dimanche 28 février 2021

Il faut tendre à la perfection sans jamais y prétendre

 

Internet nous apprend que février 2021 a fait tout ce qu'il pouvait pour être un mois parfait: un mois avec quatre semaines bien ordonnées, commençant, sagement, un lundi, finissant, sans surprise, un dimanche. Quatre semaines pleines, qui forment un rectangle sur un calendrier* (n'est-ce pas joli, les rectangles?). Chaque jour de la semaine est revenu 4 fois. Bref, ce mois de février a, au moins, fait de son mieux pour être un mois parfait, dans la mesure de ses modestes moyens: s'il ne nous laissera pas forcément le souvenir du meilleur mois de notre vie, on ne peut pas lui en tenir rigueur. Espérons seulement que les prochains mois en prendront de la graine.


*Le mois de février est le seul mois de l'année qui peut avoir cette caractéristique. Le saviez-vous? Le dernier a eu lieu en 2010, le prochain reviendra dans 6 ans soit en 2027. Merci pour l'info, internet!


 

mardi 23 février 2021

Si on tend l'oreille

 

On n'entend plus Daft Punk, à la place on entend le vent de Mars.
Nos soupçons sont confirmés: l'univers dans lequel nous vivons se trouve à l'intérieur de la tête de Philip K. Dick; quand nous regardons par les trous, nous pouvons parfois apercevoir J. G. Ballard et John Brunner qui passent de temps en temps dire un petit bonjour (en observant sagement les règles de distanciation sociale).

 

 

jeudi 18 février 2021

Grands Webcomics Du XXIe Siècle (11): The Secret Knots

 

Le soir qui précéda cette journée importante entre toutes,
à Würzburg,  je fis une promenade.
Quand le soleil descendit sous l'horizon, il me sembla
que toute ma joie sombrait avec lui.
Je ressentis de l'horreur à la pensée
que je serai forcé de me séparer de tout,
de tout ce qui m'était précieux.
Perdu dans mes pensées, pour regagner la ville,
je passai sous la voûte d'une des portes.
Pourquoi, me demandai-je, cette arche ne s'écroule-t-elle pas,
ces pierres qui n'ont pas de support?
La réponse qui me vint: l'arche subsiste parce que les pierres
veulent toutes tomber en même temps
- et de cette idée naquit une certitude
indescriptiblement consolatrice,
qui était toujours en moi quand vint, le lendemain,
ce fameux moment décisif: 
moi non plus, je ne m'effondrerai pas,
même une fois retirés les étais
qui avaient permis de me construire.


Heinrich von Kleist,
Lettre à Wilhelmine von Zenge,
16-18 novembre 1800

 

Un des webcomics les plus barrés de la webcomicosphère,  c'est The Secret Knots, de Juan Santapau.


Juan Santapau n'est certes pas l'auteur de webcomic le plus prolifique du web. Mais son site, The Secret Knots, devrait vous plaire, amateurs de Buzzati, de Calvino, de Wilcock, de Moebius, de Cortazar, d'Ocampo, de Kafka, ou de Borges ou de Vandermeer… autant de références qui vous expliquent pourquoi j'ai une tendresse particulière pour ces drôles de petites histoires; parfois, aussi, on n'est pas loin de l'univers de Michaux: Santapau se plaît à décrire de misérables miracles.


Les brèves vignettes ont quelque chose de délicieusement tordu, qu'elles aient le ton du reportage ou celui du conte de fées. Les réminiscences de jeux vidéos, de séries télé, de films de série Z, de comics bon marché, de romans noirs - toutes ces voyageuses clandestines qui trouvent refuge dans des recoins déjà mal fréquentés de notre mémoire, où elles sont accueillies avec enthousiasme par les souvenirs d'enfance ambigus, les amis imaginaires à-demi oubliés, les terreurs informulables, les espoirs irréalistes et ces illégitimes sensations de triomphe qu'on n'a pas osé s'avouer: c'est tout cela que Santapau noue ensemble: l'apparent désordre de l'entreprise est trompeur.
Et si le graphisme peut sembler brouillon, ne vous y laissez pas non plus tromper: Santapau sait toujours exactement où il veut nous emmener.


Vous pouvez aussi trouver des fragments de cette concaténation éparpillés sur Tumblr; mais vous avez, à mon avis, tout intérêt à souscrire au Patreon de Santapau, pour profiter de tout ce qu'il gribouille: dans les cases de The Secret Knots, le plus intéressant se trouve souvent dans les coins.



mercredi 17 février 2021

Grands Webcomics du XXIe siècle (6 quater): encore Hans Rickheit!

 

L’ordre dans lequel sont évoqués sur ce blog les Grands Webcomics Du XXIe Siècle n’est en aucune façon hiérarchique, j’espère que vous l’avez compris: ce n’est pas un classement! 

C’est l’actualité liée aux auteurs de ces comics qui dicte leur date d’apparition.
Et l'actualité de Hans Rickheit, c'est la parution de l'édition française d'un nouveau Cochlea & Eustachia! 

Les histoires contenues dans cet album, vous avez, il est vrai, déjà eu l'occasion de les lire (en anglais), soit en ligne, soit dans le recueil Folly (tant qu'il a été disponible chez Fantagraphics: il est actuellement épuisé). Mais vous pouvez à présent les retrouver en français et en couleurs!
 

Le blog de Hans Rickheit.


samedi 13 février 2021

Chevaux échappés

 

Sans se presser, l'agent de sécurité nous ouvre le portail. Est-ce parce que j'ai cru remarquer un rien de condescendance, une affectation de supériorité, dans le regard bovin qu'il a posé sur nous? Sans réfléchir, je lui lance:
 "Savez-vous que cette demoiselle a écrit un livre?
Le livre s'appelle TERRIBLE, le cheval sauvage. Vous devriez le lire, ça pourrait vous plaire."
Inutile de le préciser: il ne goûte pas le sel de la plaisanterie, et son regard reste, plus que jamais, celui d'un être qui mange du foin. Ma compagne, en revanche, étouffe dans son pull un éclat de rire; Terrible, le cheval sauvage, c'est une vieille private joke entre nous deux (le titre que nous avions donné à une histoire sans queue ni tête que nous avions imaginée ensemble); le livre que la petite fille est effectivement en train d'écrire, et dont elle m'a accordé l'honneur d'être le premier lecteur, ne s'intitule pas Terrible, et il n'y est question d'aucun cheval sauvage.
La séance de relecture du dernier chapitre, que nous entamons dès que nous avons rejoint le bureau vacant dont nous avons fait notre quartier général clandestin, est interrompue par des fous rires (oh, la tête qu'il avait, le vigile!) et, occasionnellement, par des hennissements de chevaux sauvages.

 

jeudi 11 février 2021

Un plan de travail bien détaillé


Edward Gorey 

idées jetées sur le papier pour The Nursery Friese, 1963-1964

mercredi 10 février 2021

Bonjour Madame Berthe

Un peu de whimsy par les temps qui courent, ça ne peut pas faire de mal. Je vous avais promis il y a longtemps qu'on retrouverait un jour Frédérick Tristan, pourquoi pas maintenant?

 Peu de curieux ont eu accès au zoo de Madame Berthe.
Sis au quatrième étage de sa somptueuse demeure de la rue Cuviau à Paris, ce parc animalier ressemble à s'y méprendre aux circonvolutions cérébrales de cette auguste milliardaire que le poète Alcophibras a pu décrire comme "un condensé de sublime dans une poche d'incongruité".
C'est ainsi que la chère femme s'avisa de créer le bestiaire fantastique le plus original de la planète. Dans ce dessein, elle envoya à travers le monde des aventuriers oniriques de première grandeur tels que Susho Bramlie, Valsage Dutrimont et Andrieu Passacai en quête des animaux les plus singuliers qui se puissent imaginer. Les trois hommes écumèrent les continents du mundus imaginalis durant dix longues années et finirent par ramener une trentaine d'espèces que Madame Berthe s'empressa d'exposer - tout en réservant l'honneur de la visite à des esprits suffisamment avertis.

Un condensé de sublime dans une poche d'incongruité

Le but du présent catalogue est de faire connaître à un plus large public les pensionnaires de ce remarquable zoo. Les caractéristiques scientifiques de chaque spécimen ont été étudiées par le professeur Adrien Salvat, membre  honoraire du Quai Conti. Il a bien voulu en rédiger des notes explicatives. Les dessins qui accompagnent ces textes sont dus au talent de monsieur Paul Bargasse. Ils ont été pris sur le vif par cet infatigable chercheur. On ne saurait trop le féliciter de sa capacité à voir et à transmettre ce que si peu de témoins ont été capables de discerner en descendant dans des profondeurs abyssales si rarement explorées.


Le Goreux têtu
Ce remarquable bipède se trouve dans la Sierra Leone où les indigènes l'appellent El' Fada. Il mesure 50 cm et pèse 800 g. Son petit corps est recouvert d'une cuirasse en corne tandis que sa tête au nez pointu et à l'œil mi-soupçonneux mi-menaçant est protégée par un casque muni de deux antennes verticales et d'une antenne horizontale. Les premières permettent à l'animal de capter les ondes émises par ses congénères, alors que la troisième semble n'être qu'un appendice d'ornement. D'une nature vive et ombrageuse, il ne cesse guère de se chamailler avec ses pareils en poussant des cris perçants. Il passe le reste de son temps à secouer les arbres pour en faire tomber les fruits dont il recrache la chair, les noyaux et les pépins demeurant sa nourriture exclusive.

Les pépins, c'est mes oignons.

Son allure de petit soldat est à l'origine de la légende que colportent les indiens Piscaduros. Les ancêtres de ces derniers auraient remporté la célèbre victoire de Belafonte contre les conquistadores grâce à une centaine de milliers de Goreux têtus venus leur prêter main-forte.
Pourquoi ces petits animaux se seraient-ils brusquement ligués pour assister des humains? Les Piscaduros croient que les âmes de leurs guerriers morts au combat se réincarnent dans les Goreux, ce qui donnerait un sens à la légende. Les scientifiques, eux, pensent plus volontiers que ces bipèdes étant d'une humeur particulièrement querelleuse se précipitèrent dans la bataille dès qu'ils en eurent connaissance. Muratory écrit: "Le courage insensé de ces petites bêtes est tel qu'elles iraient se mêler d'un combat entre un tigre et un éléphant." (Exposé devant le Parlement, Londres, 27 août 1802).

Frédérick Tristan,
Le fabuleux bestiaire de Madame Berthe
Éditions Zulma, 2005
ISBN 2-84304-312-3


 Le fabuleux bestiaire de Madame Berthe est, à ce qu'il semble, actuellement indisponible chez Zulma. En revanche, vous n'aurez pas de mal à trouver - dans leurs éditions françaises ou anglaises - les livres écrits ou illustrés pas les fabulous Fan Brothers. Eux aussi, je vous promets de vous en reparler.

Armadillo, dessin de Éric Fan.

dimanche 7 février 2021

2020, version "rien que du bon"

 

Qu'il y a-t-il eu de bon en 2020? La question demande réflexion…
… Ah oui: il y a eu Noël!
Noël, c'est une de mes fêtes préférées, parce qu'on y trouve des cadeaux au pied d'un arbre. Je soupçonne que cela doit nous permettre de renouer avec une satisfaction venue du fond des âges: après une rude journée passée à extraire de l'humus des larves et des lombrics avec notre bâton à fouir, à manipuler précautionneusement des orvets sans les casser, à planter des sagaies dans le flanc d'antilopes, à échapper à la curiosité intempestive d'ours et de hyènes des cavernes, quel plaisir ce devait être que de remarquer, sur le tapis de mousse au pied d'un tronc élancé, des choses bonnes à manger (à peine un peu blettes, et d'autant plus sucrées), qu'on n'avait qu'à se baisser pour savourer! Merci les arbres.


Mon arbre, vous le remarquerez, était vraiment tout petit, et pourtant quelle récolte il a portée! Derrière ses fruits, il disparaît presque: pas très gros mais bien épais, à gauche, Le Grand Livre de Béatrix Potter (pas à proprement parler une nouveauté, mais c'est toujours le bon moment pour accueillir chez soi Beatrix Potter); à droite, le livre de Neha Singh et Priya Sebastian, dont je vous avais signalé l'arrivée en avance et dont nous reparlerons;  et le plus grand, pas tout à fait aussi haut que l'arbre mais presque: l'Artbook de Florence Magnin, tout juste sorti des presses, dont je vous reparlerai aussi, vous vous en doutez bien! Voilà un plaisant programme pour ce début d'année.