mardi 22 octobre 2013

Le tunnel



- Je viendrais volontiers avec toi, mais est-ce qu'on va pouvoir…

- Entrer? Pas de problème, en passant par le tunnel.

Je me laisse guider par le garçon, un peu surpris tout de même. De quel tunnel parle-t-il? 
Et un peu sceptique aussi: va-t-il réellement être aussi facile que l'enfant semble le penser, de m'introduire dans l'internat où il étudie? N'y a-t-il pas de contrôle à l'entrée? 
Nous quittons le lacis de rues qui serpentent à flanc de colline et nous empruntons, entre deux immeubles, un passage que rien ne signale. Je m'attendais à un tunnel destiné à la circulation automobile, avec d'étroits trottoirs de chaque côté, comme il y en a plusieurs dans cette ville en pente; mais le passage au sol bétonné, qui s'insinue entre deux murs du même béton blanc, trop étroit pour que des véhicules soient autorisés à l'emprunter, est visiblement destiné à la circulation des seuls piétons. Après quelques tournants - apparemment le passage épouse les sinuosités du flanc de la colline - le ciel, tout à coup, devient immense. 
Nous marchions, depuis le début de notre conversation, entre de hauts immeubles, dans des rues encaissées; nous avons laissé ces hauts immeubles derrière nous, et nous avons atteint un espace dégagé, une sorte de chemin de crête entre deux collines couvertes de constructions serrées, qui paraissent à présent très loin: sans doute le terrain à cet endroit est-il trop accidenté pour qu'on y ait construit. Que peut-il y avoir de chaque côté des murs bas qui encadrent le passage? (on devine des toits d'appentis couverts de lierre, des buissons, des arbres… des jardins, des terrains vagues?) 
La rumeur de la ville, toujours présente, est devenue très lointaine, et il n'y a plus rien, devant, à droite, à gauche, que des murs aveugles et blancs, sous un grand ciel, devant lequel plus rien ne s'interpose. 
Voilà l'entrée du fameux tunnel: il s'ouvre dans un nouveau mur blanc.
Sous le ciel bleu, la lumière oblique de l'après midi découpe des ombres nettes comme dans une toile de Chirico. 
C'est beau. 
Une beauté si inattendue, si saisissante que je regrette de n'avoir rien pour en fixer le souvenir, et je me promets de revenir un jour à la même heure pour prendre des photos. 



Ça ressemblait un peu à ça.
Un peu seulement, mais un peu quand même.
En fait c'est ce que j'aurais dû voir, logiquement,
si, vers le milieu du tunnel,
je m'étais retourné,
sauf que dans le rêve, je
ne me retournais pas.


Le tunnel n'est pas très long, et débouche sur une volée de marches; la pente de la colline est de plus en plus forte, sur notre droite un bouquet de cèdres nous dérobe la vue de la suite du chemin, sur notre gauche la ville s'étend en contrebas, et devant nous, au pied d'un à-pic, un petit parc est planté d'autres cèdres. 
Un dernier tournant après les marches et le bosquet, et nous somme arrivés: nous sommes sur une terrasse assez étroite, l'à-pic derrière nous a des angles vifs qui suggèrent que nous sommes au bord d'une ancienne carrière, celle sans doute dont on a extrait les pierres de l'édifice blanc qui se dresse devant nous: la chapelle du collège, à la façade austère et presque aveugle (comme la façade de la chapelle de l'abbaye de saint-Victor qui domine le port de Marseille, elle évoque plus une forteresse qu'un sanctuaire). 
Un passage à gauche de la chapelle mène aux bâtiments du collège proprement dit, là où se trouve ce que mon jeune compagnon veut me montrer; mais auparavant, il a encore une autre surprise pour moi, à juger par le sourire malicieux qu'il m'adresse en appuyant sur un bouton à côté du portail fermé de la chapelle. 
Des projecteurs s'allument; sans aucun doute, ils doivent être destinés à mettre en valeur, à la nuit tombée, l'édifice, que certainement on doit voir de loin depuis la ville (étrange que je ne l'aie jamais remarqué).  
Bien qu'il fasse encore jour, le changement de lumière modifie profondément l'aspect de la façade, souligne ses creux, ses lézardes: la sobriété de l'architecture et la blancheur de la pierre pouvaient tromper sur l'âge du bâtiment, qui apparaît à présent dans toute son antiquité. Mais, en plus des projecteurs discrètement installés au bord de la terrasse, qui éclairent la façade de bas en haut, un projecteur plus petit, installé, lui, en hauteur, attire l'attention sur un détail peu visible: une dalle scellée bas dans la maçonnerie, tout près du sol,  porte une inscription en capitales latines. Une vieille inscription, peut-être plus vieille que l'édifice lui-même. Une dizaine de lignes, chacune précédée d'un symbole inscrit dans un cercle: des vers? Ou une liste de noms?
J'ai du mal à lire, tant la pierre est usée. Alors que mon jeune compagnon me sourit, certain de m'avoir fait plaisir, une association d'idées inattendue me passe par la tête: "C'est comme dans ce film de Terence Malick, où un garçon joue un rôle au début du film, et un autre rôle à la fin." 

Je dois l'admettre quand, l'instant d'après, je me réveille: je suis moins savant éveillé qu'endormi. Un film de Terence Malick, où un même jeune acteur joue un double rôle? Mais quel film?

Photographe: inconnu.

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