lundi 2 mars 2020

Aux Champs Élyséens j'ai goûté mille charmes: Lore Olympus (Grands Webcomics du XXI° siècle, 10)



Hades: - Persephone, you're one of the reasons 
why the mortals see us as Gods 
and not complete monsters.


Lore Olympus (webcomic écrit et dessiné par Rachel Smythe) je l'ai découvert grâce à Algésiras (merci Algésiras!) et j'y suis devenu accro (euh… merci?).

Les Immortels ont fait les hommes à leur image, et Rachel Smythe le leur a bien rendu.

Être immortel, concrètement, ça a quoi, comme conséquences? Hé bien, par exemple, on n'est jamais démodé, on peut même se permettre d'avoir de l'avance sur la mode, puisqu'elle a l'éternité pour nous rattraper.
Dans Lore Olympus, les mortels - on en aperçoit quelques-uns, ils font de la figuration, tous les premiers rôles étant, eux, immortels - portent le chiton ou l'himation, les sandales et le pétase, et ils parlent comme des contemporains d'Homère, ils disent des choses comme: "Éloigne-toi, ô toi qui ne dois pas être vu!" ou "Être divin, entends la prière de celui-ci qui fut mortel et qui n'est plus qu'une ombre! Permets que prospère la ferme que j'ai laissée à ma famille!"
Les Immortels, eux, n'ont pas de scrupule à dire "Oh, shit" et à se déplacer en limousine (elles doivent fonctionner, je suppose, à l'énergie éthérique, ou phlogistique, plutôt qu'à l'essence de pétrole). Et ils tweetent. Et ils font des selfies. Et ils vont cancaner sur SnarkyChat. Et ils se friendent sur Fatesbook. 
Que voulez-vous, ils sont faillibles: ça, ça n'a pas changé depuis  les temps homériques.
Le procédé en soi n'est pas nouveau: déjà dans l'Ulysse de Lob et Pichard, déjà dans Thor ou Wonder Woman, certains des attributs des dieux étaient représentés comme des engins hyper-technologiques (toute technologie suffisamment avancée étant indiscernable, etc. etc. vous connaissez le refrain). 
Ce qu'en fait Rachel Smythe: elle en décrit les effets sur la "vie quotidienne" de ses immortels, et ça ressemble beaucoup à vos propres mésaventures connectées. 
Vous pensiez que la mythologie était quelque chose de très éloigné de nous? Think again.

Tout le panthéon grec est présent dans le webcomic de Rachel Smythe: sa character list est plus classe que la guest list du festival de Cannes. Une liste, donc, bien colorée, mais c'est un petit bonbon rose qui vole toutes les scènes où elle apparaît: Korè - pardon, je veux dire Perséphone. Comme vous partagez avec les Immortels le privilège d'aller sur internet, vous trouverez facilement des tonnes d'informations sur Perséphone et sa famille compliquée: par exemple chez Terri Windling, qui va rapidement à l'essentiel ou sur Wikipédia qui est plus prolixe et fournit un tas de liens vers des ouvrages spécialisés. Attention, spoiler: une des premières choses qu'en faisant ces recherches vous apprendrez sur notre héroïne est sa généalogie, que dans le webcomic cette jeune fille innocente ne connaît pas encore  à ce jour, au bout de cent épisodes, sa maman ne lui a toujours pas révélé qui était son papa (autre spoiler: Rachel Smythe est en train de concocter une explication de son cru - peut-être inspirée par ces vers de la Théogonie qui mentionnent des déesses ayant conçu sans s'être unies à aucun autre dieu? - à la venue au monde de Perséphone).
Et il y a d'autres choses dont Déméter n'a encore jamais parlé à Korè.
Erreur pédagogique très commune.
Même si - prenons un exemple au hasard - vous vous appelez Hébé et si vous êtes l'incarnation de la Jeunesse, vous n'appréciez pas que votre maman Héra, en réponse à des questions sérieuses, vous dise "C'est compliqué, c'est des histoires de grandes personnes" en vous faisant pouic sur le nez comme si vous étiez un bébé.

Comme le récit de Rachel Smythe, malgré les apparences, est très fidèle au mythe, nul doute que Korè apprendra un jour tout ce qu'on ne lui a pas dit, et… ce sera intéressant de voir comment Rachel mettra en scène sa réaction. 
Jusqu'à présent, la principale préoccupation de la petite Korè a été de ne jamais décevoir personne - surtout pas sa maman - mais peu à peu une deuxième préoccupation se fait jour: celle de s'affirmer, de prouver qu'elle n'est pas juste une petite campagnarde naïve (c'est comme ça qu'elle se décrit elle-même à plusieurs reprises); elle découvre petit à petit (comme les héroïnes de Marvel ou de DC) qu'elle a des pouvoirs qu'elle ne soupçonnait pas (elle peut voler!!! qu'est-ce qu'elle peut bien encore avoir en réserve?), et, ma foi, c'est bon pour l'estime de soi, ce genre de choses.

En lisant son CV (vous ne le trouverez pas dans la bibliographie proposée par Wikipédia: c'est une exclusivité Lore Olympus), on est bien sûr, tenté de la décrire comme une "overachiever":
- Overall winner chess Olympus championship, 3 times running
- Junior swimmer Olympianswimming champion
- Mathematics champion
- Newest recipient of the
TGOEM (The Goddesses of Eternal Maidenhood) academic scholarship…


Ah. La bourse d'études offerte par Les Déesses de l'Éternelle Virginité (immarcescibles administratrices: Hestia, Athéna, Artémis).
Les Olympiens s'intéressent-ils assez à la mythologie? Il y a un truc mentionné dans un mythe, un gadget appelé la Boite de Pandore. Les Déesses de, etc, n'ont peut-être pas assez médité l'avertissement contenu dans ce mythe. Le cursus choisi par Perséphone (qui a grandi dans un environnement hyper-protégé) impliquait qu'elle fasse un stage en entreprise; Héra, la reine de l'Olympe, lui a fourni une recommandation pour une des plus prestigieuses: elle ne pouvait pas faire moins, n'est-ce pas, pour la fille de la grande Déméter… et c'est comme ça que tout a commencé.
Pourquoi certains d'entre vous ont-ils un mauvais pressentiment?
C'est la drôle de tête qu'a fait Déméter quand on lui a appris la bonne nouvelle qui vous inquiète?
Déméter, des temples lui sont consacrés par toute la Terre, des prières sans nombre lui sont adressées tous les jours: c'est comme par réflexe qu'on lui fait confiance… pourtant dans certains épisodes de Lore Olympus sont disséminés des indices qui suggèrent qu'elle garde pour elle quelques sombres secrets de famille.



Pour nous rassurer, allons interviewer le superviseur de Perséphone.
- Monsieur Hadès, hum, euh… grand Hadès, ô Souverain du Monde d'En-Bas, voulez-vous bien vous présenter pour nos lectrices et lecteurs?
- I'm an immortal being with unspeakable powers and unmeasurable reach.
- Et…  pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de votre nouvelle stagiaire?
- She just makes me feel all warm and snuggly inside when I think of her.
Wait… I mean… No comment.


Je me sens moi-même tout warm and snuggly inside quand je vois Perséphone: même réaction dans tout le vaste fandom que Lore Olympus, en deux ans, a déjà accumulé.
La forme choisie par le site Webtoon qui héberge la série est particulièrement bien adaptée à la lecture sur écran (et sur tablette). Contrairement à plusieurs des webcomics dont nous avons déjà parlé, cette présentation ne reprend pas les codes de la page imprimée: pas de gaufrier, les cases s'affichent l'une après l'autre.
Certaines cases se suivent à touche-touche; entre certaines autres, la narratrice a interposé une certaine distance qui impose au lecteur un scrolling délibérément frustrant.  Entre une remarque pertinente (ou impertinente, ça dépend du point de vue) de Perséphone


 et la réaction de son interlocuteur,



prend place une attente insoutenable qui peut durer jusqu'à… plusieurs dixièmes de seconde, et c'est délicieux.
Il y a ainsi une scène dans un ascenseur (pas n'importe quel ascenseur, celui qui mène des régions supérieures de l'Hadès jusqu'aux régions… inférieures - ça fait beaucoup d'étages) qui vaut son pesant de baklava. Il me suffira de vous dire que les "silences" y comptent autant que le dialogue.


- Et vous, Hécate, Maîtresse de la Nuit, que pensez-vous de Perséphone?
- She's a sight for sore eyes.

Je confirme: chaque apparition de Perséphone dans ce webcomic qui n'a pas peur de faire clasher les couleurs me fait du bien aux yeux.

De toute évidence, tout ne sera pas simple pour Perséphone: les super-pouvoirs ne résolvent pas tout (demandez à Superman). 
Mais on peut attendre la suite avec confiance: elle est pleine de ressource, la petite.
Au moment où je vous parle (et il en est ainsi depuis un temps immémorial),  Perséphone prend dans son panier à provisions la farine et le beurre, puis elle pétrit la pâte, bientôt elle disposera la baklava  dans la corbeille.
Elle sait ce qu'elle fait, ne vous en faites pas.





Jeunes gens, prenez-en de la graine.
Et à l'occasion, demandez-vous pourquoi les mystères la germination sont célébrés loin des rayons du soleil.


Un dernier conseil: si vous pressentez que vos jours sont comptés, voici un contact utile:
persephone@underworld.com
Il ne sera sans doute même pas nécessaire de lui dire "Déesse de beauté et de compassion, entends ma prière", elle prêtera attention même à un simple "je crois qu'on devrait se voir bientôt, vous auriez un créneau pour qu'on se parle?"
Cette déesse pourra sans doute vous apporter plus d'aide qu'Hermès et Thanatos réunis.




Toutes les images © Rachel Smythe

2 commentaires:

Phersv a dit…

Décidément, ce thème de Perséphone est à la mode en ce moment dans les WebComics : il y a aussi Punderworld de Linda Sejic.

Tororo a dit…

Punderworld est brillamment exécuté... mais... mais... Lore Olympus est juste AAAAAWWWW!!!