Le même jour, j'apprends (par kwarkito, encore) à la fois l'effacement de Miss.Tic, et l'âge qu'elle venait d'atteindre (le mien): la deuxième information me trouble autant que la première m'attriste; depuis des années que chaque rencontre avec les pochoirs dont elle nous faisait la surprise avec la régularité du tic-tac d'une horloge me réjouissait, chaque nouvelle image aussi fraîche que les précédentes, non seulement je la croyais beaucoup, mais vraiment beaucoup, plus jeune que moi, mais surtout je n'avais n'avais pas eu de mal à me convaincre qu'un sort d'éternelle jeunesse devait la protéger.
lundi 23 mai 2022
mardi 10 mai 2022
Ne plus répondre de rien
Pendant que les présidents du monde jouaient à qui ferait le plus de bruit avec sa bouche, Linda Lê s'en allait sans faire, elle, aucun bruit. Elle nous manquera plus que ne nous manqueraient ces présidents
(à supposer qu'ils se décident un jour à s'en aller, ou, à défaut, à faire un peu moins de tapage).
(Je ne répondrai plus jamais de rien est le titre du dernier roman paru de Linda Lê)
(et une présentation de Linda Lê, sur le site En attendant Nadeau)
vendredi 6 mai 2022
Né sans ailes
Le fils de Golkar Omonenko était né sans ailes. Ce sont des choses qui arrivent. Les médecins font la grimace et parlent d’un être aptère, et, dans la foulée, ils le tuent. Il était né aptère, et il n’avait même pas dans le dos les moignons qui auraient pu annoncer une promesse d’ailes. Sur le plan physique, c’était son seul problème. Pour le reste, par exemple sur le plan psychologique, il ne présentait aucun trouble. Et pourtant sa naissance ne s’était pas déroulée dans des conditions optimales de normalité et de confort, c’est le moins qu’on puisse dire.
[…]
Le cri primal du bébé avait été couvert par le grondement du sol, les détonations des bouteilles de gaz dans les étages, le vacarme des murs d’immeubles qui se couchaient sur la chaussée. L’absence de sage-femme avait été fatale pour Yaïcha Omonenko que la misère et la clandestinité avaient affaiblie. Mais, d’un autre côté, cette absence avait eu quelque chose de positif. Elle avait permis au bébé de voir le jour sans être aussitôt éliminé pour monstruosité. Les épaules du nouveau-né étaient en effet parfaitement lisses, et il n’aurait pas été possible de prétendre que les ailes étaient là, seulement repliées et embryonnaires à l’intérieur du dos, et qu’elle finiraient bien par éclore quand l’enfant aurait grandi. Si un membre du corps médical avait été là, il aurait à peine palpé la chair du bébé au niveau de ses clavicules, et la discussion n‘aurait même pas pu se tenir. On était à un moment de l’histoire humaine où, sur la question de la conformité raciale, aucune blouse blanche ne se laissait fléchir. En cas de non-appartenance flagrante à la race dominante, l’euthanasie était automatique et immédiate. L’affaire aurait été traitée sans délai ni recours. La sage-femme aurait invité le père à aller fumer une cigarette à l’écart, elle aurait retiré le bébé des mains ensanglantées de la mourante, elle aurait une dernière fois, rapidement et par acquit de conscience, vérifié qu’il avait bien les omoplates anormales, et elle lui aurait tapé sur la nuque pour le faire taire de façon définitive.
A la polyclinique, c’était même quelque chose qu’on facturait, cette frappe mortelle.
dimanche 1 mai 2022
Musique in(in)terrompue
Qui, déjà, se plaignait l'autre jour de l'omniprésence des mauvaises nouvelles et de la rareté des bonnes? Klaus Schulze, qui n'avait pas choisi sans une arrière-pensée malicieuse, pour une série d'œuvres récentes, un titre collectif en forme de clin d'œil, Dark Side of the Moog, a attendu que la lune soit noire pour décoller vers l'astre. On pensera donc à lui très fort chaque fois que la lune sera noire, ce qui pourrait arriver souvent en cas d'hiver nucléaire. Il est difficile, même en trichant un peu, de ranger ça dans la catégorie des bonnes nouvelles. Mais merci Klaus Schulze, d'avoir pensé à nous laisser pas mal de titres qu'on peut écouter en boucle quand on a un peu de vague à l'âme.
Photo: Smithsonian