jeudi 8 mai 2014

Nouvelle visite aux fantômes (Emily Dickinson, Antonio Tabucchi)


La voix de la poésie a le pouvoir d'établir un dialogue avec les fantômes, et, une fois le fantôme évoqué et convoqué par son médium, les deux interlocuteurs peuvent parfaitement faire abstraction de tous les éléments sensoriels qui ont rendu possibles cette rencontre: la voix, le toucher, la vue, l'odorat et le goût. Ce qui compte, une fois que la convocation a eu lieu,  c'est la pure présence du fantôme. Celle-ci peut advenir dans le plus parfait silence, et dans l'immanence fantômatique qui se suffit à elle-même.
Sur la pure présence du fantôme convoqué, une grande poétesse a écrit un texte inégalable:

Conscious am I in my Chamber,
Of a shapeless friend -
He doth not attest by Posture -
Nor Confirm - by Word -

Neither Place - need I present Him -
Fitter Courtesy
Hospitable Intuition
Of His Company -

Presence - is His furthest license -
Neither He to Me
Nor Myself to Him - by Accent -
Forfeit Probity -

Weariness of Him, were quainter
Than Monotony
Knew a Particle - of Space's
Vast Society -

Neither if He visit Other -
Do He dwell - or Nay - know I -
But Instinct esteem Him
Immortality -  *


Antonio TabucchiSur Requiem, Paris février 1998 
(texte rédigé en partie directement en français par l'auteur, avec la complicité de Bernard Comment); 
repris dans Autobiographies d'autrui: poétiques a posteriori, Éditions du Seuil 2003

Dans le livre de Tabucchi, la traduction proposée 
pour le poème d'Emily Dickinson est la suivante:

*Je sens dans ma Chambre 
Un ami sans forme 
Il ne s'annonce par le Geste- 
Ne se Confirme - par la Parole -

Place - n'ai besoin de Lui faire - 
Meilleure Courtoisie 
L'hospitalière intuition 
De Sa Compagnie - 

La Présence - est Sa seule licence - 
Lui envers Moi 
Ni Moi envers Lui - par le Verbe - 
Ne manquons à l'Honneur - 

Être lasse de Lui serait plus étrange 
Que si la Monotonie 
Connaissait une Parcelle - de la vaste 
Société de l'Espace - 

Et s'Il rend à d'Autres visite - 
Demeure-t-Il - ou Non - je ne sais - 
Mais l'Instinct L'appelle 
Immortalité -


Emily Dickinson, Vivre avant l'éveil, 
traduit de l'anglais par 
William English et Gérard Pfister, 
Paris, Arfuyen, 1989


Rien n'échappe à l'œil des chats:  sur leur blog, ils ont signalé, à plusieurs reprises, la présence, en des recoins du Web où l'on ne se serait pas forcément attendu à les croiser, de quelques-uns de ces fantômes dont l'invisibilité n'était pas un déguisement suffisant pour qu'ils trompent la vigilance d'Emily Dickinson, par exemple ici, ici, ou ; et je vous recommande tout particulièrement  ce billet, qui vous ouvrira une porte sur l'univers nocturne, fréquenté par de bien étranges visiteurs, de Warren Criswell.


Les manuscrits d'Emily Dickinson, vous vous en souvenez, vous pouvez les consulter ici.

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