jeudi 7 octobre 2021

A la renverse

  J'ai assisté l'autre jour à une scène bien curieuse, une sorte de combat à front renversé, chez des amis: l'un d'eux (né avant-guerre) qui a l'habitude de critiquer tout (et un peu n'importe quoi) sans prendre de gants (et parfois n'importe comment), en qui je voyais donc un parfait candidat pour la défense de thèses complotistes, défendait mordicus la vaccination.
L'autre (un "millenial"), esprit critique aussi, mais - à ce qu'il m'avait toujours semblé -  plus fin, plus subtil, plus ouvert et surtout plus diplomate, affirmait haut et fort (je ne l'avais jamais vu s'opposer à son aîné, sur aucun sujet, avec autant de virulence) son intention de ne pas se faire vacciner, du moins jusqu'à ce qu'il ait "trouvé sur internet des informations plus fiables que celles que donnent les media".
J'étais bien perplexe. Moi qui balance entre deux âges, j'avais un peu envie de dire au jeunot qu'on a beaucoup plus de chances de trouver sur internet des informations moins fiables que celles des media, que le contraire; je me suis abstenu, sachant qu'il pourrait facilement démontrer que sa familiarité avec internet était bien plus grande que la mienne. J'avais en même temps envie de dire à l'autre qu'on peut aussi opposer des objections solides à la "feuille de route" que nous présente notre cher gouvernement mais… bref, je me suis abstenu aussi. Entre l'arbre et l'écorce, il n'est pas bon de mettre le doigt, n'est-ce pas?

Surprise! voilà que, feuilletant les dernières pages ajoutées à son Journal par ce vieux ronchon de Harry Morgan je tombe sur...  vous connaissez, bien sûr, Harry Morgan comme un des meilleurs analystes, historiens, exégètes…  bref spécialistes de la bande dessinée. La lecture de ses Principes des littératures dessinées est indispensable à tous ceux qui s'intéressent aux petites bêtes à grandes oreilles.  Sur différents aspects d'autres secteurs des cultures populaires  (cinéma, télévision,  pulpsserials… ), il donne volontiers son avis, parfois un peu strident, mais toujours appuyé sur une argumentation bien construite. Et le vieux ronchon a souvent raison, son seul tort étant d'exposer ses constructions logiques sans failles dans son dialecte de vieux ronchon (et à l'occasion d'y interpoler à contre-temps ses obsessions personnelles de vieux ronchon, qui le font passer pour plus réac qu'il n'est). 

Citons-le:

Manifestations contre la généralisation du «passe sanitaire». Il y a là une leçon politique. La désinformation génère la défiance. Or la gestion de la pandémie a confirmé que les autorités recouraient systématiquement à la tromperie, sans aucun souci des conséquences. Il s’agit d’affirmer aujourd’hui ce qui paraît le plus expédient, quitte à affirmer le contraire demain: le virus ne circule pas en France, il n’y a pas de pénurie de masques, qui d’ailleurs ne servent à rien; on ne fermera pas les écoles, on n’arrêtera pas la vie; après quoi on impose le masque, on impose non le couvre-feu mais les arrêts domiciliaires, le confinement; il n’y aura pas de vaccination obligatoire pour telle ou telle catégorie; il n’y aura pas d’extension du passe sanitaire; après quoi on annonce la décision exactement inverse. On pourrait tout résumer par ce trait: dans «réglementeur», il y a «menteur». Il était impossible de démontrer de façon plus éclatante aux populations qu’on ne pouvait accorder aucun crédit à la parole institutionnelle, triplement marquée par le mépris, la bêtise et la duplicité.
En pareil cas, ce ne sont pas les modérés, les raisonnables, qui l’emportent. Le peuple auquel on a fait injure, excédé à la fin, se jette dans les bras des lunatiques et des conspirateurs. On a, de cette façon, l’assurance que tout le monde divague. Les comploteurs qui «refusent d’être des cobayes» testent les théories qu’ils sont allé dénicher sur la Toile. En face, le politique et les médias s’enferrent: le virus présenté comme saisonnier, la vaccination censée permettre la reprise de «la vie d’avant», l’appel au civisme. Compte tenu de la contagiosité des variants  –  le variant delta est aussi contagieux que la varicelle  – la vaccination n’amènera pas d’immunité collective (et le vaccin ne permettra donc pas la reprise d’une «vie normale»). Le vaccin freine l’infection, il ne l’empêche pas. «La majorité de la population planétaire, même vaccinée, sera infectée par le virus, vraisemblablement plus d’une fois», écrit François Balloux de University College, Londres. Le vaccin diminue la transmission, il ne l’empêche pas: vacciné, on contaminera toujours les autres, même si ce sera dans une proportion moindre. En revanche, les vaccins permettent d’éviter les formes sévères de la maladie. En somme, on se vaccine pour se protéger soi-même. Or cette explication est trop compliquée pour le binarisme du discours public, et elle heurte de front son moralisme.
[…]
Le plus fort est que les instruits, les aisés, sont prisonniers des mensonges ni plus ni moins que les gens qui «ont fait des recherches sur internet», puisque, trop confiants dans le discours médiatique, ces vertueux, ces adaptés, ces vaccinés, pensent que les restrictions sont dues au refus de se vacciner des autres, des comploteurs (encore une fois, les restrictions sont dues à la contagiosité ravageuse du variant delta, contre laquelle le vaccin ne protège pas). Et les aisés se radicalisent contre la plèbe. On arrive donc à une franche rupture, comme aux États-Unis, entre les élites woke et la population des «déplorables»  (Il n’est pas certain du reste que le pouvoir trouve à redire à pareille situation. Je crois plutôt qu’il y voit l’occasion de recruter et de mobiliser).

Hé bien, voilà ce que j'aurais pu dire à mes deux amis, si j'aurais causé aussi bien que comme Harry Morgan. Mais je me demande si je n'ai pas aussi bien fait de me taire: ce n'était sans doute pas ce qu'ils avaient - ni l'un, ni l'autre - envie d'entendre. 

 

Citation de Harry Morgan donnée à titre d'exemple et d'illustration.


3 commentaires:

Phersv a dit…

Oui, nous payerons longtemps les conséquences du mensonge de Véran sur les masques au début lorsqu'il découvrit que le stock ne serait pas suffisant. Mais le conspirationnisme se répand en épidémie même si Véran avait dit la vérité et nous avons historiquement plus de défiance envers nos gouvernements que les populations allemandes ou danoises par exemple.

J'ai l'impression que les Britanniques sont plus indulgents envers leur gouvernement alors que celui-ci a vraiment commencé la crise en se disant "laissons mourir les vieux, tant pis".

ta d loi du cine a dit…

Merci pour m'avoir fait connaître le sieur Morgan et ses analyses bien balancées!

Tororo a dit…

Vous êtes les bienvenus ici, les amis. Je vous touche le coude!