dimanche 1 décembre 2013

Monstration


Je suis en avance, sans doute: les gradins du cirque sont encore vides. Assis sur une banquette d’une rangée élevée, je baisse les yeux vers la piste. 
Le montreur de phénomènes aide l’homme-corail à enfiler son costume. 
Comme John Merrick, l’homme-éléphant, la merveille exotique est un pauvre homme dont l’ossature présente des déformations extrêmes, sans doute congénitales: un bras trop long et tordu, une jambe trop courte, une bosse d’une ampleur fantastique. Mais son imprésario estime que son apparence n’est pas encore assez étrange pour émerveiller le public, et lui impose le port d’une tenue de scène: un collant ajusté couleur chair, sur lequel on a fixé je ne sais comment (leur réalisme est surprenant: les y a-t-on cousus ou les y a-t-on fait pousser?) des appendices en forme de branchages, si touffus que de loin on dirait une masse de lichen, elle aussi de couleur chair. 
En fait, ce à quoi ce déguisement me fait penser, ce n’est pas vraiment à un buisson de corail, mais à un de ces succulents champignons qu’on appelle pied-de-mouton. À ma grande confusion, je réalise que cette mascarade de mauvais goût, au lieu de ma compassion pour sa victime, c’est mon appétit qu’elle éveille. 
Mais comment commander une bonne fricassée de pieds-de-mouton sous ce pauvre chapiteau? Comme la vie, le rêve est parfois injuste.

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