lundi 8 septembre 2014

Wimbledon Green: un type épatant



Seth appears innocent, but 
looks can be deceiving. 
Lemony Snicket

The whole thing was just meant 
to be fun. 
Seth

Qui se souvient de Lester Moore? Je veux dire, qui s'en souvient autrement que comme d'une note en bas de page de l'histoire des comics? Pendant sa (relativement) longue carrière, il a touché à un peu tous les genres, s’effaçant souvent derrière des artistes plus prestigieux, et quand son nom apparaissait dans les crédits d’un numéro, c’était souvent à un rang modeste, comme encreur ou lettreur, sans compter ses contributions non créditées de co-scénariste.

Quelqu’un qui n’a pas oublié Lester Moore, c’est Wimbledon Green.

Quand Green en parle, c'est avec une émotion visible. C’est dans son éloge de Moore que, sans doute inconsciemment, il livre le plus de lui-même.
Un drôle de pistolet, Wimbledon Green, personnage central d’un one-shot de Seth à la présentation luxueuse. S’il lui en prenait la fantaisie, il pourrait se décrire en usant des mêmes termes qu’Edward Lear dans son autoportrait: "sa forme est parfaitement sphérique".
On pourrait le croire sorti des pages d’un strip d’Otto Soglow ou d’Alain Saint-Ogan.


Un album sous cartonnage éditeur vert anglais,
fers dorés à l'or fin sur le premier plat,
coins extérieurs arrondis.

L’auteur de la préface, un expert contemporain en comics, Seth, se montre très sévère à propos de l’apparence de Wimbledon Green: "… il est clair que ce travail est à l’état de brouillon; dessin médiocre, lettrage approximatif, composition de la page et narration simplistes. Tout a été fait dans l’esprit du «passable». Les personnages sont grossiers et caoutchouteux… tous faits de bulles et de tubes… "
Hé bien, voilà Wimbledon Green rhabillé pour l’hiver, il n’aura pas à puiser dans sa collection de chapeaux et de macfarlanes! Le pointilleux critique est plus sévère envers Wimbledon Green que les rivaux ou les partenaires en affaires du célèbre collectionneur, dont certains, pourtant, ont des réserves à formuler sur l’éthique professionnelle de Green: aucun ne lui reproche la tubularité des ses bras et jambes, aucun ne lui tient rigueur de sa sphéricité (il est vrai que la plupart présentent les mêmes traits physiques).

Arnold, de Tomorrow’s Heroes, Harvey Epp, du Comics Cellar, Sammy du staff de la MightyCon, Toby, de Bag-It, Doc "Scarcity" Brown, expert, Peter, de The Beguiling (qui a recueilli les confidences de Harry, de Now and Then Books), Andy (ancien collaborateur de Fat Frank à Comicopolis), Al, de Comic Crypt,  Tony, de Cosmos Comics,  Danny, de More Fun Comics and Cards, Nat, de Pulp City Comics, Tom, de Comic-Boy CA, Bill de It’s in the bag Comics, Captain Jack, fondateur de la WinniCon, tous ont accepté de fournir leur témoignage sur Green, bien que parfois avec des réticences.
Il se pourrait que Ronnie Cox, de Big Prairie Comics, en sache plus qu’il ne veut bien en dire: on aurait pu s’attendre à ce qu’il se montre plus affirmatif quant à l’identité du Grand Collectionneur. Après tout, il a été une des rares personnes à avoir été en affaires avec l’élusif Don Green, qui, après des débuts sans éclat dans le commerce des comics d’occasion, pourrait bien être revenu sur le devant de la scène du comicdom en assumant la flamboyante persona de Wimbledon… ou peut-être pas?
Les avis des membres fondateurs du club Coverloose ("Cuts" Coupons, Nelson Bindle, Daddy Oats, "Doc Astro" - alias Dicky Drawers -, Chip Corners, Wax Coombs, Pulpy Wise,  Ashcan Kemp, R. Saddlestitch, et "Very Fine" Findley - titulaire de la carte de membre n° 38 - le successeur de Coupons au poste de président), sur ce point, sont partagés.


Le majordome de Green, Roofings Hatch, se montre assez bavard, mais sans apporter d'éléments réellement substantiels à l'enquête.
Son chauffeur (et pilote de gyrocoptère), Dozo, se refuse à toute déclaration.
Sa fidèle assistante, Ms. Flatiron, n’a pu être jointe.

H. Arbor Grove a tenu à faire une petite mise au point: il n’a rien à voir dans tout ça.

Même le fantôme de Wilbur Webb sera invoqué, et, pas plus que celle du fantôme dans Rashômon, son apparition ne dissipera le mystère.

Car - oh, serait-il possible que j'aie oublié de le mentionner? L'histoire de Wimbledon Green comporte une part de mystère. Et la présentation de l'album, sous forme d'"interviews" entrecoupés de "documents", est justifiée par le fait qu'il s'agit d'une enquête. Une enquête sur les zones d'ombre de la vie de Wimbledon Green.


Un des mystères non résolus
de la vie de Green.

De ces zones d’ombre, une grande part subsistera quand la dernière page sera tournée.
Une confidence de Wimbledon Green, pourtant, laisse entrevoir que le grand homme n’a pas toujours été ce spécialiste universellement reconnu qui excite la jalousie de ses pairs. Dans ses discours, on détecte parfois, au détour de quelque exégèse pontifiante, une note plaintive qui pourrait témoigner d’une insécurité bien cachée. Il ne serait pas surprenant que Green ait été un de ces teenagers mal dans leur peau qui cherchent à surcompenser leur malaise…

Vous savez, le genre de garçon pas très "populaire" qui, si par malheur il porte un nom de baptême un peu atypique, qui risque d’attirer l’attention sur lui, se hâte de l’abréger pour le rendre aussi banal que possible.

Don Green… Wimbledon Green… une chose qu’ils ont assurément en commun, c’est d’avoir connu cette période charnière où le commerce des comics de l’âge d’or est passé des mains des fans dans celles des spéculateurs.


Le dessinateur Seth.

Une période à laquelle l'auteur de ce roman graphique ne dissimule pas son attachement.
Seth nous dit qu’il s’est bien amusé tout le temps qu’a duré la réalisation de cet album; après cela, il présenterait presque des excuses pour les irrégularités d’un produit artisanal au fini un peu rugueux qui tranche sur l'éclat poli du reste de sa production. Je veux croire qu’il s’agit d’une excusable coquetterie de sa part (l’équivalent de ce que serait, pour Wimbledon Green, le geste de lisser sa moustache pour dissimuler un sourire satisfait): l’écriture de Seth dans Wimbledon Green apparaît plus brillante que jamais, la forme sert le fond.


Le critique Seth.

Une dernière remarque: le bruit court que le préfacier de l’album, Seth, expert autoproclamé en comics qui aime à se gargariser des relations qu’il cultive parmi les chouchous de la critique tels que le redondant Chris Ware, et le dessinateur Seth, l’auteur de Wimbledon Green, personnage attachant totalement et humblement dédié à l’art de la narration graphique, qui peut s’enorgueillir d’amitiés prestigieuses dans la profession telle celle, fidèle, du persévérant Chris Ware, seraient une seule et même personne. 
Pour ma part, je n’achète pas ces salades! Au physique comme au moral ils sont très différents.
Quant à ceux qui, marchant sur les brisées du regrettable Dr Fredric Wertham, soutiennent que les comics rendent schizophrène, on leur dit crotte et même re-crotte! N’est-ce pas, Tororo? - Absolument.



Drawn and Quarterly, 2006

Toutes les illustrations © Seth.

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