Parmi les traditions de Noël, il en est une que j'apprécie particulièrement: celle qu'observe Biblioklept de republier à intervalles réguliers...
... un certain dessin de Glen Baxter.
Parmi les traditions de Noël, il en est une que j'apprécie particulièrement: celle qu'observe Biblioklept de republier à intervalles réguliers...
... un certain dessin de Glen Baxter.
Aujourd'hui est un jour important, mes enfants.
C'est aujourd'hui que vous allez glisser discrètement dans les petits souliers (ou les grandes chaussettes de laine) de tante Adélie, de cousin Sigismond et de la pétulante Persille les exemplaires de La Tresse que vous avez ramenés de la bonne librairie (on les trouve dans toutes les bonnes librairies) cachés sous votre manteau.
La Tresse, un récit de Laetitia Colombani, scénarisé par Lylian, dessiné et mis en couleurs par Algésiras: une garantie de qualité.
Et demain sera aussi un jour important, puisque c'est demain qu'en vous prenant toutes et tous par la main, vous danserez, joyeux, une ronde autour de l'arbre.
image © éditions Soleil et Algésiras
Si l’on me proposait de vivre une deuxième fois ma vie, je dirais hum, oui, d’accord pour relire Nabokov.
Eric Chevillard est toujours de bon conseil. Si nous nous replongions - par exemple - dans La Vraie Vie de Sebastian Knight? V, le personnage imaginé par V. Nabokov, ne pressent-il pas, à trois quarts de siècle de distance, le conseil de Chevillard, et, à défaut de pouvoir relire Nabokov, dont il n'a évidemment jamais entendu parler (fort peu de personnages de fiction connaissent l'existence de leur créateur) ne consacre-t-il pas sa vie à relire Knight, ce demi-frère avec qui il a partagé si peu de choses et qui, lui semble-t-il, lui a laissé des indices un peu partout, des messages secrets qu'il lui appartient de déchiffrer?
... et je n'aime pas m'appesantir en imagination sur certain jour qui vit, dans un hôtel de Paris, Sebastian, âgé de quatre ans environ, délaissé par une gouvernante désemparée, et mon père enfermé dans sa chambre, "juste le genre de chambre qui convient pour la mise en scène des pires tragédies: sous son globe de verre, une pendule vernie arrêtée (deux heures moins dix: moustache cirée aux pointes dressées), le maléfique dessus de cheminée, la porte-fenêtre avec sa mouche saoule entre le rideau de mousseline et la vitre, et une feuille de papier à lettre de l'hôtel sur le sous-main en buvard usagé ". Cette citation est tirée des Albinos en noir, ouvrage sans aucun lien avec ce désastre particulier, mais qui porte l'empreinte de l'inoublié chagrin de jadis, du chagrin d'un enfant abandonné sur un froid tapis d'hôtel, et qui ne sait que faire, avec tout ce temps, vide étrangement, devant lui, ce temps qui n'est plus le temps familier et qui s'étale, s'étale...
Vladimir Nabokov: La vraie vie de Sebastian Knight
Cette nuit je fais la queue. Pour obtenir un permis de planter. Dans un bâtiment administratif d'une ville qui affiche tous les signes d'une appartenance probable à l'Europe de l'Est, une ville où l'on a besoin d'un permis pour pouvoir planter des arbres. La queue est longue; la plupart des gens sont venus avec leur petite bouture dans un pot ou un sac en plastique. J'approche du but, mais la vieille dame devant moi s'est lancée dans une longue discussion avec la fonctionnaire qui valide les formulaires, dans une langue dont je ne comprends pas un traître mot. Ça m'inquiète un peu, comment vais-je faire si on me demande des précisions? Les langues slaves et moi, ça fait douze. Pour passer le temps j'engage, avec mon voisin le plus proche, une conversation par signes; plein de bonne volonté, il semble vouloir m'encourager, il regarde le formulaire que je tiens à la main (quelqu'un, plus tôt dans le rêve, l'a rempli pour moi - ça consistait, essentiellement, à faire des croix dans des cases) et il approuve de la tête, comme pour me dire qu'il le pense correctement rempli. Il hoche aussi la tête devant le spécimen que j'ai apporté, un pot de terre minuscule d'où sort une sorte d'écouvillon conique vert vif (dans ma tête, je l'appelle un épicéa), et il me fait, avec le pouce, le signe universel d'approbation. Je m'enquiers (en le montrant de l'index et en faisant une mimique ahurie) de l'espèce à laquelle appartient son arbrisseau à lui, qui ressemble à un pommier miniature, sans feuille, avec un fruit de la taille d'un petit pois au bout de chaque branche; il me répond quelque chose qui, pour mes oreilles, ressemble à "Delicioso" (cela évoquera-t-il quelque chose à mes visiteurs versés dans les langues slaves?)... et voilà, je suis parvenu devant le guichet, je tends mon dossier de demande et après un bref examen, la préposée donne des coups de tampon à toutes les feuilles, conserve les doubles et me rend l'original: ça y est, j'ai le droit de planter! Mon voisin, au guichet d'à-côté, a aussi reçu ses coups de tampon; je lui rends le signe victorieux du pouce qu'il m'a fait tout à l'heure, et nous avons juste le temps d'échanger un sourire avant que je me réveille. Ouf, un rêve qui finit bien!
Nikolavitch aussi fait des rêves assez bizarres; quelque chose dans l'air? ou dans l'eau du robinet, qui sait?
Where we are, the birds sing a pretty song,
and there is always music in the air.
Julee Cruise 1 décembre 1956 - 9 juin 2022
Angelo Badalamenti 22 mars 1937 - 11 décembre 2022
Dans un paragraphe récapitulatif, on trouve cette phrase: "Tout le monde crut que la rencontre des deux joueurs d'échecs avait été fortuite".
Jorge Luis Borges, Examen de l'oeuvre d'Herbert Quain
Laissons encore la parole à V, pour nous présenter le premier succès public (et critique) de Sebastian, qui s'intitule - amusante coïncidence - Succès (nous serons amplement servis de ces bizarreries stylistiques dont nous parlions dans un précédent billet, et dont nous ne saurons jamais si elles appartiennent à V ou s'il les emprunte, consciemment ou non, à Sebastian):
Sebastian consacre les trois cents pages de Succès à l'une des investigations les plus compliquées qui aient jamais été entreprises par un écrivain. Nous apprenons qu'un certain voyageur de commerce, Percival Q..., à une certaine époque de sa vie et dans certaines circonstances, rencontre la jeune fille, assistante d'un prestidigitateur, avec qui il sera à tout jamais heureux.
[...]
Nous apprenons un bon nombre de choses curieuses. Les deux lignes qui ont finalement convergé vers le point de rencontre ne sont nullement les lignes droites d'un triangle, divergeant régulièrement vers une base inconnue, mais des figures ondoyantes, tantôt très espacées l'une de l'autre, tantôt se touchant presque. Autrement dit, il y a dans la vie de ces deux personnes au moins deux occasions où, sans le savoir, elles ont failli se rencontrer. Chaque fois, le destin semblait avoir préparé cette rencontre avec le plus grand soin, faisant des retouches à telle possibilité, puis à telle autre; masquant des issues et repeignant des poteaux indicateurs; resserrant peu à peu dans sa poigne l'ouverture du filet où les papillons cognaient leurs ailes; réglant le moindre détail et ne laissant rien au hasard. La divulgation de tous ces préparatifs secrets est fascinante et l'auteur semble avoir les yeux d'Argus quand il tient compte dans ses calculs des moindres couleurs du lieu et des circonstances. Mais chaque fois, une erreur minuscule (l'ombre d'une fêlure, le trou bouché d'une possibilité non surveillée, un caprice du libre arbitre) vient gâter le plaisir du déterministe et à nouveau les lignes divergent, avec une rapidité accrue. C'est une abeille qui, le piquant à la lèvre, empêche à la dernière minute Percival Q... d'aller à la soirée où le destin, avec une difficulté infinie, avait trouvé le moyen d'amener Anne; c'est Anne qui, par un tour que lui joue son caractère, n'obtient pas le poste que le destin avait pris soin de rendre vacant à son intention au Service des Objets trouvés où le frère de Q... est employé. Mais le destin est bien trop persévérant pour se laisser décourager par un échec. Il parvient à ses fins, et par de si subtiles machinations qu'on n'entend même pas un déclic quand finalement les deux personnes sont mises en contact.
Je n'entrerai pas dans plus de détails au sujet de cet intelligent et délicieux roman.
Tiens! Tu étais déjà là, toi? Bonjour, filet à papillons...
Et nous, nous sommes toujours plongés dans la lecture de La Vraie Vie de Sebastian Knight (de Vladimir Nabokov) - déjà évoquée dans dans plusieurs billets précédents.
Comment V pourrait-il cerner la personnalité de ce frère qu'il a, en fin de compte, si peu connu, sans examiner en détail son oeuvre? V en analyse ainsi les débuts:
On ne peut vraiment goûter l'Iris du Miroir que si l'on a compris que les héros du livre sont, en les nommant d'un terme approché: "les procédés de composition". C'est comme si un peintre disait: "Attention! Je vais vous montrer non la peinture d'un paysage, mais la peinture des différentes façons de peindre un certain paysage, et je suis sûr que de leur fusion harmonieuse naîtra à vos yeux le paysage tel que je veux que vous le voyiez". Dans son premier livre, Sebastian a mené cette expérience jusqu'à son terme logique et satisfaisant. En soumettant à l'épreuve de la réduction à l'absurde telle ou telle manière littéraire, puis en les écartant l'une après l'autre, il a trouvé sa propre manière, et l'a exploitée à fond dans son livre suivant: Succès.
Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sebastian Knight
À suivre...
Une cyborg (ou est-ce une robote?) vient me dire bonjour. Conforme à l'idée que nous nous faisons tous (je suppose) d'une cyborg, on devine sa nature surtout à cause de la régularité un peu trop parfaite de ses traits, si discrets sont les joints entre les parties bio, les parties biomécaniques et les parties mécaniques dont elle est faite: la robotique a fait tant de progrès récemment! (au moins dans les rêves). Elle se penche (elle est nettement plus grande que moi) pour me faire la bise - peut-être lui a-t-on appris qu'entre humains, c'est ce qui se fait. Une bise très chaste: elle effleure seulement ma joue droite avec sa joue gauche, une joue fraîche, j'ai le temps de me dire qu'il est sans doute normal que sa température soit plus basse que celle d'un être humain, quand j'entends un déclic: la jeune fille vient de s'immobiliser, interrompue dans le geste de me faire une deuxième bise sur mon autre joue; apparemment, quand elle s'est penchée vers moi, quelque chose s'est coincé dans ce qui lui tient lieu de colonne vertébrale. Ce doit être dur d'être un cyborg (un robot?), si les gestes les plus simples peuvent vous placer dans des situations aussi embarrassantes (bon: la robotique a encore quelques progrès à faire, même dans les rêves). Je suis encore en train de me demander si je peux faire quelque chose pour la débloquer (et surtout, quoi?) quand je me réveille.
Michael Leddy me rappelle opportunément que l'an dernier, il avait déjà eu cette idée: poster sur son blog quelques impressions laissées par la lecture (dans le texte original) de La vraie vie de Sebastian Knight. Opportunément, car, je l'avoue à ma confusion, ça m'était complètement sorti de la tête; ou plutôt, ça avait dû, par quelque lent processus psychique, se transformer en une sorte d'injonction hypnotique (accompagnée d'amnésie post-hypnotique?): "Poste des billets sur Sebastian Knight! Poste des billets sur Sebastian Knight!" Justement, voici le texte anglais dont je ne connais que la traduction française citée dans ce billet: nous pouvons à présent juger (favorablement, aurais-je dit, jusqu'à ce que Michael me fasse remarquer, en commentaire, une inexplicable disparition) de la fidélité de la traduction d'Yvonne Davet. Merci Michael!
Vladimir Nabokov: The Real Life of Sebastian Knight, New Directions Publishing, 1941
La Vraie Vie de Sebastian Knight est un roman écrit par Vladimir Nabokov en 1940, à Paris (le roman ne sera publié qu'en 1941 aux États-Unis); il inaugure la carrière d'écrivain anglophone de l'auteur, qui avait, jusque-là, surtout écrit et publié en russe.
Le narrateur, un émigré russe établi en France, comme Nabokov à ce moment de sa vie, est le frère de Sebastian Knight; il ne se considère pas lui-même comme un littéraire et n'ose pas se comparer à son frère récemment décédé: « il y a entre son pouvoir d'expression et le mien une différence comparable à celle qui existe entre un piano Pleyel et une crécelle de bébé » écrit-il, et il lui arrive de prier le lecteur d'excuser le «faible niveau d'anglais» de ses écrits: en effet, alors qu'il n'a une bonne maîtrise que du français et du russe - encore une différence avec son frère qui, lui, était parfaitement trilingue - le narrateur laisse entendre que c'est à un lectorat anglais qu'il destine sa future biographie... Peut-être ce que Nabokov a mis entre nos mains n'est-il pas censé être l'état définitif de la biographie, mais seulement un premier jet? Quoi qu'il en soit, «faible niveau», c'est injustement sévère (serait-ce, de la part de Nabokov cette fois et non de son personnage, excès de précaution ou coquetterie?): tout au plus peut-on trouver quelques formulations bizarres ici et là, qui ne sont du reste pas sans parenté avec les excentricités qui étaient, on nous en a prévenu, la marque du singulier génie de Sebastian.
Le narrateur ne nous donne pas son nom. Mais au cours d'une conversation rapportée, Sebastian l'appelle « V... » et l'on sait qu'il ne porte pas le même nom que lui (ils sont demi-frères, de même père, mais c'est sous le nom de sa mère que Sebastian s'est fait connaître du public). Ce nom de famille paternel laissé dans l'ombre doit être un nom russe et voyons un peu... quels sont les prénoms russes qui commencent par un V? Volodia? Vadim? Vladimir? Ce jeu de devinette est un peu gratuit; continuons d'appeler l'apprenti-biographe « V... »
Comment Sebastian travaillait-il sa prose, jusqu'à lui donner l'éclat singulier qu'admire V? Inventoriant le contenu des tiroirs du défunt, V découvre un fragment de brouillon:
... un bout de papier sur lequel il avait commencé d'écrire une histoire - il n'y avait qu'une unique phrase s'arrêtant court, mais qui me donna l'occasion d'observer le bizarre procédé de travail de Sebastian consistant, en cours de composition, à ne pas biffer les mots qu'il venait de remplacer par d'autres; si bien que, par exemple, la phrase sur laquelle j'étais tombé se déroulait comme suit:
« Comme il avait le sommeil. Ayant le sommeil profond, Roger Rogerson, le vieux Rogerson acheta, le vieux Rogers acheta, craignant tellement Ayant le sommeil profond, le vieux Rogers craignait tellement de manquer le lendemain. Il avait le sommeil profond. Il craignait mortellement de manquer l'événement du lendemain la splendeur un des premiers trains la splendeur aussi ce qu'il fit fut d'acheter et de rapporter chez lui un d'acheter ce soir-là et de rapporter chez lui non un mais huit réveils différents par la taille et la vigueur du tic-tac neuf huit onze réveils de différentes tailles lesquels réveils neuf réveils qu'il plaça qui fit ressembler sa chambre plutôt à ».
Vladimir Nabokov: La vraie vie de Sebastian Knight . Traduit par Yvonne Davet, Gallimard (Du monde entier, 1951, 1962); Folio n° 1081, 1979
La date du 19 novembre, je n'avais pas envie de l'appeler un anniversaire, parce qu'un anniversaire ça devrait être gai, et le 19 novembre c'est une date triste, c'est ce jour-là qu'est mort Bruno Schulz. Mais John Coulthart, dont l'attention est toujours en éveil, vient juste de nous signaler que les frères Quay, qui travaillent depuis des années à l'adaptation en animation image-par-image du livre de Bruno Schulz, Sanatorium pod Klepsydrą (que son éditeur français a préféré appeler Le Sanatorium au croque-mort, pourquoi? je ne sais pas), viennent de terminer un court métrage - pas en animation: à partir d'images d'archives - sur la vie trop brève de Bruno Schulz. Merci John Coulthart! Et il nous a fourni les liens vers ce court métrage, ainsi que vers un extrait prometteur (et déjà un peu ancien) du film d'animation.
Un jour on le verra, ce long métrage animé (longues ou courtes, les animations des frères Quay sont toutes de petites merveilles - je suppose que vous en avez vu - mais il leur faut du temps, aux frères Quay, pour les faire, c'est long, l'animation image-par-image) et ce jour-là on sera contents: le temps sera aboli, comme dans le rêve de Jerzy Ficowski (vous vous souvenez?). Vous remarquerez, d'ailleurs, que le documentaire, les frères l'ont dédié à Jerzy Ficowski, pour des raisons évidentes.
D'une façon générale, l'ensemble du contenu de ce blog est soumis aux règles ordinaires de la propriété intellectuelle (vous savez, "les droits d'auteur s'appliquent à toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination", tout ça…); l'ensemble, c'est à dire aussi bien les citations et extraits à caractère illustratif, toujours présentés comme tels et référencés aussi exactement qu'il m'a paru possible, que les élucubrations dont je suis l'auteur - autrement dit, le reste.
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