Touchez mon blog, Monseigneur vient de signaler la réédition récente (chez L'Arbre Vengeur, vous pensez!) d'un bon vieux recueil d'Abraham Merritt: La femme du bois. Quant au Bison, il vous recommande un livre québécois intitulé Femme-forêt, d’Anaïs Barbeau-Lavalette; livre dans lequel, dit-il, "on devient forêt" (vous voyez se dessiner une tendance?).
Que dites-vous? Vous aussi vous aimeriez vous promener dans les bois et vous ne pouvez pas, parce que ceci, parce que cela?... D'accord, voici une micro-liste de promenades dans les bois que vous pourrez faire sans quitter votre cocon.
Mon préféré dans ce lot: Sur les ossements des morts, d'Olga Tokarczuk.
Dans cet extrait, voici Madame Doucheyko qui parle à une écrivaine que le hasard a mis sur son chemin:
Je pensais pourtant qu'en tant qu'écrivaine, vous aviez de l'imagination et une capacité à voir plus loin que la réalité, et que vous ne réfutiez pas d'emblée ce qui, à première vue, peut paraître invraisemblable. Vous devriez savoir que tout ce que nous pouvons croire est déjà une sorte de vérité, ai-je conclu en citant Blake de mémoire, et il m'a semblé que cela avait produit son effet.
Madame Doucheyko, la narratrice de Sur les ossements des morts, n'aime pas qu'on prononce mal son nom: c'est Doucheyko pas Douchenko. Entraînez-vous à bien prononcer le nom de Madame Tokarczuk, au cas où vous la rencontreriez, ce sera mieux. Car il était temps qu'on s'aperçoive de l'existence d'Olga Tokarczuk, elle a de l'imagination et une capacité à voir plus loin que la réalité, et ce qu'elle voit elle l'écrit drôlement bien. Des livres, elle en a écrit de toutes sortes; là, elle nous offre un récit... policier, si on veut: c'est un roman policier à peu près autant que Dead Man, de Jim Jarmush, était un western (et dans ces deux récits on cite beaucoup William Blake: ça leur fait plusieurs points communs - outre les grands bois traversés). On y éclaircit des mystères d'une façon pas très conventionnelle: les policiers assermentés en restent baba. J'ai été enchanté de faire la connaissance de Madame Doucheyko, j'adorerais la voir, dans d'autres livres, s'attaquer à d'autres énigmes... mais c'est peu probable, je le crains, elle est passée à autre chose.
Un blogueur a aimé!
Dans les bois, de Harlan Coben, c'est l'exact opposé de Sur les ossements des morts: un polar on ne peut plus classique, qui offre exactement ce qu'on a l'habitude d'attendre des polars de Harlan Coben, si vous en avez déjà lu vous ne serez que modérément surpris (et si vous aimez Coben, vous ne serez donc pas déçu). On n'y cite pas William Blake, l'écriture est beaucoup plus plate (on va dire neutre, c'est plus gentil) mais le titre n'est pas trompeur: il y est question de bois.
La forêt d'Iscambe... ah! La forêt d'Iscambe. C'est un livre de Christian Charrière que, dans ma jeunesse, tous mes copains amateurs de jeux de rôles se recommandaient chaudement les uns aux autres: c'est ainsi qu'on me l'a recommandé plusieurs fois et que j'ai fini par le lire. J'y ai pris plaisir... mais un petit peu moins, je dois l'avouer, que je ne m'y attendais. Le conseil était bon cependant, et si le livre intéresse tant les rôlistes, c'est qu'il raconte un long et sinueux voyage (dans une forêt) où l'on fait des rencontres surprenantes: presque comme dans une campagne de jeu de rôles, et les meneurs de jeu peuvent y puiser des idées à volonté. Et c'est peut-être parce que je ne l'ai lu qu'après beaucoup de parties (de jeux de rôles) que j'ai trouvé certaines des surprises que Charrière a préparées pour ses lecteurs un peu moins imprévisibles qu'il ne souhaitait, visiblement, qu'elles le soient.
Les grands bois, d'Adalbert Stifter, c'est une autre affaire: si c'est du style que vous cherchez, c'est là que vous le trouverez. Un style travaillé, ciselé, chantourné comme on n'en fait plus. Et une intrigue aussi romantique que le style.
Dans une vallée aux vertes prairies se dressait une puissante tour quadrangulaire, environnée des ruines des bâtiments qui l'avaient entourée. Elle n'avait plus de toit, et les portes dans ses murs d'enceinte étaient détruites; elle était telle qu'on la voit de nos jours, si ce n'est que les pierres dénudées de ses murailles n'avaient pas pris encore la couleur grise et vétuste qu'elles ont maintenant; elles étaient encore revêtues de chaux et de crépi, mais leur blancheur était salie par les affreuses marques de l'incendie, qui, partant des fenêtres, se dirigeaient vers le haut, semblables à des panaches de comètes.
Des paysages en parfait accord avec des sentiments nobles et véhéments, semblables, eux aussi, à des panaches de comètes. C'est ce que nous aimons, n'est-ce pas?
Dans la forêt, de Jean Hegland. Là, ça se passe entièrement dans la forêt, comme l'annonce le titre. Ça se met en place lentement, il y a peu de ruptures de rythme, mais une fois que ça vous tient, ça vous tient bien. Et, d'une certaine façon, ce livre dialogue avec celui d'Olga Tokarczuk: il y est aussi question de la façon dont les humains interagissent avec le reste des êtres vivants, vous verrez. Le choix de la forêt comme décor unique est judicieux: dans une forêt, il se passe des choses qu'on ne voit pas et qui ont des conséquences qu'on ne constate que longtemps après (par exemple il pousse des champignons - mais c'est juste un exemple; il y a d'autres choses)... et puisque ce roman a été adapté en BD aux éditions Sarbacane, avec des dessins pleins de sensibilité de Lomig (vous avez donc le choix: roman, bande dessinée, ou les deux - moi je dirais les deux) pourquoi ne pas terminer ces recommandations par un livre dessiné - pas tout à fait une BD, mais presque:
Bois profonds de Raphaële Frier et Amélie Jackowski: Bois profonds est un petit livre d'images qui peut se lire, littéralement, dans les deux sens, car il est en français et en arabe. En principe, le français, ça se lit de gauche à droite, et l'arabe de droite à gauche: c'est pour ça qu'il y a "deux premières pages", une de chaque côté du livre. Mais la version française comme la version arabe peuvent se lire dans un sens ou dans l'autre: selon qu'on tourne les pages dans un sens ou dans l'autre, on lit deux histoires légèrement différentes, racontées avec les mêmes images en lavis gris-bleuté.
Alors, on avance, / on s'enfonce sans se retourner / le coeur à l'épreuve / dans la sombre forêt...
Jusqu'au moment où / jusqu'à l'endroit qui / pourquoi, comment, on ne sait pas / mais on y est.
Celui-là, vous aurez peut-être un peu plus de mal à le trouver en librairie que les autres (tous les autres sont disponibles en poche, certains dans plusieurs éditions, neufs ou d'occase): mais vous pouvez le découvrir sur le site de son éditeur, le port a jauni!
Et savez-vous qu'Emily Carroll aussi a écrit (et dessiné) un album intitulé, lui aussi, Dans les bois? Que voulez-vous, c'est un titre qui dit bien ce qu'il a à dire, pas étonnant qu'on en trouve autant de variantes. Il faudra que je vous en parle...peut-être en même temps que de cet autre album d'Emily Carroll, Quand je suis arrivée au château... Emily Carroll mérite au moins un billet pour elle toute seule!
Récapitulons:
La femme du bois d'Abraham Merritt, traduit par France-Marie Watkins, L'arbre vengeur, 2022. ISBN: 978-2379411380
Dans les bois, de Harlan Coben, traduit par Roxane Azimi, Pocket, 2009. ISBN: 978-2266207638
La forêt d'Iscambe de Christian Charrière, Points (réédition) ISBN: 978-2757814314
Les grands bois, d'Adalbert Stifter, traduit par Henri Thomas, Gallimard. ISBN: 978-2070143283
Dans la forêt, de Jean Hegland, traduit par Josette Chicheportiche, Gallmeister. ISBN: 978-2782351786444
Bois profonds de Raphaële Frier (texte) et Amélie Jackowski (dessin), texte arabe de Nada Issa, Le port a jauni, 2021. ISBN: 978-2919511815
Le loup n'est pas là, il est très occupé ailleurs: on ne sait pas si ça va durer, profitez bien de vos promenades (virtuelles ou pas) dans les bois.
8 commentaires:
Ah, another Stifter fan! One of the strangest writers I’ve ever read. I don’t think the work you’ve written about is available in an English translation.
Original title: Der Hochwald. Indeed, it does not seem to have been translated in English so far.
J’en ai lu certains.De belles chroniques des blogueurs cités.
Sinon j’ai bien aimé Sandrine Collette ”Et toujours les forêts ”.et ”Nous étions des loups”. Ce dernier est dark dans le thème.
Bonjour Jourdan. Sandrine Collette? Je n'ai pas eu l'occasion de la lire, alors je note ce nom, merci de l'avoir signalé!
I loved Drive Your Plow Over the Bones of the Dead (English title).
Have you seen the movie version? I haven't...
I've never read Harlan Coben but we get lots of his books donated to the thrift store, including The Woods.
I will try it, if we have a copy--there's something nice & restful about reading predictable books.
Reminds me-- Haruki Murakami said he liked Lee Child books because,
“Everything's the same!”
Looking it up---what's this I see?
"The Woods (Polish: W głębi lasu) is a Polish mystery thriller television miniseries, based on the 2007 novel of the same name by Harlan Coben."
Polish... like Olga "Toe-car-chuk" (I'm practicing!)
Hi Fresca!
Wow! Toe-car-chuk, I think you nailed it. I see you keep polishing many skills of yours at the same time (great job on the Puck costumes!).
We agree on the book. I looked up for the movie version of Toe-car-chuk's novel: AmazonFrance only lists a Polish edition with possibly English subtitles, so I'm still undecided about ordering it...
Have a nice evening in your reading corner!
Bonjour
Le seul que j'ai lu est "Dans la forêt (livre et BD).
Il y a aussi le manga "ma vie dans les bois" de MORIMURA Shin (un Mangala qui fait une sorte de performance-reportage sur un "retour à la terre"...) [rien à voir avec Walden!].
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Et bonjour!
Alors? Qu'avez-vous pensé de l'adaptation en BD de "Dans la forêt"?
Merci d'avoir signalé le manga de Morimura, il faudra que j'y jette un coup d'oeil.
J'aurais pu citer pas mal d'autres titres - Walden bien sûr, ou encore ce très bon polar de Tania French que deux éditeurs français ont sorti sous deux titres différents (attention au piège!)... mais il fallait bien s'arrêter à un moment!
Enregistrer un commentaire