jeudi 17 novembre 2022

Les règles de l'été valent-elles aussi pour l'hiver?

 Les images de Shaun Tan sont lumineuses; mieux que ça, illuminantes.

Quand il dessine l'été, c'est l'été, c'est comme ça et pas autrement.

Ça sert à rien de discuter avec l'arbitre.

Parmi les règles de l'été, il y en a qui sont, quand on y réfléchit, des règles de bon sens: par exemple, pour jouer du tambour, il faut taper fort, c'est évident, mais pas fort au point que le rebond du maillet vous le fait lâcher et qu'il tombe par terre: après, il peut rouler hors de votre portée, et alors pour jouer du tambour vous faites comment?

C'est le genre de règle qu'on apprend par l'expérience: une règle comme ça, ce n'est même pas la peine de la formuler. Mais en plus, il y a des règles que les grands connaissent, et les petits pas (et, pas de chance, ce sont justement des règles qu'il ne faut SURTOUT PAS enfreindre, à cause des Conséquences); entendre répéter toutes ces règles, il ya de quoi énerver les petits, comme si ça ne suffisait pas que les grands soient grands, et pas faciles à battre à la bagarre.

"For the little and the big", nous dit la dernière page de ce livre de Shaun Tan.


Qu'est-ce qui est mieux, être un grand frère ou un petit frère? Jouer du tambour ou de la trompette? Pour ça, y a pas de règle. Il y a des règles pour presque tout, mais pas pour tout. C'est important de savoir s'il y a une règle pour ci, ou pas de règle pour ça.

"Ne jamais donner les clés de la maison à un étranger", pourquoi les grands savent ça, et pas les petits? C'est pas juste.

Que la couleur rouge est une couleur spéciale, on le sent confusément, sans vraiment comprendre pourquoi; une couleur qu'il faut prendre au sérieux. On ne doit pas faire n'importe quoi avec le rouge.

Quand Shaun Tan a pressé jusqu'au bout tous les tubes où il y a les plus jolies couleurs - tiens, ce sont justement les plus rouges - pour peindre comme il faut des pastèques, des fraises, des cerises et des gâteaux, tout à coup le monde devient gris et froid, comme quand c'est l'hiver.

Et quand dans une image grise et froide comme l'hiver le rouge réapparaît tout à coup - même si ce n'est qu'une petite tache - on comprend mieux en quoi le rouge est une couleur spéciale.

La règle qui dit qu'il ne faut pas marcher sur les escargots, elle cessera à jamais de vous sembler arbitraire au moment vous frissonnerez en réalisant qu'il y a des affinités mystérieuses entre toutes les spirales de l'univers, depuis l'eau qui tourbillonne au fond du lavabo jusqu'aux tornades et aux galaxies.

Ne vous méprenez pas sur l'air sérieux de grand frère donneur de leçons que prend parfois Shaun Tan: il est exactement comme vous, il rit quand on le chatouille.

Quand on a fini de dessiner les robots, les dinosaures, les dinosaures-robots, les lapins rouges et les bons desserts, on peut poser ses crayons et se reposer en mangeant des popcorns, on a compris pourquoi même dans les tableaux les plus colorés de Van Gogh il y a des corbeaux tout noirs. C'est ça aussi, l'expérience.

Et on sait que si l'échelle est un peu trop courte, Shaun Tan sera là pour vous tendre la main et vous aider à grimper tout en haut de l'image.

Je crois que j'aimerais bien avoir un grand frère comme Shaun Tan.


Les lois de l'été, c'est un de ces livres que Shaun Tan "conçoit comme des œuvres destinées à un public d'adultes", et qui sont cependant souvent "catégorisés de par leur format en ouvrages jeunesse"; Shaun Tan, ça ne le dérange pas, il n'y a pas de raison que ça vous dérange vous non plus, vous êtes grand? vous êtes petit? lisez-les.

Shaun Tan, Les lois de l'été (Rules of Summer; Lothian Books, 2013; Arthur A. Levine Books, 2014) traduit par Anne Krief, Gallimard jeunesse,  2014 

 ISBN 978-2-07-065242-6


4 commentaires:

Fresca a dit…

Wonderful art!!!
What I learned on Tan's Wikipedia page--the word Sprezzatura:
'an Italian word that first appears in Baldassare Castiglione's 1528 The Book of the Courtier: "a certain nonchalance, so as to conceal all art and make whatever one does or says appear to be without effort and almost without any thought about it'."

Tororo a dit…

Wow! How serendipitous, that you learned an Italian word through a Sino- Australian artist's bio!

Some day soon I'll blog about Shaun Tan's most successful book, the wonderful The Arrival.
Did you ever stumble upon it?

Fresca a dit…

Oh, I have never seen that book.
We get a TON of children's books donated, and I don't always look closely at them before I stick them on the shelf (they cost 49 cents each, so I don't even have to price them), so it's likely I've missed Tan's books coming in--must pay more attention now!

Tororo a dit…

I know - from the pictures you posted - that many donated books grab your attention; I have to thank you for the discoveries I have made through your blog!