La voix de la poésie a le pouvoir d'établir un dialogue avec les fantômes, et, une fois le fantôme évoqué et convoqué par son médium, les deux interlocuteurs peuvent parfaitement faire abstraction de tous les éléments sensoriels qui ont rendu possibles cette rencontre: la voix, le toucher, la vue, l'odorat et le goût. Ce qui compte, une fois que la convocation a eu lieu, c'est la pure présence du fantôme. Celle-ci peut advenir dans le plus parfait silence, et dans l'immanence fantômatique qui se suffit à elle-même.
Sur la pure présence du fantôme convoqué, une grande poétesse a écrit un texte inégalable:
Conscious am I in my Chamber,
Of a shapeless friend -
He doth not attest by Posture -
Nor Confirm - by Word -
Neither Place - need I present Him -
Fitter Courtesy
Hospitable Intuition
Of His Company -
Presence - is His furthest license -
Neither He to Me
Nor Myself to Him - by Accent -
Forfeit Probity -
Weariness of Him, were quainter
Than Monotony
Knew a Particle - of Space's
Vast Society -
Neither if He visit Other -
Do He dwell - or Nay - know I -
But Instinct esteem Him
Immortality - *
(texte rédigé en partie directement en français par l'auteur, avec la complicité de Bernard Comment);
Dans le livre de Tabucchi, la traduction proposée
pour le poème d'Emily Dickinson est la suivante:
*Je sens dans ma Chambre
Un ami sans forme
Il ne s'annonce par le Geste-
Ne se Confirme - par la Parole -
Place - n'ai besoin de Lui faire -
Meilleure Courtoisie
L'hospitalière intuition
De Sa Compagnie -
La Présence - est Sa seule licence -
Lui envers Moi
Ni Moi envers Lui - par le Verbe -
Ne manquons à l'Honneur -
Être lasse de Lui serait plus étrange
Que si la Monotonie
Connaissait une Parcelle - de la vaste
Société de l'Espace -
Et s'Il rend à d'Autres visite -
Demeure-t-Il - ou Non - je ne sais -
Mais l'Instinct L'appelle
Immortalité -
traduit de l'anglais par
William English et Gérard Pfister,
Paris, Arfuyen, 1989
Rien n'échappe à l'œil des chats: sur leur blog, ils ont signalé, à plusieurs reprises, la présence, en des recoins du Web où l'on ne se serait pas forcément attendu à les croiser, de quelques-uns de ces fantômes dont l'invisibilité n'était pas un déguisement suffisant pour qu'ils trompent la vigilance d'Emily Dickinson, par exemple ici, ici, ou là; et je vous recommande tout particulièrement ce billet, qui vous ouvrira une porte sur l'univers nocturne, fréquenté par de bien étranges visiteurs, de Warren Criswell.
Les manuscrits d'Emily Dickinson, vous vous en souvenez, vous pouvez les consulter ici.
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