En 2015, Manuela Draeger, après quelques années de silence, a publié à L'École des Loisirs une nouvelle énigme policière: Moi, les mammouths (prudent, l'éditeur range le roman dans les catégories "aventure et policier science fiction, anticipation". Tout ça à la fois).
On y retrouve Bobby Potemkine et Lili Nebraska: on ne change pas une équipe dont les membres se disent les uns aux autres: "Heureusement qu'on était ensemble", ce que Bobby, qui a le sens de la formule, condense en: "Heureusement qu'on s'a".
Je ne sais pas, vous, les mammouths, mais moi, je croyais qu’il n’y en avait plus depuis dix mille ans au moins. (ça, au cas où vous vous le demanderiez, c'est le "prière d'insérer" - on appelle comme ça le petit texte qui figure sur la quatrième de couverture - du livre. Ça met tout de suite dans l'ambiance, non?) Et vous, je ne sais pas, mais les mammouths, moi, je préférerais ne pas me trouver sur leur route. Avec cette odeur qu’ils dégagent de laine mouillée et d’herbe pas très fraîche, sans parler de l’habitude qu’ils ont d’écraser les gens. En particulier les directrices de Maisons du peuple. Et les mammouths, vous, je ne sais pas, mais, pour moi, ils ne posent pas de questions déplacées sur leurs minijupes. Mais quand on en voit, des mammouths, qui se promènent vers l’horizon au crépuscule, ça paraît bizarre et ça laisse encore pas mal de questions en suspens. Le genre de questions qui méritent une enquête. Et là-dessus, pas de doute : Bobby Potemkine, c’est encore à toi de jouer.
Pourquoi est-ce à Bobby Potemkine de jouer?
Parce que:
... à partir d'un certain moment, il a bien fallu (ça, c'est un extrait du premier chapitre) que quelqu'un se charge d'élucider les énigmes les plus bizarres, et c'est Lili Nebraska qui a été désignée pour remplacer la police. Elle m'a demandé de l'assister et j'ai accepté, plus par amour pour Lili que pour mes qualités de fin limier, car je suis plutôt mauvais en police, quand on y pense. Je m'applique, je fais de mon mieux, mais, quand je fais le bilan, je m'aperçois que je n'ai pas résolu beaucoup de problèmes. La plupart des dossiers que j'ai ouverts n'ont jamais été refermés de manière satisfaisante. Que ce soit l'affaire des parapluies grandioses, celle des gamins magnétiques ou encore le problème du yack chanteur. Aucune solution n'a été trouvée là-dessus. Et j'ai pris des exemples au hasard.
La liste des enquêtes qui n'ont rien donné est nettement plus longue:
L'affaire de la septième bestiolette.
L'enquête sur les miroirs sans reflet.
L'affaire des locomotives sauteuses.
L'affaire des faux-vrais fromages.
L'enquête sur Jean Popocatepetl.
L'affaire des poupées fumigènes.
L'affaire des mille et une nuisettes.
Le problème du microbe géant.
L'histoire de la tempête en bocal.
... Et bien d'autres.
Voyez-vous, il m'est arrivé, à moi aussi, de penser que Bobby Potemkine n'était pas très bon en police - je ne dirais pas mauvais, car il est persévérant, et il pose de bonnes questions, même quand il doit les poser, les questions, à des témoins qui le mettent mal à l'aise, par exemple des mouettes (de vraies pestes, ces mouettes).
Et j'apprécie sa franchise quand il reconnaît qu'il ne gagne pas à tous les coups.
Je l'aime bien comme il est, Bobby
(et je soupçonne que Lili Nebraska,
bien qu'elle soit très discrète sur ce sujet,
finirait par dire la même chose,
si on la cuisinait un peu).
En apprendrons-nous davantage, un jour, sur l'affaire des parapluies grandioses?
Et le problème du microbe géant, serons-nous jamais certains qu'il a été correctement posé? (parce que, vous vous en souvenez, à l'école les problèmes c'était pas trop son truc, à Bobby Potemkine, il était plus doué pour écouter ses camarades lui raconter leurs rêves comme si elles venaient d'en sortir).
Et pour l'affaire des poupées fumigènes, on risque de rester encore longtemps dans le brouillard.
Car il n'est pas le seul à ne pas gagner à tous les coups, Bobby Potemkine.
En avril 2016, Manuela Draeger et Elli Kronauer ont publié un communiqué commun:
Pendant quinze ans, L’École des Loisirs a permis à notre polyphonie post-exotique d’exister, de s’affirmer et de s’ancrer dans la réalité éditoriale. Dès 1999, nos ouvrages se sont succédés dans la collection Medium et les deux auteurs que nous sommes se sont fait connaître, alors que l’idée même d’une construction littéraire à plusieurs voix semblait condamnée à rester inopérante et obscure. Elli Kronauer a publié cinq recueils de bylines, Manuela Draeger treize petits romans mettant en scène des enquêtes bizarres de Bobby Potemkine. L’apport de cette maison d’édition à notre projet collectif est donc énorme, à cette aventure poétique en quarante-neuf volumes menée aussi ailleurs, chez d’autres éditeurs, par nos camarades Antoine Volodine et Lutz Bassmann.
Nous aimerions dire haut et fort à quel point nous sommes redevables à Geneviève Brisac de nous avoir accueillis dans la collection qu’elle dirigeait. De nous avoir offert un merveilleux espace où notre littérature, avec tout ce qu’elle pouvait comporter d’éléments parfois déconcertants, aura pu exister pleinement, sans entraves ni exigences autres que celles que nous nous fixions nous-mêmes. Pendant quinze ans, nous avons pu confier à Geneviève Brisac nos petites proses d’origine carcérale, nos émerveillements et nos petits rêves pour jeunes et moins jeunes adultes. Notre éditrice nous a laissé construire ces pièces indispensables à la maison post-exotique, en respectant scrupuleusement notre souhait de rester durant toute cette longue période dans un quasi-anonymat et de n’avoir comme preuve de vie concrète que nos textes : sa complicité était sans faille, fondée sur un sens profond de la poésie et de la littérature. Des années et des années à pouvoir patiemment faire grandir notre monde, grâce à l’intuition, au soutien et à l’autorité amicale d’une éditrice parfaite.
Nous en parlons au passé, car, Geneviève Brisac écartée, nous ne publierons plus à L’École des Loisirs.
Le nom de Geneviève Brisac ne vous est sûrement pas inconnu (mais si, cherchez bien: par exemple, c'est elle qui avait convaincu Florence Seyvos d'écrire pour L’École des Loisirs).
Je suis content, chaque fois que j'ai des nouvelles de Bobby Potemkine (je m'interdis de parler de lui au passé). Ça me réconforte de le savoir quelque part, en train d'écouter un orchestre de mouches ou de manger une glace aux groseilles polaires. Que fait Bobby Potemkine en ce moment? et que devient Lili Nebraska? Quand je n'en ai pas, des nouvelles, je me fais un peu de souci pour eux. Je me dis, pour me rassurer, "heureusement qu'ils sont ensemble, heureusement qu'ils s'ont".
collection Medium, L'École des Loisirs, 2015
Image © L'École des Loisirs, 2015
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