"Il ne faut pas souhaiter la mort des gens: ce n'est jamais assez méchant", nous rappelait fort utilement Dominique A, chanteur adepte du wu wei, il y a déjà des années de cela. Utile, indispensable même, ce rappel, tant parfois la tentation est grande. Pour raffermir nos convictions, essayons de nous dire que les dernières des trop longues années d'Henry Kissinger ont peut-être été les pires de sa vie, qu'il lui arrivait (qui peut le dire?) de se réveiller, dans un lit souillé, d'un cauchemar de poursuites judiciaires.
Henry Kissinger est-il mort innocent? Pour la presse, il semble qu'il soit mort à peu près aussi innocent (peut-être même plus, puisque son procès n'a même pas été ouvert) que Bernard Tapie, pour les mêmes raisons.
Je lis cependant dans Le Monde Diplomatique:
Dans son dernier ouvrage (Henry Kissinger, Does America Need a Foreign Policy? Toward a Diplomacy for the 21st Century, Simon & Schuster, New York, 2001, 352 pages, 30 dollars US.), destiné à servir de bréviaire aux diplomates du XXIe siècle, M. Henry Kissinger se départit de son ton docte et froid aussitôt qu’il évoque l’intrusion récente du principe de la «juridiction universelle» dans les relations internationales. L’ancien secrétaire d’Etat américain ne décolère pas lorsqu’il parle de l’arrestation à Londres, en 1998, de son protégé, le général chilien Augusto Pinochet, sur ordre d’un juge d’Espagne. Il affirme que le discours sur les droits de la personne (dont il revendique par ailleurs la paternité) devait «servir avant tout d’arme diplomatique fournie aux citoyens des pays communistes pour leur permettre de combattre le régime soviétique, et non d’arme légale pouvant être utilisée contre des dirigeants politiques devant des tribunaux de pays tiers». Un paragraphe plus loin, il affirme cependant qu’il est aujourd’hui impératif d’interdire que «les principes du droit soient utilisés à des fins politiques».
Si l’analyse est embrouillée, sinon contradictoire, c’est sans doute en raison du trouble que ressent M. Kissinger depuis l’affaire Pinochet. En effet, de passage à Paris le 28 mai 2001, l’ancien secrétaire d’Etat reçut la visite de la brigade criminelle, qui venait lui remettre une convocation du juge Roger Le Loire. Invité à comparaître au palais de justice comme témoin dans l’affaire de la disparition de cinq Français au Chili, M. Kissinger, impliqué directement ou indirectement dans la création du plan «Condor» — réseau de chasse aux opposants dans six dictatures militaires d’Amérique latine (Chili, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay, Argentine, alors gouvernés par des dictatures militaires) -, réserva sa réponse. Le lendemain, il quitta précipitamment la France.
L'auteur de cet article datant de 2001 et repris récemment dans l'édition en ligne du journal, Ibrahim Warde, note également:
Le journaliste britannique Christopher Hitchens a effectué l’inventaire des agissements du «magicien de la diplomatie» qui pourraient, à l’aune de la nouvelle jurisprudence internationale, constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou d’autres délits justiciables (Christopher Hitchens, Les Crimes de monsieur Kissinger, Editions Saint-Simon, Paris, 2001, 206 pages, 99 F.). Ses révélations, fondées pour l’essentiel sur des documents officiels américains récemment «déclassifiés», contredisent les versions présentées par l’intéressé dans trois volumes de Mémoires aussi massifs que tendancieux.
"Il ne faut pas souhaiter la mort des gens:
ça les fait vivre plus longtemps".
Merci Dominique A.