée, en choisissant, chacun, une date locale? Aux États-Unis, le National Cat Day (ne pas confondre avec le Caturday) est fêté le 29 Octobre. Pour l'Italie la Festa del Gatto est le  17 Février. En Russie, c'est le 1er Mars. Au Japon, le Jour du Chat (猫の日, neko no hi) tombe le 22 Février (2月22日), car 222 se prononce ni ni ni: à l'oreille, ça sonne un peu comme nyan nyan nyan (にゃんにゃんにゃん), ce qui, traduit du japonais, veut dire miaou miaou miaou.
En de telles matières, les japonais sont toujours de bon conseil.
Ne conviendrait-il pas (en ces heures où la France cherche à réaffirmer, sur la scène internationale, sa volonté de s'impliquer dans les grandes questions du moment), d'ajouter à cette liste de célébrations une Journée Nationale du Chat bien de chez nous? Et pour cela, pourrait-on choisir, dans toute l'année, meilleur moment que la Mi-Août?

 

mardi 1 août 2023

Real treasures (the friends we made along the way)

Un nouveau mois commence: essayons d'y entrer du bon pied. Voyons si, quelque part, l'horizon s'éclaircit... Ah mais oui, quelques trouées dans les nuages, mais assez loin d'ici, du côté des mondes imaginaires.

Vous vous en souvenez, il y a quelques années (à propos de "Valérian et Laureline"),  Phersv et  votre serviteur étaient tombés à peu près d'accord sur une formule pas trop compromettante:
"Pour faire court, ce n'est pas si mal". 

Le nouveau film D&D (Donjons & Dragons : L'honneur des voleurs) n'est pas exempt de défauts, mais si on le juge pour ce qu'il est: une transposition un peu ironique de ce qui se passerait sur un plateau de jeu si on prêtait vie à toutes les figurines, petites et grosses (ce n'est pas si facile: pour lancer un sort pareil et le faire durer deux heures, quarorze minutes, et pas une minute de moins, il faut être au moins niveau 25),  et non pas, surtout pas, une saga-de-fantasy-qui-se-prend-au-sérieux comme on en produit maintenant à la chaîne,  on s'amuse bien devant l'écran. Je dirai donc cette fois:
"Pour faire court, ce n'est pas mal du tout";
un peu plus téméraire en cela que Phersv, qui se demande carrément... pourquoi il a aimé. Mais après avoir fait quelques réserves, comme on pouvait s'y attendre, Phersv en parle bien (et en bien).

Et il n'est pas le seul. Que dit, par exemple, Laurent Kloetzer?
"...nous autres, les rôlistes, aimons en particulier certains films, qu'on qualifierait volontiers de "films de rôlistes" : qui mettent en scène une bande de personnages héroïques, un peu décalés parfois, qui échangent entre eux des blagues méta sur ce qui se passe et construisent des plans improbables qui parfois échouent - mettons Chevalier, ou Les Goonies, ou Princess Bride, ou la série The Expanse... Je suis sûr que vous en trouverez plein d'autres dans vos mémoires."  Cedric Ferrand évoque, lui, les Gardiens de la Galaxie. On pourrait aussi suggérer le Starship Troopers de Verhoeven, construit comme un film de propagande pour le recrutement et adoptant en surface les codes du film de guerre: en résumé, tous ces films, si on s'arrête à leur premier degré, on rate quelque chose. 

En fait, tous ceux qui font partie du public-cible de ce film (Phersv, Imaginos, Laurent Kloetzer, Cedric Ferrand... et  votre serviteur)  sont allés le voir "un peu à reculons", échaudés par les affligeantes tentatives précédentes (Profion, que ton nom ne soit plus!). Et tous, ou peu s'en faut, en sont ressortis en esquissant des pas de danse et en grattant des instruments à cordes imaginaires.  Moi-même, regardez-moi bien: ne suis-je pas en train de danser avec grâce et de tirer des sons harmonieux de mon luth?   (mille pets de dragon, ne me déconcentrez donc pas pendant que je lance ce sort que j'ai eu un mal fou à mémoriser!).