Vous en avez entendu parler, vous, de ce chien qui hante depuis qui sait combien de temps un quartier de Londres, la nuit, toujours la nuit? Le quartier j'ai oublié son nom: il y en a tant, de ces quartiers, qui ont des noms bizarres - anglais, quoi: vous l'avez sans doute remarqué, les noms anglais sont bizarres - mais c'est un de ces quartiers avec de vieilles maisons penchées, des pavés graisseux, et du brouillard, surtout la nuit. En tout cas j'en avais entendu parler, du chien, quelque part au début du rêve: il était facile à reconnaître, ce chien, parce qu'il avait une tête d'homme, et dès qu'il apparaissait à quelqu'un il se mettait à le suivre, comme s'il avait voulu lui parler, sauf que parler il ne pouvait pas: voilà ce qu'on racontait, une sorte de légende urbaine, comme on dit.
Et ça ne ratait pas: sitôt arrivé dans ce drôle de quartier au nom bizarre, voilà le chien, et il se met à me suivre, à me tourner autour, sans me quitter des yeux, comme s'il avait voulu me parler, mais sans rien dire. J'étais bien embarrassé, je ne savais pas trop quoi faire, en lui rendant son regard je lui ai répété à plusieurs reprises: thou hast a human face! comme si c'était une façon d'engager la conversation (ce n'était pas très approprié, je m'en rends bien compte à présent, il aurait très bien pu trouver ça déplacé, insister ainsi sur une particularité physique, en principe ça ne se fait pas; mais sur le moment, j'étais assez fier d'avoir trouvé les quelques mots anglais qui me semblaient convenir à la situation).
La légende ne mentait pas: le chien ne m'a jamais répondu.
Pourquoi je lui parlais comme ça, dans un vieil anglais approximatif? Je me suis demandé, au réveil, si j'avais supposé que ça m'aiderait à me faire comprendre d'un chien anglais qui était là, sûrement, depuis le Moyen Âge, ou bien si ça voulait dire que c'était au Moyen Âge que le rêve se passait et que dans le rêve j'étais Anglais moi aussi.
C'est pas toujours très clair, quelle personne on est, dans les rêves.