dimanche 14 mai 2023

Demain le temps sera plus vieux

 Nous avons commencé par en discuter, mon père et moi, et nous sommes très vite tombés d'accord: oui, c'était dommage de n'avoir jamais visité la côte languedocienne, alors que la Côte d'Azur, la riviéra, la côte ligure, nous les connaissons comme nos poches, n'est-ce pas papa? Et nous décidons que nous allons y passer quelques jours. En chemin vers la gare (entre-temps, il s'est encore passé deux ou trois choses dont le souvenir s'est plus ou moins effacé) je remarque, dans le caniveau, plusieurs livres qui viennent apparemment d'y être jetés; l'explication est simple, c'est la fin de l'année scolaire, et les écoliers bruyants que nous venons de croiser (une de ces choses dont le souvenir est devenu flou) étaient d'humeur à se débarrasser des livres d'un programme qu'ils sont à présent pressés d'oublier ("les cahiers au feu, le maître au milieu", disait-on de mon temps; sans doute dans les cartables des enfants d'aujourd'hui n'y a-t-il plus d'allumettes). D'ailleurs, indice qui ne trompe pas, tous ces livres sont recouverts de chemises de papier gris (ça aussi, c'est un souvenir précis de mon passé d'écolier: les livres scolaires, en début d'année on les couvrait systématiquement de papier d'emballage (il ne fallait pas les abîmer, car à la rentrée suivante il serviraient à quelqu'un d'autre); mais au fait, est-ce qu'au vingt-et unième siècle on fait encore ça? quand on rêve, en quelle année est-on?); signe des temps cependant, l'un d'eux s'est ouvert à une page couverte de chiffres et de graphiques, de tableaux où des lignes blanches ressortent sur fond bleu: une matière que je ne parviens même pas à identifier, ça pourrait être aussi bien de l'économétrie que de la physique quantique, les programmes ont dû bien changer depuis mon temps. Je finis par me décider à en ramasser un, et, bonne surprise:  celui-ci, on dirait un recueil de contes, illustré de nombreuses gravures dont le style me plaît bien; je décide de le garder. C'est sans doute une bonne idée, car, à notre arrivée (le voyage ne m'a pas semblé long: peut-être ai-je dormi dans le train?) le temps est plutôt gris, peu propice aux longues promenades que nous avions imaginées. Où sommes-nous? Un hôtel? Un bed and breakfast? Une location? Je ne sais pas, c'est mon père qui a pris les arrangements pour le séjour: et puis, quelle importance, en rêve? Le bâtiment est ancien, sans doute plus qu'il n'en a l'air car il porte les traces de nombreuses rénovations: murs de pierre de taille, mais revêtements de sol plastifiés; immenses cheminées dans toutes les pièces, même dans la chambre, pourtant petite, qui m'a été attribuée, mais mobilier disparate et bon marché, matelas en mousse sur le sommier sans châlit qui prend presque toute la place. Des gouttes d'eau s'écrasent sur les vitres. Je m'assois sur le lit et j'examine mon livre. Il y a même des pages dépliantes, des cartes sans doute? Ah non, ce sont aussi des illustrations, des scènes qui grouillent de personnages, encadrées de frises d'animaux fantastiques... tout à fait le genre de livre que j'aurais pu choisir dans une librairie (ou plutôt chez un bouquiniste, car, ça se voit, il n'est pas tout jeune); il y a parfois de ces coïncidences, dans les rêves! Quand je lève les yeux, je vois que la pluie tombe à présent drue et verticale. Et il ne fait vraiment pas chaud. Tant pis, je dormirai avec un pull, comme à la maison.

2 commentaires:

Phersv a dit…

Celui-ci ne semble pas très prosaïque, ne serait-ce que par le livre mystérieux qui lance tout de suite d'autres rêves.

Tororo a dit…

Je suis d'accord, c'est plutôt le rêve précédent qui entrait dans la catégorie "rêves prosïques" - à la réflexion, je me demande d'ailleurs si le choix de cet adjectif était bien avisé: le rapport avec la prose est bien vague.
Je voulais opposer les rêves qui semblent faits de petits bouts de vie quotidienne plus moins bien mixés, à ceux où il m'arrive des choses qui ne me sont pas encore arrivées (mais qui sait, un jour?...). On pourrait aussi dire que ce rêve ouvre une porte, et que le précédent en fermait une.