Lettre ouverte à l’Observer
Monsieur le Directeur,
Aucun de vos lecteurs ne vous a-t-il signalé la rareté des papillons cette année? Dans cette région où habituellement ils abondent, je n’en ai vu aucun, à l’exception de quelques essaims de papilioninés. Depuis mars, je n’ai observé jusqu’à présent qu’un seul zygène, aucune æthère, très peu de thécles, une chélonie, aucun paon de jour, aucun catocale, pas même une cucullie argentée dans mon jardin qui, l’été dernier, était plein de papillons.
Je me demande si ce phénomène est général, et, dans l’affirmative, à quoi il est dû?
M. Washbourn
Pitchcombe, Glos.
Cette lettre, dont je ne peux absolument pas en aucune façon n'insistez pas vous garantir l'authenticité, est citée dans Marelle, de Julio Cortazar - vorace lecteur, comme vous le savez (je ne saurais vous dire s'il a fouillé avec méthode les archives de l'Observer, ou s'il en a trouvé un vieux numéro coincé dans un carton de bouquiniste entre deux numéros de l'Illustration) mais aussi écrivain adepte d'un humour pince-sans-rire. Qu'il l'ait trouvée toute faite quelque part ou bricolée lui-même, la transcription de cette liste de papilionidés (ne pas confondre les papilionidés, qui sont une famille - nombreuse - de l'ordre des lépidoptères, avec les papilioninés, qui sont une sous-famille de cet ordre) a dû lui procurer un excellent moment de détente dans la composition ardue de Marelle.
Ma contribution au débat: moi non plus, je n'ai vu jusqu’à présent ni paon de jour, ni catocale ni cucullie argentée. On n'est qu'en avril, attendons avec confiance le joli mois de mai.
Julio Cortázar, Marelle, chapitre 146
(Rayuela, Emecé, 1963),
traduit de l’espagnol
par Laure Guille-Bataillon et Françoise Rosset,
Gallimard, 1966.
Du monde entier, Gallimard 1967
L'Imaginaire (n° 51), Gallimard 1979