Les deux dernières années de sa vie, frappé de sénilité, il ne se rappelait plus quel abominable tyran il avait été et distribuait à la ronde des sourires horripilants.
samedi 30 novembre 2024
Le destin des despotes
jeudi 28 novembre 2024
Ce qu'on peut attendre de Radu Jude
Radu Jude, vous vous souvenez? Je vous avais parlé de lui il y a trois ans, à propos du passage, sur Arte, de son film Îmi este indiferent daca în istorie vom intra ca barbari (ça veut dire Peu m'importe si l'Histoire nous considère comme des barbares); l'an dernier il en a réalisé un autre, qu'il appelé Nu astepta prea mult de la sfârsitul lumii (ça veut dire N’attendez pas trop de la fin du monde). Celui-ci je ne l'ai pas encore vu (pas sorti en salles; surveillez Mubi!), mais on peut déjà en conclure que Radu Jude est très fort pour donner à ses films des titres mémorables (et qui collent à l'actualité, en plus).
mercredi 27 novembre 2024
Novembre, mois du souvenir?
Vous devez vous dire, lecteurs attentifs, qu'en ce mois du souvenir, j'ai oublié beaucoup de choses: de vous rappeler les anniversaires de Masamune Shirow et d'Alan Moore; pour Masamune Shirow, c'était le 23, vous pouvez encore le lui souhaiter un peu en retard, quant à Moore, il est par ailleurs bien présent dans l'actualité, avec un gros livre de magie (un bumper book indeed) auquel il a travaillé (avec son quasi-homonyme Steve Moore) une bonne quinzaine d'années. John Coulthart en a enrichi la maquette d'une ribambelle de fanfreluches qu'il a sorties de sa manche et il n'en est pas peu fier! Il en reparle ici. Et le livre? Vous pouvez aller en voir un peu.
Tout ça ce n'est pas à cause de trous de mémoire, c'est parce que tout le mois j'ai été très occupé ailleurs.
Ce dont j'aurais vraiment dû vous parler plus tôt, c'est du dernier Jaworski: une toute petite plaquette intitulée "Les Fauteurs d’Ordre" (dans la collection Lunes d'encre de Denoël).
Ça parle d'un salaud ordinaire qui fait des saloperies ordinaires et à qui il arrive une saloperie ordinaire: un sujet que des nouvelles de Jaworski ont déjà traité avec plus de souffle (Mauvaise Donne, Profanation, Désolation...); si l'auteur a fait si court, c'est sans doute qu'il avait envie d'aller droit au but. Il se concentre sur l'enchaînement des faits, sans donner beaucoup de place au worldbuilding (à première vue - mais je peux me tromper - ça ne se passe pas dans l'univers du Vieux Royaume, mais dans un monde de fantaisie historique plus générique). Comme dit Alias, ce qu'on retiendra surtout, c'est que "toute ressemblance avec des événements récents n’est pas une coïncidence."
En effet, Oncle Alias a fait de cette nouveauté un compte-rendu très mesuré: "on a connu Jean-Philippe Jaworski plus subtil" et hasarde une hypothèse: " L’auteur, que l’on imagine très énervé pendant la réaction de ce texte, ne prend pas de gants pour montrer la montée du fascisme et ses effets." Et il conclut: "Je ne recommanderais pas forcément Les Fauteurs d’Ordre comme une lecture indispensable, mais pour son prix – une thune, soit cinq euros (ce qui, à la réflexion, fera sans doute plus qu’une thune en Suisse) – c’est une trentaine de pages qui se laissent lire sans déplaisir."
Oui, on peut imaginer Jaworski énervé. Dénoncer le fascisme est un travail de Sisyphe. Mais il paraît que, si on a beaucoup d'imagination, on peut aussi imaginer Sisyphe heureux.
Et moi qu'est-ce que j'en pense? C'est du Jaworski, alors je prends. Si vous hésitez, vous les retrouverez sûrement plus tard, ces fauteurs, dans un recueil de nouvelles, en compagnie d'autres félons et canailles. Vous pouvez aussi le considérer comme un manifeste, et le faire circuler autour de vous comme d'autres l'ont fait en d'autres temps pour Indignez-vous! de Stephane Hessel...
Ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé de Jean-Philippe Jaworski dans ce blog! Ce n'est sans doute pas trop grave, il a fait parler de lui tout seul: ça ne vous a sûrement pas échappé, il a publié deux branches des Rois du Monde, des nouvelles et des articles un peu partout et tout récemment - je pense qu'on y reviendra - Le Chevalier aux épines! Trois tomes chez les Moutons Électriques, deux poches chez Denoêl.
lundi 11 novembre 2024
Victoire
Elle était née le 11 novembre 1918; aussi ses parents n'avaient pas hésité longtemps avant de lui trouver un prénom: elle s'appellerait Victoire. Elle n'a pas vécu tout à fait cent ans, mais presque, et n'a pas laissé de trace dans l'Histoire. Qui se souvient d'elle? Moi. Je me souviens de son sourire, de son regard resté malicieux jusqu'à la fin. C'est aujourd'hui ton anniversaire, Victoire.
dimanche 10 novembre 2024
Une affaire à régler
Les personnages des romans en savent parfois plus long, sur les romanciers qui les ont imaginés, que ces romanciers eux-mêmes. Et il n'est pas sans exemple qu'ils aient eu, davantage que ceux-ci, le souci de leurs intérêts.
Voyez Simon Tanner, désigné dès le premier roman de Robert Walser comme exécuteur testamentaire d'un jeune poète que le froid devait mettre encore cinquante ans à tuer.
Le troisième jour le conduisit dans une ville imposante et belle où il n'avait qu'une affaire à régler: trouver un rédacteur auquel il pût remettre les poèmes de Sebastian.
Arrivé devant la maison qu'on lui avait indiquée,
il pensa brusquement qu'il ne serait pas très malin d'apporter lui-même les poèmes de quelqu'un qu'il avait trouvé mort.
Il écrivit donc sur la couverture du cahier bleu
ce titre:
Poèmes d'un jeune homme trouvé mort de froid
dans une forêt de sapins,
aux fins de publication, si possible,
et il jeta le cahier dans la grande boîte aux lettres prétentieuse,
où il tomba bruyamment.
Cette chose faite, Simon reprit sa route.
mercredi 6 novembre 2024
Douche froide au réveil
Cette nuit, je me suis couché tard, après avoir écouté d'une oreille (de l'autre, je feuilletais un livre que je prévoyais de lire bientôt) les informations: la compétition entre candidats à la Maison Blanche promettait d'être "serrée", à ce que disaient les journalistes.
Endormi tard, donc, je me suis éveillé tôt, avec le souvenir d'un rêve bizarre, plus bizarre que d'habitude, quasiment un cauchemar (je fais très rarement de vrais cauchemars; mais ce rêve-ci avait quelque chose de... kafkaïen, voilà le mot que je cherchais).
Au début du rêve il y avait eu des rumeurs au sujet d'un scrutin dont la date approchait: je ne m'y intéressais pas particulièrement, je ne faisais pas partie de l'électorat concerné - ça devait se passer dans une autre circonscription, ou un autre département, peut-être même un autre pays - allez donc comprendre quelque chose à la géographie des rêves!
Plus la nuit avançait, plus je rencontrais de gens qui, eux, se sentaient préoccupés par cette échéance, et m'en parlaient avec chaleur. Jusqu'à ce que quelqu'un me demande carrément: mais pourquoi ne vas-tu pas voter? Mais... mais... était tout ce que je trouvais à répondre. Mais rien du tout, me répondait-on, tu as qualité pour voter, tu ne te souviens pas? Tout ce que tu as à faire est te présenter au plus proche bureau de vote. Pourquoi pas, me disais-je; un bureau de vote, ce n'est pas difficile à trouver, il doit y avoir des panneaux, des affiches. Pas de panneaux, pas d'affiches; je cherche quelqu'un à qui demander mon chemin, je ne rencontre qu'un vieillard pas bavard, qui m'indique du doigt une direction. Une grande porte: ce doit être là. Derrière la porte, une grande salle, pas de scrutateurs, pas d'urnes: une foule compacte d'êtres hybrides, de sortes d'animaux sur leurs pattes de derrière (peut-être des masques, ou des automates?), qui s'agitent en faisant des gestes incompréhensibles. Il y a dans un coin un escalier: le bureau est peut-être à l'étage? Je monte quatre à quatre, ça devient urgent, quelque chose me dit que l'heure de la clôture approche! En haut, une autre grande salle, celle-ci presque vide: le long des murs, une procession d'autres êtres hybrides, encore plus caricaturaux que les précédents - on dirait de grands moutons maigres - qui se livrent à une sorte de pantomime, à la queue-le-leu, ils secouent gravement la tête, impossible d'en obtenir une réponse. Je redescends, l'escalier s'est considérablement dégradé, il semble plus étroit aussi, des décombres partout, les marches craquent. La pièce du bas s'est vidée, elle aussi semble tomber en ruine, une seule personne à qui demander mon chemin, une chose contrefaite à la tête porcine, qui ne me répond que par des ricanements. Fichtre, j'ai bien l'impression que l'élection va se faire sans moi est ma dernière pensée avant mon réveil.
Douche froide, disais-je en commençant; j'ouvre la fenêtre (je dois sortir sans trop attendre, c'est l'heure où s'ouvre le marché et je n'aime pas en manquer le début, après il y a trop de monde); dehors il pleut, il fait froid.
lundi 4 novembre 2024
Comme un trou dans un paysage
Les Frères Hildebrandt font depuis si longtemps partie du paysage de la Fantasy que je les imaginais vivant hors du temps, dans quelque trou de Hobbit équitablement partagé et astucieusement aménagé (un tabouret pour Tim, un tabouret pour Greg, et, sur une très grande table, assez de godets et de pots à pinceaux pour soixante personnes - ils travaillaient "à l'ancienne"). Je viens seulement de réaliser, avec un certain retard (quatre jours, ou dix-huit ans, selon la perspective qu'on adopte) en lisant le blog d'imaginos, qu'ils n'étaient ni si inséparables ni si inaltérables que ça.
Ainsi parla Imaginos:
"L’illustrateur Greg Hildebrandt,
bien connu pour ses œuvres (seul ou avec son frère Tim)
dans le domaine de la fantasy,
mais qui illustra également (entre autres)
la jaquette de l’album Mob Rules de Black Sabbath,
est mort hier (31 octobre),
plus de dix-huit ans après son jumeau.
Il avait 85 ans."
Hé oui, c'est eux deux qui ont fait ça. |
image © Greg et Tim Hildebrandt (et la Force sait combien d'autres copyrigh-holders)
vendredi 1 novembre 2024
Changeons-nous, nous aussi?
Changement d'heure, changement de mois... changement aussi à la galerie Martel; c'est vrai, je ne vous avais pas signalé (ces derniers temps, je n'avais pas la tête à ça) cette exposition Miles Hyman (Ephemeria I, du 4 octobre au 2 novembre 2024): si vous ne l'aviez pas déjà trouvée tout seuls, il ne vous reste que ce week-end pour la voir!
À partir de la semaine prochaine (et jusqu'en janvier: ça vous laisse du temps) c'est Emil Ferris qui remplace Miles Hyman; vernissage jeudi 7 novembre à 18 heures en présence de l’artiste. Elle, ce qu'elle aime, c'est les monstres: son "Livre Deuxième" vient de sortir aux éditions de Monsieur Toussaint Louverture.
Non, je n'ai pas d'actions de la galerie Martel; il se trouve qu'ils font toute l'année des expositions qui m'intéressent, je n'y suis pour rien!
MARTEL PARIS, 17 rue Martel - 75010 Paris, France