Jerzy Ficowski, lycéen, ajusta une plume neuve à son porte-plume, rassembla tout son courage (l'apanage de la jeunesse) et écrivit la lettre que déjà depuis la veille il composait dans sa tête.
"J'avais pu me procurer par hasard l'adresse de Schulz, et c'est avec toute l'exaltation et la naïveté d'un garçon de dix-huit ans que je lui ai écrit. Je lui disais que, même si ce n'était pas important pour lui, il fallait qu'il sache qu'il existait quelqu'un, moi, pour qui Les Boutiques de cannelle constituaient une source permanente d'enchantement, une véritable révélation, que j'avais honte d'avoir ignoré à ce point "le plus grand écrivain de notre temps"* - et qu'il ne fallait surtout pas rejeter la dévotion que lui vouait un jeune homme inconnu. J'y ai ajouté quelques questions, des remerciements chaleureux, tout en espérant timidement recevoir un jour une réponse".
On était en 1942. Envoyée à une adresse déjà périmée, la lettre ne reçut pas de réponse. Son destinataire, lui, n'avait plus que quelques semaines à vivre. Jerzy Ficowski ne rencontra jamais Bruno Schulz.
Mon rêve aujourd'hui a frappé chez lui
Toc toc toc contre le bois brut
Cher Bruno ça y est on peut
descendez donc
Et lui cependant il attend l'inespérable
il ne peut entendre mon rêve
lui qui n'est personne
plus lucide qu'aucun autre
il le sait
il n'y a ni mezzanine
ni lumière
ni moi
Poème placé en exergue de la biographie de Schulz par Ficowski, "Bruno Schulz - Les régions de la Grande Hérésie", édition définitive 2002. Traduit du polonais par Margot Carlier, éditions Noir sur Blanc, 2004
* référence à la présentation par Zofia Nalkowska du premier recueil de Schulz
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