jeudi 27 mars 2014

Cortazar, encore


Ainsi donc, chers lecteurs, la fatalité a fait que vous n'avez pas pu visiter l'exposition que le dernier Salon du Livre, à la Porte de Versailles, consacrait à Julio Cortazar
Faites comme Tororo: consolez-vous en rendant visite au blog de Chris Kearin, Dreamers Rise,  qui fourmille d'informations intéressantes sur la vie de Cortazar, sur la disponibilité de ses œuvres en langue anglaise et sur leur réception en Amérique du Nord, sur l'état de la publication en Argentine de sa correspondance et de ses inédits, ou à propos des biographies et des études sur l'auteur de Marelle. Chris Kearin a bien voulu me permettre de reposter ici  la présentation qu'il a faite du livre de Jesús MarchamaloCortázar y los libros.

  Neuf ans après la disparition de Julio Cortázar à Paris en 1984, les quelque quatre mille volumes de sa bibliothèque ont été acquis, par l’entremise de sa première femme et exécutrice littéraire, Aurora Bernárdez, par la Fondation Juan March à Madrid. 
Cortázar y los libros, un mince mais savoureux opuscule publié par Fórcola Ediciones, généreusement illustré (en noir et blanc), nous invite à une visite privée de la bibliothèque de Cortázar avec pour guide un journaliste et écrivain espagnol, Jesús Marchamalo.



Cortázar était un avide lecteur, versé dans au moins trois langues, et de ce fait sa bibliothèque comprend un vaste choix de titres aussi bien en français et en anglais qu’en espagnol. Il pouvait avoir la main lourde en matière d’annotations - il était de ceux dont Anne Fadiman dit que leur amour des livres est plus «charnel» que «courtois» - et n’avait pas scrupule à surcharger les livres qu’il lisait de notes en marge, de soulignements, d’objections, d’approbations, et de toutes sortes de gribouillis dont la signification (lorsqu’ils en avaient une) demeure énigmatique.
Beaucoup de volumes portent des envois autographes d’amis écrivains, Octavio Paz, Carlos Fuentes, Pablo Neruda, Elena Poniatowska, José Lezama Lima, Rafael Alberti (dont la dédicace est agrémentée d’un dessin qui prend toute la page), et la poétesse Alejandra Pizarnik (une amie de toute une vie, de qui on devine, avec malaise, l’aggravation des problèmes mentaux à travers la dégradation progressive de son écriture). 
Il se pourrait bien que nombre de volumes aient été empruntés à des confrères et jamais rendus, par exemple un recueil de poèmes de Luis Cernuda à l’intérieur duquel est inscrit le nom de Mario Vargas Llosa, ou une anthologie de la poésie catalane portant une dédicace manuscrite à Gabriel García Márquez et à sa femme Mercedes.
Certaines dédicaces proviennent tout droit des royaumes de l’impossible, des archipels de la fiction, telle celle de Thomas de Quincey qui du fond de sa tombe salue en Cortázar « un ami de Mr Keats, je crois? »… 
Il y a aussi quelques mystères: qui, par exemple (Cortázar lui-même, une de ses compagnes ou de ses amies, ou la première propriétaire?) a pressé entre les pages d’un exemplaire des Fleurs du mal de Baudelaire tant de fleurs séchées?


Quand il ne traduisait pas Yourcenar en espagnol
et ne lisait pas Lewis Carroll en français,
Cortázar s’intéressait à l’humour breton,
comme en témoignent les craquelures sur le dos de
la célèbre anthologie due à André Noir.

Le livre porte témoignage de l’évolution des préférences littéraires de Cortázar à travers les phases successives de son existence, depuis les années 1930. On note de curieux manques, qui ne sont d’ailleurs nullement inexplicables; de la seule absence de tel ou tel livre dans la succession d’un écrivain qui, dans sa vie, voyagea beaucoup et déménagea souvent, on ne peut conclure qu’il ne l’a jamais possédé et encore moins jamais lu.
Ainsi, pas de Camus, pas de Beauvoir, de Duras, de Tolstoï ou de Tourguénieff, et étonnamment peu de Vargas Llosa* (un excellent ami, en dépit de leurs divergences politiques) ou de García Márquez (notamment, pas de Cien años de soledad). 

Le livre de Marchamalo (pas encore traduit, ni en anglais, ni en français)   ne prétend pas à la rigueur d’une étude universitaire (on peut espérer que d’autres s’attaqueront un jour à cette tâche) et laisse sans réponse, à propos des lectures de Cortázar, non moins de questions qu’il n’en élucide. 

Mais à toute personne intéressée par la personnalité de Cortázar et par son œuvre, ou par les interactions entre un écrivain et sa bibliothèque personnelle - la façon dont il la construit, la façon dont elle le forme - il promet un plaisir sans mélange.

Chris Kearin, 2011 
(traduit, avec permission, par Tororo)

* La visite virtuelle de cette bibliothèque, proposée par le site du Centro Virtual Cervantes, permet de relativiser l'étonnement exprimé par Marchamalo, et dont ce compte-rendu se fait seulement l'écho: plusieurs ouvrages de Vargas Llosa y figurent; sans doute Marchamalo n'avait-il pas eu  accès à la totalité du fonds, ou celui-ci n'était-il pas encore entièrement catalogué, à l'époque (2010) de la rédaction du livre. (NDTT)


Pour illustrations, la première et la quatrième de couverture 
de l'essai de Jesus Marchamalo (© Fórcola Ediciones): 
il n'y manque que l'odeur du papier.

2 commentaires:

loeildeschats a dit…

Merci pour l'info et Dreamers Rise... et trouver sur la même étagère Boswell et Roussel, Old Possum's, Sylvie & Bruno et Hadrien, OMG...

Tororo a dit…

Merci pour votre visite!
Vous aviez remarqué que c'était justement le 160° anniversaire de la naissance de l'illustrateur de Sylvie et Bruno, Harry Furniss? Moi non plus.