lundi 15 septembre 2014

Non ci si arriva facilmente




Une vallée


Il est une vallée que je garde secrète
Son accès est difficile:
Des escarpements en barrent l'entrée
Des broussailles et des gués dans des eaux rapides,
Et des sentiers effacés, à peine des traces.
Ignorée des atlas, des cartes;
J'en ai trouvé seul le chemin, 
Y passant bien des saisons,
M'égarant plus d'une fois,
Mais ce ne fut pas du temps perdu.

Je ne sais qui passa là avant moi,
Un homme seul, quelques-uns ou personne,
La question ne m'importe guère.

Les parois de roc sont gravées de signes,
Quelques-uns très beaux, tous mystérieux,
Et plus d'un non dûs à la main de l'homme.



En bas, il y a des bouleaux, des hêtres,
Plus haut, des sapins et de grands mélèzes,
Que le vent tourmente,
Voleur de pollen, quand vient le printemps,
Et que se réveillent les premières marmottes.

Et plus haut encore il y a sept lacs
D'une eau restée très pure,
Transparents et noirs, glacés et profonds.

A cette hauteur nos plantes ne croissent plus,
Mais, tout près du col, 
Il y a un arbre, un seul, florissant,
Plein de vigueur et toujours vert
Auquel personne n'a donné de nom;
C'est peut-être celui dont parle la Genèse;
Il porte des fleurs, des fruits en toute saison,
Même quand la neige fait ployer ses branches.
De son espèce il est le seul et se féconde lui-même.




Son tronc porte d'anciennes blessures
D'où pleure goutte à goutte une résine,
Amère et douce, porteuse d'oubli.


Primo Levi
Le fabricant de miroirs (Racconti e saggi, 1986)
Traduction d'André Maugé
(Liana Lévi, 1989; Le Livre de Poche, 1990)



Illustrations: Mountain Tree, photo de Frans van Liempt;
The Lawrence Tree, peinture de Georgia O'Keefe

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