vendredi 26 mars 2021

Robert Walser tourne autour du pot



Mon compagnon, curieusement, s’installa chez moi sans mot dire.
De temps à autres, ses mains exprimaient quelque chose, au moyen de petits signes, qui avaient l’air de ressembler à un mot.
Lorsque je dis qu’il me semblait le connaître, j’exprime une impression étrange.
Étranges, les événements dont on rêve la nuit le sont habituellement à tous égards. Tout ce que l’on voit en rêve frise le comique, et il me parut bel et bien un peu comique, celui qui me faisait l’honneur d’être mon hôte, même si c’était juste en passant.
Quant à la maison, en tous cas, elle n’était qu’une apparition éphémère, car je voyais l’étrange dispositif architectural s’ouvrir tout en se refermant, apparaître tout en s’effaçant, je le voyais s’éloigner tout en se rapprochant.

À présent, nous nous trouvions tous les deux dans une chambre autour de laquelle s’étendait une autre chambre. En sorte que la pièce, comme amande dans sa coque, comme tableau dans son cadre, était sertie dans une autre pièce, ce qui était du meilleur effet.

Après coup, je tends à penser qu’en plus, il y avait des livres sur la table.

Est-ce que gribouiller, au fond, ce ne serait pas avant tout cela, tournailler ou errer sans cesse autour de l’essentiel, comme s’il pouvait y avoir quelque gourmandise à tourner autour du pot?
En écrivant, on repousse toujours le plus important, ce sur quoi on aimerait absolument mettre l’accent, et on ne cesse de parler ou d’écrire à propos de quelque chose de tout à fait secondaire.
Voilà tout ce que je savais: le visiteur qui avait trouvé le chemin jusqu’à moi était un écrivain de renom, ce qui n’avait rien d’étonnant, mais qui exerçait sur moi l’effet le plus singulier.
Était-il le pot autour duquel je tournais, ou bien étais-je moi-même ce pot, pour lui? Avait-il quelque chose à me dire, ou avais-je, moi, quelque chose de capital à lui dire?
C’est alors que je m’éveillai.


Est-ce que gribouiller, au fond,
ce ne serait pas, avant tout, cela?





(Prosen aus der berner Zeit 1921-1933), 
traduction de Marion Graf, 
 
Illustration: Robert Walser
en train de gribouiller, lui-même
gribouillé par son frère Karl Walser

3 commentaires:

Michael Leddy a dit…

I tried to leave a comment (in French no less), but Blogger wouldn’t accept it. Anyway, I just wanted to say that I’m happy to know that you too are a Walser reader.

Tororo a dit…

How comes Blogger wouldn’t accept your comment? I have no idea.
Be sure your comments are always welcome here!

(all ANSoTS Walser posts here: https://tororoshiru.blogspot.com/search/label/Robert%20Walser )

Michael Leddy a dit…

I know there’s no problem on your end. It happens with other blogs too when I’m trying to write a comment on the phone. Google seems to want me to sign in again, even though I’m already signed in.