Si l’on me proposait de vivre une deuxième fois ma vie, je dirais hum, oui, d’accord pour relire Nabokov.
Eric Chevillard est toujours de bon conseil. Si nous nous replongions - par exemple - dans La Vraie Vie de Sebastian Knight? V, le personnage imaginé par V. Nabokov, ne pressent-il pas, à trois quarts de siècle de distance, le conseil de Chevillard, et, à défaut de pouvoir relire Nabokov, dont il n'a évidemment jamais entendu parler (fort peu de personnages de fiction connaissent l'existence de leur créateur) ne consacre-t-il pas sa vie à relire Knight, ce demi-frère avec qui il a partagé si peu de choses et qui, lui semble-t-il, lui a laissé des indices un peu partout, des messages secrets qu'il lui appartient de déchiffrer?
... et je n'aime pas m'appesantir en imagination sur certain jour qui vit, dans un hôtel de Paris, Sebastian, âgé de quatre ans environ, délaissé par une gouvernante désemparée, et mon père enfermé dans sa chambre, "juste le genre de chambre qui convient pour la mise en scène des pires tragédies: sous son globe de verre, une pendule vernie arrêtée (deux heures moins dix: moustache cirée aux pointes dressées), le maléfique dessus de cheminée, la porte-fenêtre avec sa mouche saoule entre le rideau de mousseline et la vitre, et une feuille de papier à lettre de l'hôtel sur le sous-main en buvard usagé ". Cette citation est tirée des Albinos en noir, ouvrage sans aucun lien avec ce désastre particulier, mais qui porte l'empreinte de l'inoublié chagrin de jadis, du chagrin d'un enfant abandonné sur un froid tapis d'hôtel, et qui ne sait que faire, avec tout ce temps, vide étrangement, devant lui, ce temps qui n'est plus le temps familier et qui s'étale, s'étale...
Vladimir Nabokov: La vraie vie de Sebastian Knight
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