mercredi 16 juin 2021

Le crépuscule des berduleux

 Hé! Vous! heures féroces,
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les radis peu véloces
Des plus beaux de nos jours!
Autant sucer pendant qu'on vole, poème végétatif
(Concombre, Œuvre potagère complète,
tome XXXII, éditions du Masque)

 

Quand j'ai émergé de la béatitude où m'avaient plongé les libations faites toute la journée du 16 en l'honneur de J. C. Oates et de Harold Bloom, ce qui m'a surpris d'abord, c'était le silence. Le soir était tombé, sans faire le vacarme habituel, et même en tendant l'oreille, je n'ai pas entendu, comme tous les soirs, l'aigre kêk-kêk des berduleux monter au-dessus des joncs. Comme si quelqu'un avait fait un trou dans l'eau, provoquant une panique générale chez les poiscails. Pantoufle à bras, me suis-je dit, ce que c'est que de nous, un son aigre nous manque et tout est dépeuplé. Et puis j'ai ouvert mon filet, et j'ai vu que ce qui manquait, en fait, c'était Mandryka.
Berdule alors, et huile à pneus.  

La presse unanime:
Mandryka était spécial.

On en parlait dans toutes les feuilles de chou. Les chroniqueurs pour une fois étaient d'accord sur un point: les aventures où pataugèrent des années durant Chourave et le Concombre eurent sur toute une génération un effet thérapeutique. J'en fis partie, des patients du Concombre. C'est grâce au justicier végétal que j'ai trouvé les mots que j'avais sur le bout de la langue pour dire aux amis bien intentionnés qui me proposaient d'aller avec eux à la pêche: "Je préfère faire la sieste". Une thérapie, je vous dis.
Pour me remettre, je ne vois qu'une solution: je retourne faire la sieste.

 

Sentinelle infatigable du désert
de la Mort Lente, le Concombre avait
tout vu venir de loin: la G,
la 1G, la 2G, la 3G, la 4G, la 5G,
et la suite.


Nikita Mandryka, 1940-2021