jeudi 28 août 2014

Goodness, gracious, pumpkin pie!


Carson McCullers, vous la connaissez, bien sûr, pour ses romans: Le cœur est un chasseur solitaire, ou Frankie Addams, par exemple, ou pour La ballade du café triste… Ce n’est pas à ses livres pour enfants, ou plutôt à son unique livre pour enfants, qu’elle doit sa réputation, c’est sûr. A propos de ce petit recueil de vignettes rimées, Sweet as a Pickle and Clean as a Pig, Ariel S. Winter, sur son blog We too were children, Mr Barrie (c’est là que j’ai découvert l’existence de ce recueil), écrit que c’est: une simple note en marge d’une bibliographie exceptionnellement brillante. Et d’énumérer des défauts: manque d’unité, pauvreté rythmique, mélancolie omniprésente. Carson McCullers, pense Ariel Winter, ne savait pas ce qui plaît aux enfants. Jess, autre lecteur de  McCullers, se montre plus enthousiaste, mais c’est un enthousiasme de collectionneur. Et de fait, froidement accueilli par la critique, rarement réédité, peu traduit (je n’ai pas trouvé trace d’une publication française pour cet ouvrage), Sweet as a Pickle passe à présent, juste cinquante ans après sa parution, pour une simple curiosité pour bibliophiles. N’anticipait-elle donc pas les réactions de ses lecteurs, Carson McCullers? Pour quelle sorte d’enfant écrivait-elle? Principalement, vous l’avez compris, pour la petite fille qui habitait à l’intérieur de sa tête, celle qui demandait: C’est où, nulle part?  et s’étonnait de ne pas recevoir de réponse.
Je les aime bien, quant à moi, ces petits poèmes un peu boiteux, un peu bizarres, un peu drôles, un peu tristes… pour citer Carson McCullers elle-même, that’s good enough for me.*

Olden Times
  
I told my mother about a monkey, 
And she said,
"Goodness, gracious, pumpkin pie,
How that carries me back, oh my.
When I was a child in Peach Tree Valley,
Around our town I would sally.
In summertime, the green and golden summertime.
And there was the monkey and the monkey man.
The monkey man would grind gay tunes
In the long, long summer afternoons.
The dressed up monkey would dance,
The dressed up monkey would prance.
Dancing and prancing he would bow and scrape, 
And hold out his cap for money.
Children would laugh and put in his cap
Pennies and nickels, quarters and dimes.
For a dime, he would shake hands
And tip his cap to the monkey man.
For a quarter he started all over
Bowing and scraping as the  monkey man grinned
to the sound of sweet tunes
In the golden green of the afternoons."
My mother's voice was sad and gay
As she talked of olden times, so far away.
I asked what happened to the  monkey and the  monkey man.
"Drink your milk, darling, I do not know,
It was such a long, long time ago."

Carson McCullers,  
Sweet as a Pickle, clean as a Pig

Pas de traduction française, donc, que je sache, pour ces petits poèmes. Que diriez-vous alors d'un petit essai de transposition?

L’ancien temps

Quand, en parlant, comme ça... j'ai lâché le mot "singe",
Ma mère a eu l’air de partir dans un songe,
Et elle a dit: Miséricorde et doux Jésus,
Ça nous rajeunit pas, tout ça, hu-hu.
Quand j’étais petite au Bois-Saint-Gambais,
Tout autour du pays je me baguenaudais,
Tous les étés, des étés dorés,
Comme il y en avait avant, des étés.
On allait voir le singe
Et le montreur de singe.
L'homme au singe tournait, tournait sa manivelle
Tout l’après-midi: 
ça en faisait, un tas de ritournelles!
"Les beaux messieurs font comme ça": 
et le singe faisait comme ça.
"Les belles dames font comme ça": 
et le singe faisait comme ça.
Après ça il faisait la quête:
Nous, on mettait dans sa casquette
Ce qu’on avait: des sous, des quat’-sous, 
Des fois même, des pièces-vingt-sous.
Quand c’était quat’ sous, ils topaient-
-Là, homme et singe, main dans la main,
En nous regardant d’un air malin;
Mais pour vingt sous, le singe refaisait
Tout son numéro, faisait la révérence
Et le bonhomme jouait des danses,
C’était de beaux après-midis, 
En ce temps-là, qu’on était petits. 
Elle avait l’air gai, maman, et triste en même temps
En parlant de ces jours du temps de l’ancien temps.
Je lui ai demandé, à maman,
Et l’homme, et le singe, où ils sont maintenant?
Bois ton lait, ma chérie, je ne sais pas,
C’était il y a tellement, 
tellement longtemps,     
tout ça. 



J’ai été fortement tenté, je l’avoue, de conserver sans les traduire les expressions qui font couleur locale, goodness, gracious, pumpkin pie, Peach Tree Valley, et les pennies et les nickels, les quarters et les dimes… (surtout goodness, gracious, pumpkin pie, je trouve ça mignon, oh my!).. Mais il m’a semblé que ça faisait trop artificiel, trop dissonant, alors j’ai cherché des équivalents. J’ai transposé, plutôt que traduit. Oui, c’est vrai, Bois-Saint-Gambais traduit Peach Tree Valley d’une façon aussi scrupuleuse que La Poursuite impitoyable traduit My Darling Clementine (ou que La Chevauchée Fantastique traduit She wore a yellow Ribbon). Je suis sûr que Carson McCullers ne m’en voudra pas. Après tout, ce qu’elle a écrit, ce sont des vers libres.



*I’ve never seen the ocean,
I’ve never seen the sea,
But once I loved a sailor,
And that’s good enough for me.
Carson McCullers, Song for a Sailor
dans Sweet as a Pickle and Clean as a Pig



Lecteurs curieux, Ariel S. Winter a mis généreusement à votre disposition des scans d'excellente qualité de son exemplaire de Sweet as a Pickle and Clean as a Pig, ici.

3 commentaires:

Lumir a dit…

Jolie découverte que ces poèmes à la voix d'enfance. Difficile dilemme la traduction… mais ton "adaptation" me plaît bien !

dasola a dit…

Bonjour Tororo, merci pour cette découverte et surtout d'évoquer Carson McCullers disparue trop tôt et qui a marqué son époque (et peut-être moins, maintenant) Bonne après-midi.

Tororo a dit…

Lumir, Dasola, merci pour vos messages; qui pourraient (s'il en était besoin) contribuer à confirmer que Carson McCullers est toujours appréciée!