vendredi 21 avril 2023

La recette de succès d'un romantique oublié

 Il y aurait beaucoup à citer du livre de souvenirs d'Éric Losfeld, Endetté comme une mule: on y trouve de tout, littéralement de tout. Des considérations sur le métier d'éditeur, évidemment, et sur l'art délicat de l'endettement; sur différentes "affaires", certaines judiciaires, d'autres pas; sur les rapports ambigus entre l'autobiographie et la mythomanie, entre la dipsomanie et la graphomanie, sur des coïncidences heureuses, sur de malheureux concours de circonstances; des gentillesses et des vacheries, en parts presque égales, sur les centaines de gens qu'il a côtoyés, et encore bien des choses qui n'entrent dans aucune des catégories ci-dessus. Il y a même une blague belge (une seule, il faut bien la chercher). Surtout, il est question de livres, de livres et encore de livres. Il devait aimer ça, les livres, Losfeld, c'est pas possible autrement.
Et voilà que je tombe sur une page qui me fait ressouvenir qu'il y a bien longtemps que je n'ai rien posté sous la rubrique "À table!" - où je range surtout des recettes picorées dans des livres où  l'on ne s'attend pas forcément à en trouver. Réparons cette carence; nous venons de sortir du carême, voilà l'occasion:

On doit pouvoir encore dénicher chez José Corti, qui l'a réédité, sous couverture rose rosbif, un charmant petit livre d'autrefois que Philippe Audoin tient en grande estime. Il n'y est pas tellement question de ripailles, mais l'auteur, Émile Cabanon, un romantique oublié, avouait n'avoir pas trouvé de titre pour son roman, et l'avait astucieusement, quoique abruptement, conclu par une recette de cuisine, qui devait lui valoir un succès auprès des cordons-bleus. D'ou le titre accrocheur: Un roman pour les cuisinières. 

Hélas, Losfeld ne cite pas cette recette romantique conclusive. Il se rattrape ainsi:

Je pratiquerai le même genre de collage littéraire, en vous livrant ici la recette du pot-au-feu de René Girard:

Vous prenez un morceau de paleron que vous mettez dans la saumure pendant trois jours. Vous le faites cuire avec les légumes habituels. La saumure a la particularité de faire affluer le sang à l'extérieur, de sorte que la viande a dans la bouche la texture normale d'un pot-au-feu, mais son apparence est rouge comme celle d'un rôti. Vous la servez coupée en tranches sur un lit de pâtes fraîches parfumées au basilic après l'avoir nappée d'un coulis d'écrevisses.

Si c'est trop cher pour vous, le paleron et le coulis d'écrevisses, ne vous en faites pas, les pâtes fraîches parfumées au basilic, c'est déjà très bon, vous savez.

 

Éric Losfeld, Endetté comme une mule
Belfond, 1979; réédition Tristram 2017
ISBN 978-2-35719-058-7

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