dimanche 29 septembre 2019

On ne voit pas passer le flétan



Lootre Morton… ce nom ne vous dit rien? C'est vrai, il y a bien longtemps qu'il n'utilisait plus ce nom de plume (de pinceau plutôt). Kikooshi, c'est ainsi que Marc signait ses créations récentes; en particulier les Ki Sushis (une collection sans cesse en expansion de créatures océaniques qui manifestaient leur opposition résolue à la raréfaction des espèces, au besoin en se grimpant dessus de la façon la plus anarchiquement orgiaque; après leur avoir soufflé dedans en usant de l'équipement approprié pour les rendre plus beaux plus gros, Marc les enluminait avec une patience d'ange de mer).

Les Ki Sushis, c'est genre comme des gros merluchons, genre.

Qui étaient-ils, ces "Maîtres de la Lumière", entité bicéphale à laquelle la revue Casus Belli (ah, ça je vois que ça rappelle des souvenirs au moins à quelques-uns d'entre vous) confia, au début des années 90, l'illustration de quelques-unes de ses couvertures?

Excusez-moi, il faut que je respire un grand coup.

C'était encore Marc qui se cachait avec Rolland Barthélémy sous ce pseudonyme collectif autant qu'énigmatique (c'est Marc qui l'avait choisi: il avait du goût pour les pseudonymes et aimait le mystère), Rolland poussant le crayon, Marc scannant les dessins et les habillant de couleurs numériques.
D'autres pages des Maîtres de la Lumière ainsi que d'autres peintures digitales de Marc furent publiées par le magazine Afternoon de l'éditeur japonais Kodansha (c'est à cette époque qu'il adopta le pseudonyme Kikooshi: il choisit ce nom pour son studio lorsqu'il s'installa à Montréal).

Au cours des quarante dernières années Marc ne semblait pas avoir vieilli d'un jour: qu'il fût devenu grand-père était pour ses amis une source inépuisable de plaisanteries.

Puis un jour tout s'arrête (de poisson).


Ils pleurent à en mouiller la mer.

Plus personne pour les croquer (en préambule au modelage), pour leur gratter les écailles, pour leur souffler au cul pour les rendre plus beaux plus gros, pour les tartiner de laque: les Ki Sushis sont tristes à présent.
Malgré leur bouche faite pour le rire.


On ne voit pas le temps passer.



Les illustrations de ce billet sont de Marc Saffioti.

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