samedi 18 septembre 2021

On ressent tous la même chose

 Vous savez, ce n'est pas parce que L'École des Loisirs n'a plus rien publié depuis longtemps sur les enquêtes de Bobby Potemkine qu'on peut en conclure que Bobby Potemkine a disparu. Quand on enquête, surtout sur des affaires bizarres, il ne faut pas se hâter de sauter aux conclusions. Bobby Potemkine vous le dirait s'il était là. Bon, d'accord, il n'est pas là: ça ne veut pas dire qu'il n'est nulle part. L'hypothèse que j'étudie actuellement (quand on enquête sur des affaires bizarres, il vaut mieux passer du temps sur des hypothèses que sur des conclusions) c'est que Bobby Potemkine doit être ailleurs, peut-être en train, une fois de plus, de se faire des amis bizarres (quand on enquête sur des affaires bizarres, ce sont des choses qui arrivent).

Ne t'inquiète pas, Numéro Huit, a dit Mimi Yourakane en me tendant une tasse de thé. Les odeurs ont leur importance, mais on n'est pas dans une histoire d'odeurs, pour l'instant. Je sais ce qui te met en souci. Des souvenirs bizarres, des trous de mémoire, des gens qui s'en vont pour toujours, l'ambiance qui change. On est tous touchés de la même manière. On ressent tous la même chose.
- Et ça vient de quoi? ai-je demandé.
- À mon avis, c'est parce que notre monde est en train de disparaître.
- Il va être rayé de la carte?
- Oui et non. Le Fouillis va s'étendre partout et le remplacer. Bientôt, on habitera tous soit dans le Fouillis, soit sur la Lune.
Je ne savais pas comment réagir à ce qu'elle me disait, alors j'ai fait un sourire un peu triste.
- Bientôt, on sera ailleurs, a poursuivi Mimi Yourakane.
- Et vous le regretterez?
- Non, a dit Mimi Yourakane. Il ne faut jamais regretter d'être ailleurs.

Manuela Draeger, La course au kwak,
2004, L'École des loisirs,

ISBN 978-2-211-09437-5


Au fait, vous avez vu qu'Antoine Volodine vient de publier un nouveau livre qui s'appelle Les filles de Monroe?  Et que Frères sorcières est sorti en poche?     C'est bon à savoir, non?

 

mercredi 15 septembre 2021

Penchons-nous sur l'œuvre de Kirkinue Apokalips

 Fin de rêve, pas encore tout à fait éveillé mais presque.
Dans le demi-sommeil qui suit le rêve, m'apparaît une image qui emplit tout l'écran de l'intérieur de ma tête: une aquarelle représentant un coin du désert d'Arizona (tel qu'il apparaît dans les rêves): de larges bandes horizontales dans des tons rouge et brun-rouge, ça fait un peu penser à une toile de Georgia O'Keefe.
L'image est signée, d'une écriture appliquée, en grosses lettres noires, et je peux lire distinctement le nom de l'artiste:
"Kirkinue Apokalips".


Pas de lien pour cette fois, ni de date de copyright;
les informations sur l'œuvre de Kirkinue Apokalips
ne sont disponibles que dans les rêves.


dimanche 12 septembre 2021

Monstrous dose of reality, massive dose of disconnect

 Edwin Turner citait samedi 11 sur son blog Biblioklept ce texte de Susan Sontag, qui, à l'époque de sa publication, ne lui a pas valu que des amis:

Monstrous dose of reality | Susan Sontag on 9/11
Posted on September 11, 2021 by Biblioklept    
    The disconnect between last Tuesday’s monstrous dose of reality and the self-righteous drivel and outright deceptions being peddled by public figures and TV commentators is startling, depressing. The voices licensed to follow the event seem to have joined together in a campaign to infantilize the public. Where is the acknowledgment that this was not a “cowardly” attack on “civilization” or “liberty” or “humanity” or “the free world” but an attack on the world’s self-proclaimed superpower, undertaken as a consequence of specific American alliances and actions? How many citizens are aware of the ongoing American bombing of Iraq? And if the word “cowardly” is to be used, it might be more aptly applied to those who kill from beyond the range of retaliation, high in the sky, than to those willing to die themselves in order to kill others. In the matter of courage (a morally neutral virtue): whatever may be said of the perpetrators of Tuesday’s slaughter, they were not cowards.
From The New Yorker’sTalk of the Town,” published 14 Sept. 2001.

La lucidité de Susan Sontag au sujet des attentats du 11 septembre ne semble pas avoir été, à l'époque, la chose au monde la mieux partagée (l'est-elle devenue à présent? hum). Je me souviens avoir publié, le 11 septembre 2002, au premier anniversaire de la chute des tours, sur un forum de discussion, fréquenté majoritairement par des Américains, auquel j'étais inscrit à l'époque, ce texte de Baudelaire (assorti d'une traduction en anglais de mon cru, qu'il vaut mieux que je vous épargne):

Symptômes de ruine. Bâtiments immenses. Plusieurs, l’un sur l’autre. Des appartements, des chambres, des temples, des galeries, des escaliers, des coecums, des belvédères, des lanternes, des fontaines, des statues. – fissures. Lézardes, humidité provenant d’un réservoir situé près du ciel. – Comment avertir les gens, les nations? Avertissons à l’oreille les plus intelligents.
Tout en haut, une colonne craque et ses deux extrémités se déplacent. Rien n’a encore croulé. Je ne peux plus retrouver l’issue. Je descends, puis je remonte. Une tour labyrinthe. Je n’ai jamais pu sortir. J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. – Je calcule, en moi-même, pour m’amuser, si une si prodigieuse masse de pierres, de marbres, de statues, de murs, qui vont se choquer réciproquement seront très souillés par cette multitude de cervelles, de chairs humaines et d’ossements concassés.
– Je vois de si terribles choses en rêve, que je voudrais quelquefois ne plus dormir.


Je l'avais fait avec appréhension, m'attendant, face à cette publication dont l'intention me paraissait limpide (suggérer que bien longtemps avant de s'effondrer, les tours, monuments dédiés à une entreprise impériale vouée, dans toutes les hypothèses, à mal finir, étaient déjà fissurées), à des réactions de surprise, de colère, d'indignation.
Il n'y en eut aucune de cette sorte.
L'intention qui m'avait paru limpide était demeurée opaque à tous les utilisateurs du forum (tous grands amateurs de polémiques, si le choix de la date de cette publication leur avait paru inopportun, ils me l'auraient fait savoir sans mâcher leurs mots). Mais non. Quelques-uns d'entre eux, au contraire, me félicitèrent… d'avoir attiré leur attention sur un texte peu connu de Baudelaire.

 

mercredi 1 septembre 2021

Driiiiiiiiing!

 

En Septembre, il se passe quoi? 

Ah, déjà une bonne réponse (c'est bien, il y en a qui suivent): la rentrée!
La rentrée sera, cette année, euh… un peu compliquée.
Raison de plus pour bien la préparer: prenez exemple sur ces deux élèves,
Li-An et Boulet qui ont commencé leurs préparatifs à l'avance:
Li-An en rangeant son pupitre et en faisant de la place pour tous les crayons neufs et les rames de papier dont il aura besoin en octobre (on lui a déjà donné le programme pour octobre);
Boulet en mettant en ordre ses notes de l'année dernière (il les a déjà bien potassées, et il donne ici des conclusions intéressantes) et en en faisant des polycops pour distribuer à tous ses copains: ça rendra service à tout le monde, aux redoublants comme à ceux qui passent!
Et pour rendre ça un peu plus ludique ils vous invitent à venir leur donner un coup de main! Ludique, ça le sera au point qu'il y aura des chips et du Champomy des images à gagner! Pas la peine que je les poste ici, ces images: vous pourrez en voir tout plein ici et .


Quand vous bouclerez votre cartable, demandez à votre papa et à votre maman de vous donner un peu de sous, ils se montreront compréhensifs quand vous leur direz que c'est pour les imprévus de la rentrée (ils connaissent ça).

mardi 31 août 2021

Never call me your drummer again

Il arrive un moment où nous nous apercevons
que nous connaissons plus de morts que de vivants.  
François Truffaut

 

Charlie Watts 1941-2021

Ainsi finit le mois d'Août.
On en connu de meilleurs.
Mais, consolons-nous: 

on en connaîtra de pires.

dimanche 22 août 2021

Un acte officiel


"Le contrat avec Bentley est signé le 22 août 1836: c'est en quelque sorte l'acte de naissance officiel d'Olivier Twist".

- L'enfant qu'on avait à moitié baptisé sous le nom d'Olivier Twist, il a neuf ans aujourd'hui.
- Le chéri! fit Mme Mann, en se frottant l'œil gauche pour le rougir avec le coin de son tablier.
_ Et malgré une offre de récompense de dix livres; même qu'elle avait été ensuite portée à vingt. Malgré les efforts les plus prodigieux, et, comme qui dirait, les plus surnaturels de la part de notre commune - dit Bumble - on n'a jamais pu découvrir qui est son père, ni quel était le nom de sa mère, ni sa situation de fortune ou de famille.
Mme Mann leva les bras, de stupeur; mais elle ajouta, après un instant de réflexion:
- Alors, comment que ça se fait qu'il ait un nom quand même?
L'appariteur se rengorgea, avec beaucoup de fierté, et dit: C'est moi qui l'a inventé.
- Vous, monsieur Bumble!
- Moi-même, madame Mann. Nous, on nomme nos enfants trouvés par ordre alphabétique. Le dernier, c'était un S: Swubble, que je l'ai appelé. Le prochain qui viendra, ce sera Unwin, et celui d'après Vilkins. J'ai des noms tout prêts jusqu'à la fin de l'alphabet, et de quoi recommencer encore d'un bout à l'autre quand on arrivera à Z.
- Ma parole, vous êtes un véritable homme de lettres, monsieur! dit madame Mann.
- Ma foi, ma foi, dit l'appariteur, manifestement enchanté de ce compliment, c'est bien possible. C'est bien possible, madame Mann.



Charles Dickens, Les aventures d'Olivier Twist,
traduction de Sylvère Monod,
Garnier 1957

 

Si quelqu'un méritait bien d'être appelé un véritable homme de lettres, c'est Charles Dickens: regardez tous les noms qu'il a inventés!

Bayham Badger
Cornelia Blimber
Mister Brownlow
Mister Bucket
Mister Bumble
Charles Cheeryble
Anne Chickenstalker
Canon Crisparkle
Bentley Drummle
Affery Flintwinch
Anthony Jeddler
Caroline “Caddy” Jellyby
Alfred Jingle
Abel Magwich
Charity Pecksniff
Clara Peggotty
Betsy Prig
Betsy Quilp
Barnaby Rudge
Cleopatra Skewton
Augustus Snodgrass
Adolphus Tetterby
Betsey Trotwood


Bon, parfois il les a empruntés à des gens qui existaient pour de vrai, il le confia lui-même, parmi d'autres souvenirs, à son premier biographe, John Forster:

Mon travail consistait à couvrir les pots de cirage, d'abord avec une feuille de papier huilé, puis avec une feuille de papier bleu; ensuite, lisser le papier et couper ce qui dépassait tout autour, bien net, pour qu'il ait l'air aussi chic qu'un pot de pommade de chez l'apothicaire. Quand un certain nombre de grosses de ces pots étaient bouchées à la perfection, je devais coller par-dessus des étiquettes imprimées, puis recommencer avec autant d'autres pots.
Dans ce sous-sol, deux ou trois autres garçons étaient affectés à la même tâche que moi, pour le même tarif. Au matin de mon premier lundi, l'un d'eux, avec un tablier loqueteux et un chapeau de papier, vint me montrer les tours de main pour enrouler la ficelle et pour serrer le nœud. Son nom était Bob Fagin, et bien plus tard je pris la liberté d'utiliser son patronyme, dans Oliver Twist.

My work was to cover the pots of paste-blacking; first with a piece of oil-paper, and then with a piece of blue paper; to tie them round with a string; and then to clip the paper close and neat, all round, until it looked as smart as a pot of ointment from an apothecary's shop. When a certain number of grosses of pots had attained this pitch of perfection, I was to paste on each a printed label, and then go on again with more pots. Two or three other boys were kept at similar duty down-stairs on similar wages. One of them came up, in a ragged apron and a paper cap, on the first Monday morning, to show me the trick of using the string and tying the knot. His name was Bob Fagin; and I took the liberty of using his name, long afterwards, in Oliver Twist.


Sois remercié, Bob Fagin au chapeau de papier, pour la transmission du tour de main qu'il fallut plus tard au petit Charles, pour coller sur ses personnages des étiquettes aussi seyantes que Bentley Drummle, Arthur Pickwick ou Anne Chickenstalker, contribuant à les rendre inoubliables!
 

Au fait: merci aussi Wikipedia, infatigable colleuse de petits bouts de papier!

mercredi 18 août 2021

L'ignorance du basilic

 

Je l'aime bien, ce petit livre d'Olivier Dubouclez,  Histoire du basilic. Vous avez déjà noté qu'on y parle de Sir Thomas Browne; on s'y intéresse à bien d'autres sujets, on va jusqu'à inviter le basilic à se regarder en face. 


"Me regarder en face? Si je le faisais,
ne serais-je pas jugé un peu présomptueux?"
se demande la créature.
 

Il ne s'agissait pas de lui pourtant, enfoui dans les profondeurs de la terre. Il s'agissait d'un être de fiction, d'une chimère qui lui avait peut-être emprunté certains traits, mais qui à bien y regarder n'entretenait aucun rapport avec les membres de son espèce. On disait qu'il était né d'un œuf de coq et qu'il avait un bec acéré. On disait aussi qu'il était couvert de plumes. On mettait en garde contre son regard injecté de sang. On ajoutait que ses griffes étaient plus tranchantes qu'une épée.
Ne possédant aucune image de lui-même, le basilic ignorait quelle part de vérité était contenue dans de telles descriptions.

Olivier Dubouclez, Histoire du basilic

Actes Sud, 2015

samedi 14 août 2021

Lys de Gueules sur Champ d'Argent

 

C'est une triste nouvelle (une de plus… ça commence à faire beaucoup) que nous apprend le blog Anniceris: la disparition d'un des plus sympathiques des auteurs de jeux de rôle, Steve Perrin. Phersv nous rappelle qu'il ne fut pas seulement un des créateurs du monde de Glorantha, mais aussi un des fondateurs de la Society for Creative Anachronism, une de ces inventions improbables qui prouvent que, si le monde tel qu'il est fonctionne plutôt mal, il est possible d'y introduire des vistemboirs construits de bric et de broc qui, eux, fonctionnent plutôt bien.  Être un des plus sympathiques représentants d'une corporation qui n'admet en son sein que des gens sympathiques, ça ne lui suffisait pas: il formait avec Luise Perenne un couple si beau qu'il semblait lui aussi presque improbable: qu'ils soient remerciés d'avoir prouvé qu'improbable n'est pas la même chose qu'impossible.
On ne peut que reprendre la conclusion du billet d'Anniceris: toutes nos pensées vont vers Luise.

 

 Après Grognardia, sur Advanced Designers and Dragons Shannon Applecline fait une rétrospective de la carrière de Steve Perrin, et le site de Chaosium revient en une série de six épisodes sur son rôle dans la genèse de RuneQuest (merci pour les liens à Imaginos).

samedi 7 août 2021

Une fameuse révolution, parmi d'autres aussi fameuses

 

Océanique est composé de nouvelles écrites entre 1989 et 2008. Yeyuka* a été écrite en 2004. La science-fiction, c'est ce qui se démode; est-il nécessaire d'énumérer toutes les anticipations que quelques années ont suffi à démoder? Les fictions de Greg Egan résistent mieux au temps, parce que, même si, dans des futurs proches ou lointains, nous ne colonisons jamais d'astéroïdes, même si nous n'avons jamais à déclarer à l'état-civil la naissance d'enfants artificiels, même si nous n'avons jamais à gérer d'épidémie comparable à celle de yeyuka*, la façon dont Egan a imaginé les réactions des humains à ces situations continuera à nous apprendre quelque chose.
Prendre en compte le facteur humain, c'est ce que Greg Egan réussit le mieux.

- Qu'est-ce qui t'a amené à la médecine? demandai-je à Iganga.
- Les attentes familiales. C'était ça ou le droit. La médecine m'a semblé moins arbitraire: rien dans le fonctionnement du corps ne peut être invalidé par un jugement en appel. Et toi?
- Je voulais participer à la révolution. Celle qui devait en finir avec toutes les maladies.
- Ah, cette fameuse révolution.
- Je me suis trompé de boulot, bien sûr. J'aurais dû faire de la biologie moléculaire.

Greg Egan, Yeyuka, dans Océanique

*Le yeyuka (ou faut-il dire la yeyuka?) qui donne son nom à une des nouvelles, c'est, vous l'avez deviné, une maladie toute neuve, pas encore inventée à l'heure où je vous parle: une maladie de science-fiction.


Greg Egan: Océanique (Oceanic, Orion/Gollancz, 2009),
traduit par Sylvie Denis, Francis Lustmann,
Quarante-Deux, Pierre K. Rey, Francis Valéry
2019 Le Bélial et Quarante-Deux
ISBN 9782 25315988 9

 

jeudi 5 août 2021

Soeur comme Franz Kafka

 

Cette nuit je suis la sœur de Kafka. Laquelle, me demandez-vous, il en avait trois? Seulement la sœur de Kafka, dans ce rêve je n'ai pas d'autre identité. Nous sommes en train d'emballer nos affaires personnelles, car nous nous préparons à quitter l'appartement dont nous avons été quelque temps locataires; nous devons rentrer au domicile familial, on nous a dit que notre père est malade et nous demande. "Tu sais, il t'aime beaucoup, il dit que tu es la couronne de sa tête", m'entends-je dire avec la voix de la sœur de Kafka. Franz ne dit rien, quelque conviction que sa sœur anonyme ait mise dans cette affirmation, lui ne semble pas entièrement convaincu. Le sol de la pièce presque sans meubles est encore encombré de petits objets qui n'ont pas trouvé de place dans les bagages, un plumier, un bougeoir, beaucoup de feuilles de papier, d'une boite en carton un peu cabossée se sont échappées des enveloppes vierges, le coffre - vide et renversé - d'une machine à coudre à l'ancienne met une note un peu incongrue.